La question foncière au Kenya tout comme en Ethiopie a été à l’origine de changements de régime souvent brutaux. Elle est aussi au coeur des problématiques de développement aujourd'hui. Loza Seleshie revient sur une problématique importante dans la région orientale du Continent.
Questions foncières et révoltes au Kenya et en Ethiopie
Au commencement était la terre.
Les questions foncières sont l'une des causes les plus décisives et les moins évidentes de la chute de la monarchie ethiopienne. Plus que l'inefficacité croissante de l'administration centrale, la chute de la monarchie en 1974, peut trouver son point de départ dans la prise de conscience générale de l’injustice des directives régissant l'accès à la terre et la répartition des revenus fonciers. Ces dernières étaient mises en place depuis environ un siècle sous le règne de Ménélik II (1889-1913). L’Ethiopie avait connu une expansion considérable de son territoire, s’étendant principalement vers le sud. Le contraste culturel entre les peuples fraîchement incorporés à l’empire et les ethnies dirigeantes (principalement Tigré et Amhara) fut l’une des justifications utilisés pour expliquer l’expropriation de la terre, les confisquant ainsi aux paysans sur place pour les redistribuer entre les membres du gouvernement ayant aidé à la réussite de "la mission d’expansion". Ainsi, la majeure partie du sud du pays était administrée selon un système vassal.
La montée de Haile Selassie Ier au trône du royaume d’Ethiopie en 1930 marqua une accélération de la modernisation du pays, déjà initiée par Ménélik II. Parmi les mesures entreprises pour faire monter l’Ethiopie au rang de « nation civilisée », l’éducation était en tête de liste. Ce que Haile Selassie Ier n’avait pas prévu, c’était que ces jeunes qui avaient progressivement pris conscience des changements du monde qui les entourait (nombreux eurent la possibilité de poursuivre leurs études dans les meilleurs universités au monde) se lèveraient un jour contre la politique foncière injuste et au-delà contre sa personne.
La chute de la monarchie en 1974 se préparait depuis au moins une dizaine d’années. Nombreux étaient ceux qui avaient déjà participé à des marches scandant « la terre au laboureur ». Lorsque la junte militaire du Derg monte au pouvoir, l’une des premières mesures prises fut de collectiviser les terres qui appartenaient désormais à l’Etat. Les paysans ne devaient ainsi de taxes qu’au gouvernement. En répondant à la demande populaire, la junte militaire avait ainsi mit fin aux conflits sur la question de possession de la terre.
Au Kenya, même si la redistribution de la terre qui eut lieu à la même époque se fit dans un contexte colonial (en particulier à partir de 1920), il n’en demeure pas moins qu’il y a des similarités intéressantes. Etant donné que le gouvernement britannique comptait faire du Kenya une colonie de peuplement, il se devait de réserver de larges terrains aux colons. Ceci fut à l’origine de l’introduction du concept de « possession individuelle de la terre » qui auparavant appartenait à une communauté toute entière. Les populations locales furent ainsi repoussées vers des régions moins fertiles. Il fallut attendre le XIXème siècle avec une modernisation sans précédent mais surtout, la montée de mouvements contestataires ayant comme point focal la politique foncière pour que les choses avancent enfin.
Dans le cas du Kenya, la rébellion Mau Mau (1952-1960) est un parfait exemple de l’ampleur des mouvements contestataires. Progressivement devenue une campagne militaire opposant les forces coloniales Britanniques au Kenyan Land and Freedom Army (KLFA), elle témoigne de l’injustice de la répartition des terres. L’ethnie Kikuyu était la principale constituante de ce mouvement et avait également été dépossédée de larges terrains étant donné qu’ils étaient parmi les plus fertiles du Kenya.Malgré l’échec cuisant que connut le KLFA en 1960, le droit à la terre fut l’une des principales revendications de mouvements pour l’autodétermination. Les années qui suivirent l’indépendance furent l’occasion rêvée pour le gouvernement Kenyan d’établir une forme juste de répartition des terres dont bénéficierait la population dans son ensemble. Le retour bref aux pratiques ancestrales de mise en commun de la terre ne produisait pas les résultats attendus par les plus grands donateurs comme la Banque Mondiale. Il fut alors recommandé au gouvernement Kenyan d’encourager la possession individuelle, surtout afin d’encourager les citoyens à occuper d’autres terres, espérant surtout réduire la concentration de la population qui était de 2.4% seulement sur l’ensemble des terres arables (32% de la surface totale du Kenya).
L'accès à la terre aujourd'hui
Le sujet de la propriété terrienne en Ethiopie ne revint à la une de l’actualité que vingt ans après que le Derg fut déposé par le Front Révolutionnaire et Démocratique du Peuple Ethiopien (FRDPE). D'un courant idéologique différant, le FRDPE entreprit une politique de libéralisation du marché afin de rendre le pays plus accessible aux capitaux étrangers.
L’Ethiopie connait ainsi depuis la fin des années 90, une croissance sans précédent (6.5% en moyenne par an). Afin d’atteindre ses objectifs de développement, le gouvernement entreprend plusieurs mesures visant à favoriser l’investissement étranger. C’est ainsi que des étendues considérables de terre fertile sont accordées à des multinationales ou autres groupes étrangers. L’Ethiopie est un exemple parfait de l’Etat africain contraint de choisir entre le développement à toute vitesse pour répondre aux besoins d’une population croissante (2.2% par an) ou le refus de s’intégrer dans le circuit économique mondial tout en accordant la priorité à ses citoyens souvent mal équipés et surtout, manquant du savoir-faire considérable pour soutenir une économie en pleine expansion. Suite aux nombreuses années de négligence subies par le secteur agricole, le retard à rattraper est considérable.
Il est donc compréhensible que le gouvernement opte pour les compagnies étrangères, produisant ainsi le résultat voulu sans investissement considérable. Ce plan de développement pose cependant un problème dans la mesure où il peut être perçu comme une dépossession de leurs terres par les populations locales mais surtout parce que c’est une issue risquée, la surexploitation des terres étant omniprésente avec des lopins considérables accordés aux exploitations de roses qui nécessitent une quantité importante de pesticides. A supposer que les paysans Ethiopiens reprennent un jour ces exploitations en main, ne serait-il pas trop tard si les terres ne sont plus exploitables ?
L’agriculture n’est pas le seul secteur qui risque d’en souffrir, il ne faut pas non plus oublier les populations qui vivent de l’élevage. Nous pouvons citer le cas de la mise en place d’un barrage sur le fleuve Tana au Kenya qui eut pour résultat d’aggraver les conflits inter-ethniques déjà présents. Autour du delta que forme ce fleuve se sont installés plusieurs groupes ethniques dont les Somalis, éleveurs et les Bantu, agriculteurs. Le conflit résulte donc tout d’abord de conflits d’intérêts liés au mode de vie. Suite à la construction du barrage de Kiambere vers 1989, environ 6000 personnes durent quitter leurs terres qui subissaient une inondation progressive. Les terres disponibles étant réduites, les conflits se firent plus fréquents, mais aussi plus violents.L’inégalité croissante de répartition des terres conduit enfin en 1999 à la formation d’une commission suite à la demande du président afin de réguler l’accès à la terre. En effet, malgré les bonnes intentions du gouvernement, le fait d’encourager une possession individuelle de la terre avait entraîné l’exclusion de certains groupes que ce soit à cause de leur ethnie (les Ogiek) ou encore du simple fait qu’elles soient femmes.
La commission mise en place constata que la principale cause de l’inégale mais surtout de l’injuste répartition des terres était l’abus des deux principales lois mises en place à l’indépendance et surtout à cause d’une corruption importante.
Ces deux cas témoignent des deux problèmes principaux quand il s’agit de la politique foncière : une inégale répartition au sein même du pays et une situation difficile face à une volonté de s’ouvrir aux possibilités de développement économique. La solution réside peut-être dans une plus grande coopération régionale, plus d’échange et éventuellement, la consolidation d’un marché régional.
Sources
Land Tenure in Ethiopia : Continuity and Change, Shifting Rulers and the Quest for State Control (PDF)
Cadre et lignes directrices surles politiques foncières en Afrique (PDF)
Densité, pauvreté et politique. Une approche du surpeuplement rural en Éthiopie (lien)
Kenya – Une nouvelle Politique foncière nationale (lien)
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Merci Loza pour cet article très riche. J'aimerais savoir la contrepartie qui était accordée aux paysans lorsque "le gouvernement opte pour les compagnies étrangères"? Comment ont vécu les paysans qui vivaient des produits de leurs terres?
Dans le cas de l'Ethiopie, la plupart sont rappatriés vers d'autres terres. Ils peuvent donc au moins continuer à vivre de la terre. Les conflits ethniques demeurent cependant un risque lorsque les nouveaux arrivants ont des ressentiments de longue date (de manière schématique le nord contre le sud et vice versa). J'espère avoir répondu à ta question.
Merci Loza pour cet interressant article. Tu dis qu'il "est compréhensible que le gouvernement opte pour les compagnies étrangères, produisant ainsi le résultat voulu sans investissement considérable" soit, mais quel est le modèle réel adoppté. S'agit-t-il d'ossocier les ethiopiens aux compagnies afin de béneficier d'un transfert technologique ou tout simplement d'une location en bonne et du forme sans que ces productions ne soit bénefique au pays autrement qu'en terme de taxe ou du loyer?