Après le premier exercice en octobre 2012, qui avait mis l’accent sur le renouvellement des élites politiques en Afrique, la rubrique Analyse politique de Terangaweb revient avec un focus de trois articles consacré à un pays phare du continent. Il nous a paru essentiel de commencer par l’Afrique du Sud, première économie du continent, nation chargée d’histoire, qui a vécu, des décennies durant, un racisme d’Etat, laboratoire d’un socialisme africain engagé dans la lutte pour la libération de l’Afrique australe et pays de la plus grande icône politique d’Afrique, Nelson Mandela. Ce focus commence par un papier de Racine Demba sur le dernier congrès de l’ANC sanctionné par la réélection confortable de Jacob Zuma face à son challenger Kgalema Mothlante. Felix Duterte reviendra ensuite sur l’état (inquiétant) de la liberté de la presse en Afrique du Sud avant le papier final de Vincent Rouget consacré au devenir de l’Afrique du Sud post Nelson Mandela.
Hamidou ANNE
Responsable de la rubrique Analyse politique
Le congrès de l’ANC a vécu en cette fin d’année 2012. Trois enseignements majeurs en sont ressortis : la confirmation, prévue, du chef, les tiraillements, plus que jamais violents, au sein de la famille et le positionnement, moins évident à priori, d’un leader au style différent. En effet, si Jacob Zuma a été réélu sans surprise à la tête d’un parti pourtant miné par des dissensions internes, la promotion de Cyril Ramaphosa comme commandant en second de ce puissant appareil politique en a interpellé plus d’un.
Le triomphe de Zuma
Avant ce congrès, comme dans toute grande élection, des médias, d’Afrique du Sud et d’ailleurs, ont essayé, tant bien que mal, d’entretenir un certain suspense. A défaut de pouvoir présenter un challenger réellement dangereux pour Zuma, ils ont épilogué sur l’ampleur qu’allait revêtir la victoire du président. Finalement, c’est renforcé par 75% des suffrages qu’il reste aux commandes de l’ANC. Son challenger, Kgalema Motlanthe, jusque là vice-président du parti et du pays, s’est présenté au dernier moment, sans beaucoup d’illusions, du propre aveu de voix autorisées de son camp. Une candidature de principe donc pour alerter sur les « dérives » d’un Zuma accusé de tous les pêchés d’Israël. Accusations allant de son populisme jugé outrancier à sa légèreté supposée en matière économique en passant par des frasques incessantes dans sa vie privée. Toutes choses, pourtant, qui ne l’ont pas empêché de triompher, haut la main, de ses détracteurs.
Pourquoi Zuma reste-t-il si populaire, malgré tout, auprès d’une frange majoritaire de sa famille politique ? La réponse est certainement à chercher, à la fois, dans son histoire, son style ainsi que ses démêlés avec les milieux d’affaires. Jacob Zuma est encore perçu, par beaucoup, à juste titre d’ailleurs, comme un héros de la lutte anti-apartheid qui a donné de sa personne (prison, clandestinité, exil) pour l’émergence de la démocratie dans son pays. En outre, il y a le style Zuma, son aisance de tribun rompu au dialogue avec les masses, la façon dont le petit peuple sud africain s’identifie à lui, le savoir-faire avec lequel il tient son bastion électoral, le Kwazulu Natal, ses talents de fin tacticien du jeu politique. Cet aspect rejoint le dernier qui est que, dans la perception de ce même petit peuple, le fait que le chef soit à couteaux tirés avec des milieux qui n’ont pas toujours bonne presse est en soi une qualité, un avantage, une posture qui tend à rassurer.
Le climat interne à l’ANC
L’ANC est un parti qui connait actuellement de profondes mutations ainsi que beaucoup de remous. Les différentes branches de l’opposition interne se sont réunies, à l’occasion de ce congrès, autour de Kgaléma Mothlante pour affronter Jacob Zuma. On pouvait distinguer dans le lot, les jeunesses du parti en délicatesse avec le chef depuis l’éviction de Julius Malema, les milieux d’affaires, anxieux de l’état jugé déplorable de l’économie du pays sous Zuma, enfin tous les indignés du traitement de la récente affaire de la mine de Marikana par le gouvernement. Motlanthe n’a cependant pas voulu affronter son adversaire de manière frontale. Il s’est ainsi déclaré sur le tard après une campagne discrète et terne ; face à une bête politique de la dimension de son adversaire, ces erreurs stratégiques ne pardonnent pas, d’où sa cuisante défaite. Il ne faut cependant pas penser qu’après ce succés éclatant, toutes les divergences soient aplanies, bien au contraire. Le problème de l’ANC est plus profond, il est structurel. D’ailleurs, certains continuent de croire que Zuma risque d’être fragilisé par ce climat interne combiné à son bilan économique discutable lors de la présidentielle de 2014, les plus téméraires allant jusqu’à parier sur sa non candidature. L’ANC aurait en tout cas, selon eux, tout intérêt à lui trouver un challenger crédible. La mise sur orbite de Cyril Ramaphosa devient, dès lors, vue sous cet angle, d’un enjeu de la plus haute importance.
Au pays de Nelson Mandela, on aime les chansons qui racontent une histoire – de préférence une histoire d’amour de la liberté – ; et les bons mots se référant à la période de l’apartheid. L’un d’entre eux, peut être moins populaire par rapport à d’autres, dit que, durant toute la période de lutte contre l’Apartheid, le père de la nation arc-en-ciel n’a réellement porté, parmi ses frères d’armes, que deux hommes : l’un sur son dos, l’autre dans son cœur.
Le premier s’appelle Oliver Tambo. Au début des années soixante, pour venir à bout du régime de l’apartheid, Mandela avait entrepris un périple dans plusieurs capitales africaines dont Dakar afin d’obtenir l’aide nécessaire pour se procurer des armes. Lorsqu’il arriva à son rendez vous avec le président Senghor, il eut la mauvaise surprise de voir l’ami qui l’accompagnait, Oliver Tambo, président de l’ANC en exil, piquer une crise et presque perdre connaissance. Il ne voulut pas le laisser là pour aller chercher de l’aide. Il le porta sur son dos jusqu’au bureau du premier président sénégalais. L’autre se nomme Cyril Ramaphosa. Si Mandela, alors au pouvoir, avait eu l’opportunité de désigner son successeur, c’est lui qu’il aurait choisi.
Né il y a soixante ans à Soweto, Matamela Cyril Ramaphosa a un parcours que l’on peut qualifier d’atypique. D’abord leader Syndical, co-fondateur du puissant syndicat des mineurs (NUM), il est par la suite devenu une personnalité incontournable de la scène politique nationale, en témoigne le rôle crucial qu’il a joué, en tant secrétaire général de l’ANC, dans les négociations pour une issue pacifique de l’Apartheid et pour l’organisation des premières élections libres et transparentes dans son pays. Après le refus des caciques du parti d’accéder à la requête de Mandela consistant à l’accepter comme son dauphin, il démissionne de ses mandats et migre vers le monde des affaires avec beaucoup de succés. Aujourd’hui, chef d’entreprise prospère, il siège ou est à la tête des conseils d’administration de très grandes firmes, le magazine Forbes le présente même comme l’un des hommes les plus riches d’Afrique avec une fortune estimée à 675 millions de dollars.
C’est cette ubiquité à la limite de l’antinomie qui constitue, à la fois, sa plus grande force et son talon d’Achille. Passer de syndicaliste militant à richissime homme d’affaires n’est, en effet, pas anodin surtout dans un pays gangrené par les inégalités sociales. Ramaphosa devient ainsi, pour nombre d’observateurs, la somme des caractéristiques principales d’un Thabo Mbeki et d’un Jacob Zuma. Comme Mbeki, il est crédité d’une grande compétence en matière économique et dispose de ce fait de la confiance des milieux d’affaires sans toutefois donner l’impression d’être coupé de son peuple – principal reproche fait à Mbeki – son passé militant plaidant en sa faveur. Comme Zuma, il est encore considéré, malgré son statut de businessman de premier plan, comme un tribun par une grande partie de la population. Il garde une bonne côte de popularité chez les sud africains les plus démunis mais aussi – là se trouve la différence fondamentale avec Zuma – chez ses collègues des hautes sphères de la finance. Pour ses détracteurs, il est tout bonnement passé à l’ennemi, se souciant plus aujourd’hui des intérêts des grands groupes économiques que de ceux des travailleurs ou du sort de ses compatriotes les plus défavorisés. Sa position lors des récents évènements survenus dans la mine de Marikana, disant que, face aux mineurs grévistes, la police devait prendre ses responsabilités pour faire régner l’ordre, est venue les conforter dans cette conviction.
Une chose est néanmoins sûre, en le choisissant comme numéro deux (avec 76,4% des voix), l’ANC s’est trouvé une alternative de choix à Jacob Zuma en cas de non candidature de ce dernier à la présidentielle de 2014. Si l’actuel président finissait par se présenter (en 2009 il avait promis de ne faire qu’un mandat mais aujourd’hui son discours sur le sujet n’est plus aussi tranché), Cyril Ramaphosa pourrait toujours, en cas de victoire, accrocher le poste de vice-président qui lui serait alors promis et attendre patiemment 2019 pour enfin briguer le suffrage des Sud-africains. En espérant que Madiba soit encore là pour le voir, lui son ancien protégé, dévorer les dernières marches devant le conduire au sommet.
Racine Demba
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Intéressant de voir comment Ramaphosa construit progressivement son parcours vers le siège suprême. Je me souviens que dans les années 90 comme l'indique très bien Racine dans son article, il a été écarté de son poste influent au sein de l'ANC. En réussissant dans les affaires, il a montré un signal fort pour beaucoup de noirs en Afrique du Sud. D'ailleurs, cela fait partie de la stratégie de Mandela, de ne pas brusquer le pouvoir économique blanc, pour y apporter une teinture plus colorée. Ramaphosa est devenu riche. En quoi cela est une plaie? L'essentiel c'est que d'autres syndicalistes de la nouvelle génération fassent le boulot qu'il faisait du temps de l'apartheid. Ramaphosa à la tête de l'Afrique du Sud en 2019 serait un signe de maturité intéressant, avec un parcours qui ne reposerait pas seulement sur des intrigues géo-ethniques. Venda, Ramaphosa contrairement à Zuma, ne devra pas son ascension au poids de son ethnie. Et cela est intéressant pour tous les sud-africains.
Bien vu Gangoueus, c'est vrai qu'au départ le poids de l'ethnie de Ramaphosa pouvait être considéré comme un handicap dans son ascension. En reléguant cette question au second plan, il réussit le tour de force de faire sensiblement évoluer les mentalités. C'est déjà ça de gagné. En plus, comme tu le dis, il a un parcours qui inspire et qui rassure les sud-africains dans leur grande majorité.