« L’Afrique a besoin d’une transformation structurelle et non d’un ajustement structurel. » Le mot d’ordre, lancé en mars 2013 par Carlos Lopes, président de la Commission Economique pour l’Afrique des Nations Unies, résume l’orientation des politiques économiques prise par l’Afrique au tournant de la décennie 2010. L’heure est à la planification stratégique pour la transformation des structures de production des économies africaines. Plusieurs pays africains ont déjà formalisé leur stratégie et se sont lancés dans leur mise en œuvre : le Kenya, le Rwanda, le Maroc, l’Afrique du Sud ou le Gabon par exemple.
L'arrivée au pouvoir en septembre 2009 d'Ali Bongo au Gabon a été accompagnée d'un discours politique tournant quasi exclusivement autour de la notion d' « Emergence ». Politiquement, le principe derrière ce discours est de promettre aux gabonais de créer plus de richesses, plus d’opportunités d’emplois, mieux diversifiées, créant plus de prospérité partagée. Mais au-delà du slogan publicitaire, qu’en est-il des fondements théoriques de la notion d’ « Emergence » ?
L’économiste et statisticien sénégalais Moubarack Lô a synthétisé dans une étude une réponse à cette question. Il y explique que la schématisation binaire entre d’un côté des économies développées et de l’autre des économies sous-développées (ou en voie de développement) est insatisfaisante, puisque cette dernière catégorie couvre un spectre d’économies ayant des niveaux très diversifiés de maturité et de dynamisme (la Malaisie avec le Zimbabwe). Le concept d’Emergence permet de distinguer au sein du groupe des pays en voie de développement ceux qui se situent en phase de décollage, en écho à la théorie de Walt Whitman Rostow pour qui l’évolution des sociétés suit un modèle en cinq étapes : la société traditionnelle ; les conditions préalables du décollage ; le décollage ; la phase de maturité ; la consommation de masse.
Concrètement, ce décollage se caractérise, selon M. Lô, par « l’amélioration des performances des facteurs de production, la densification et la modernisation du réseau d’infrastructure, le développement des institutions et le changement des attitudes et des valeurs par un mouvement haussier de l’ensemble du système social ». Ces caractéristiques permettent aux pays concernés d’échapper à la trappe à pauvreté (dynamique de divergence) pour s’inscrire résolument dans une dynamique de convergence avec les pays riches et puissants.
Ce sont donc ces caractéristiques dont le pouvoir en place souhaite doter le Gabon. A ce jour, l'économie gabonaise a une Production Intérieure Brute estimée de 19,8 milliards de $ (chiffres 2012), pour une population de seulement 1,5 million d'habitants. Ces données sont à comparer avec celles du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la Guinée Equatoriale, du Tchad et de la Centrafrique, ses voisins membres de la CEMAC, qu’illustre le schéma ci-dessous.
Relativement à ses proches voisins, la situation du Gabon n'est donc pas dramatique, en termes absolus comme relatifs. Si l'on compare le Gabon avec d'autres pays ayant une population comprise entre 1 et 2 millions d'habitants, la situation est la suivante :
La particularité du Gabon ne réside pas tant dans la faiblesse de son PIB que dans sa composition peu diversifiée et son inégale répartition : malgré les apparences d'un PIB par habitant de 7370 USD, relativement élevé en Afrique, dans les faits, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, 30% des jeunes de moins de 30 ans sont au chômage dans un pays où le coût de la vie est bien supérieur à la moyenne africaine. La prépondérance du secteur pétrolier dans l'économie (en 2011, 49% du PIB, 55% des recettes de l'Etat et 83% des exportations) a deux conséquences majeures : le moteur économique du pays est très intensif en capitaux (étrangers pour la plupart) mais peu en main d’œuvre locale ; les revenus de l'Etat fluctuent d'une année à l'autre suivant les cours internationaux du baril de brent. De ce fait, l'économie gabonaise est très dépendante du marché international et peu inclusive, à ce jour.
Si l'on compare le Gabon à Bahreïn, on s'aperçoit que le développement des services financiers (30% du PIB) dans l'émirat pétrolier offre plus de possibilités d'insertion sur le marché du travail à ses habitants. Mais surtout, Bahreïn est un minuscule territoire désertique de 665 km² quand le Gabon a une superficie de 267 000 km², couverte de forêts, de terres agricoles riches et bien arrosées, avec un sous-sol riche de manganèse ou de fer. Le potentiel de l'économie gabonaise est donc bien supérieur. Pourtant, à ce jour, le Gabon n’exploite pas ses ressources naturelles de manière productive et durable. La fonction publique reste le principal fournisseur d’emplois du pays, et le taux de fonctionnaire/habitant est l’un des plus élevés du continent africain (4% de la population, contre environ 2% en moyenne).
C'est sur la base de ce constat que les nouvelles autorités gabonaises se sont fixé comme objectif de placer le Gabon sur la rampe de lancement de l' « Emergence ». En juillet 2012, un document préparé par le cabinet de conseil Performances Group et avalisé par les autorités gabonaises est venu fixer la stratégie devant conduire le Gabon à ce statut de l'émergence en 2025. Que dit ce Plan Stratégique Gabon Emergent ?
Le plan stratégique se décline selon un modèle pyramidale échelonnant trois étapes devant conduire à l’Emergence :
- Le renforcement des facteurs de productivité, surnommés les « fondations de l’émergence » (gouvernance, capital humain, infrastructures, développement durable).
- Le développement productif dans les trois grands secteurs d’activités (primaire, secondaire, tertiaire), considérés dans le document comme les trois « piliers » du Gabon Emergent : le pilier du Gabon vert (construire une filière industrielle autour du bois, augmenter la productivité agricole, augmenter la productivité et créer une filière industrielle autour de la pêche), celui du Gabon industriel (relancer la production pétrolière et minières, et augmenter les revenus des hydrocarbures et des industries connexes ; ) et enfin le pilier du Gabon des services.
- La répartition équitable de la richesse constitue la pointe de la pyramide. Elle se décline en cinq leviers visant à une prospérité mieux partagée : la mise en place de services de santé de qualité pour tous ; la garantie de l’accès universel à l’eau potable et aux services d’assainissement ; la facilitation de l’accès à un logement décent pour tous ; la promotion de l’emploi ; enfin la valorisation du patrimoine culturel et le développement de l’accès aux services culturels de la population.
Ces différentes strates de la "pyramide de l’Emergence" ont été pensées comme différents blocs de réformes cohérents et complémentaires, qu’il s’agit de mettre en œuvre simultanément, afin d’enclencher une dynamique de rétroactions positives, les résultats de chacun de ces blocs venant renforcer ceux des autres.
Le Plan Stratégique pour le Gabon Emergent pose un cadre général définissant des objectifs à atteindre, mais également un certain nombre de moyens d’y arriver. Une centaine de propositions concrètes sont avancées dans le document. Parmi les plus emblématiques, qui ont d’ailleurs déjà été réalisées : l’interdiction d’exporter des grumes (troncs d’arbre) pour obliger à une transformation sur place, promouvoir l’industrie du bois dans le pays et le hisser dans la chaîne de valeur du commerce international de produits boisés ; créer une société nationale pétrolière (Gabon Oil Company), pour mieux maîtriser la valeur ajoutée créée dans le secteur pétrolier ; créer deux grandes zones franches (Nkok et Ile de Mandji) qui ont déjà attiré plusieurs milliards de dollars d’investissements dans des installations industrielles.
L’enjeu est désormais de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés (Gouvernement, investisseurs locaux et internationaux, représentants des salariés, société civile) pour que tous contribuent à leur échelle à la réussite de cette stratégie. C’est l’objectif du forum de l’industrie qui s’est tenu du 26 au 28 avril 2013 à Libreville, et qui s’est conclu par la signature conjointe du pacte de l’industrie par ces différents protagonistes.
Il est encore trop tôt pour juger de la réussite ou non du plan stratégique gabonais devant conduire le pays à l’Emergence. On pourra lui reconnaître déjà le mérite d’avoir identifié un certain nombre de blocages à la croissance (sous-productivité agricole, quasi inexistence du tissu industriel de transformation des ressources naturelles du pays, ressources humaines pas suffisamment qualifiées et adaptées aux besoins nationaux, problèmes de gouvernance et pesanteurs administratives, entre autres), et de s’être proposé d’y remédier. Les années à venir nous apprendront comment le Gabon aura réussi ou non à mobiliser les ressources humaines, financières et techniques nécessaire pour enclencher la dynamique d’Emergence.
Article paru initiallement dans le n°243 (9-15 mai 2013) de l'Hebdomadaire "Les Afriques".
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Une réponse à tous ceux qui ne savent pas ou ne croit pas encore que notre pays est sur la voie de l'émergence.
Poursuivre cette lecture –> Vers une économie diversifiée au Gabon http://continent-noir.com/2016/09/21/vers-une-economie-diversifiee-au-gabon/