La survenance d’une crise lors de la mise en œuvre de réformes publiques augmente toujours les difficultés qui justifient les réformes. Les réformes introduites dans le système de l’enseignement supérieur sénégalais étaient destinées à résoudre de façon déterminante les problèmes du secteur. La réforme L-M-D devait permettre d’échelonner la progression académique selon une démarche qui vise à doter les étudiants de qualifications en adéquation avec les exigences du monde du travail. Elle s’est déclinée dans l’octroi de crédits à chaque année d’étude, elle-même divisée en deux semestres.
Le système LMD est construit dans une logique d’améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Dans le même esprit, l’octroi de bourses qui allient des critères d’excellence et des critères sociaux s’est fait dans le souci du respect de l’équité et de la transparence dans le milieu universitaire. Il a donc été question de revenir sur le caractère généralisé et inconditionnel de la bourse, en plaçant le mérite au cœur de l’attribution des allocations d’études. Mais comme pour toute réforme, ces mesures du gouvernement sénégalais qui visaient à assainir le milieu universitaire, proposées par la Commission nationale de réflexion sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNRAES), ont heurté sur des résistances, du conservatisme, et quelques difficultés liées à leur mise en œuvre.
Parmi elles il y a eu en particulier la présence de forces de l’ordre dans l’espace universitaire, qui a longtemps été décriée. Les réformes prévoyaient la création d’une police universitaire pour sécuriser les universités publiques qui connaissent un phénomène de no man’s land indicible par endroits. Des activités qui échappent à toute régulation sont développées dans l’enceinte universitaire malgré leur caractère très dangereux. C’est le cas de plusieurs commerces non déclarés ou non autorisés, d’activités de groupes culturels, politiques ou autres qui y sont menées et qui sont susceptibles de causer des troubles à l’ordre public. Il y a également la récurrence de manifestations violentes d’étudiants réclamant bourses ou cours. Autant de risques de violences qui ont justifié aux yeux du gouvernement la présence de la police. Même si elle répondait à un besoin de sécurisation, notamment à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle a finalement produit l’effet inverse car elle y a installé la psychose, la peur, et la révolte.
Il y a eu une spirale de réforme-révolte-répression qui a débouché sur des faits malheureux : la mort par balle de l’étudiant Bassirou Faye (inscrit au Département de mathématiques) le 14 août 2014 lors d’affrontements entre étudiants et forces de l’ordre, la mise à sac de chambres et outils appartenant aux étudiants (livres, cahiers, ordinateurs…) et des coups et blessures injustifiés sur les étudiants. Cette situation déplorable a résulté d’un long acharnement des forces de l’ordre sur les étudiants.
Il convient dès lors de reconsidérer la nécessité de la présence des forces de l’ordre dans l’espace universitaire qui bénéficie, depuis l’origine, de franchises qui interdisent une telle présence. Cela ne signifiera nullement la remise en cause du besoin d’assainir l’espace universitaire qui a justifié les réformes en cours. Cependant, une réforme, quelle qu’elle soit, doit prendre en compte l’avis de ses destinataires ultimes, et celles qui concernent le système éducatif sénégalais doivent également le faire.
Il serait donc judicieux de consulter les étudiants, les enseignants, les parents, ainsi que tous les personnels du système éducatif pour mieux identifier les besoins de réformes dont celui-ci a besoin. A l’image de la commission sur l’éducation dirigée par le Pr Abdou Salam Sall, ces consultations devraient aboutir à une véritable refonte du système éducatif. Les maux qui bloquent ce système sont nombreux (sureffectif, déficit en infrastructures et en personnel enseignant, insuffisance de moyens financiers, manque de formation de certains enseignants, offre de formation obsolète, retard dans le paiement des bourses d’études, non-respect du calendrier pédagogique…). C’est un ensemble de problèmes nés et aggravés par une gestion inadéquate par le passé (installation d’abris provisoires, véritables leurres face au déficit en infrastructures, recrutements basés sur la corruption à certains niveaux du système, leur corollaire : baisse du niveau des élèves/étudiants due au manque de formation, échec scolaire etc.) Cette gestion négligente a causé beaucoup de tort à des milliers d’enfants en âge de scolarisation.
Les maux du système éducatif sont autant de dangers pour le développement socio-économique du pays. Pour les adresser, il faudra éviter d’adopter des recettes sans les confronter avec les réalités économiques du Sénégal (pauvreté des ménages, rareté de l’emploi, précarité et pression sociales…). C’est pourquoi la pédagogie est nécessaire pour la réussite des réformes publiques en général, et dans le système universitaire en particulier, afin d’éviter des confrontations inutiles qui les bloquent. Il faut espérer qu’après les Assises de l’éducation, et des outils comme le Programme d’amélioration de la qualité de l’enseignement proposé aux écoles, qui ont pris en compte cette dimension inclusive, notamment par la gestion communautaire et des fonds nouveaux, le système éducatif se portera mieux.
Mouhamadou Moustapha Mbengue
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