Nombre de citoyens africains de 2015, qui se veulent libres et entreprenants, dans un monde en pleines mutations, sont en train d’œuvrer à une nouvelle expression du continent à travers les idées novatrices et les actions transformatrices qui y ont cours.
L’Afrique est un continent jeune avec ses 1,1 milliards d’habitants en 2013. C’est à dire 15% de la population mondiale. Qui dit jeunesse dit dynamisme, espoir, fenêtres d’opportunités. Pourtant le continent ne représente que 3,5% du Produit intérieur brut (PIB) mondial soit, selon une comparaison établie par l’économiste congolais, Gabriel Mougani, de la Banque Africaine de Développement, dans son livre : « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » moins que la part du PIB de l’Inde par rapport au PIB mondial qui est de 5,77% (le PIB moyen par habitant de l’Afrique est de 2060 dollars contre 5418 dollars pour l’Inde). L’Afrique c’est aussi seulement 3,9% du volume mondial des Investissements directs étrangers (IDE) et 3,4% du commerce mondial.
La moitié du milliard d’africains a aujourd’hui moins de 25 ans. La tendance ne faiblira pas – bien au contraire- dans les prochaines années. Les prévisions disent que dans 30 ans l’atelier du monde se déplacera de la Chine vers l’Afrique dont la population sera alors estimée entre 1,5 et 2 milliards d’âmes. La raison est que l’aire géographique du monde ayant la plus grande population d’âge actif ne sera plus l’empire du Milieu mais le continent noir.
Ainsi, sont mises en évidence, de partout, les opportunités qu’offre ce pôle de croissance devenu désormais incontournable. Souvent, il s’agit d’abord de non-africains, s’exprimant, selon leur intérêt ou celui de leurs pays, région, continent sur un marché nouveau à conquérir et exploiter car c’est la région du monde où la rentabilité des capitaux est la plus élevée. Comme le fait remarquer l’économiste franco-égyptien Samir Amin : « on parle d’une Afrique émergente alors que les problèmes sociaux fondamentaux s’y approfondissent d’année en année ».
Toutefois, des voix africaines, de plus en plus nombreuses, se font entendre pour mettre en avant la vision que les fils du continent eux-mêmes ont de cette embellie annoncée. Ce qu’ils pensent de l’utilisation des importants flux d’investissements dont ils sont appelés à être les destinataires. Le guinéen Amadou Bachir Diallo, autre économiste de la Banque Africaine de Développement, campe le sujet en ces termes : « si ces interlocuteurs-là viennent chercher leurs intérêts, la question qui se pose est : quels sont nos intérêts à nous ? D’abord est ce qu’on tire profit de ces investissements en termes de taxation, en termes de création d’emplois, d’infrastructures, en termes de renforcement de la structure économique ? Les ressources qu’on en tire qu’est-ce qu’on en fait ? Quel type de partenariat on vise ? Pour résumer, il faut penser en termes de diversification maitrisée de l’économie ». Faire en sorte d’investir dans la recherche développement et d’avoir un secteur privé fort dans chaque pays du continent pour porter cette économie devient ainsi une nécessité. Le développement d’un marché intra-africain l’est tout autant car avec l’Afrique du Sud et le Nigéria notamment comme moteurs, le potentiel est impressionnant. D’autant plus que les 430 milliards environ de dollars de réserve de change qui dorment dans les banques centrales africaines pourraient booster cette nouvelle politique économique. Mais pour en arriver là, un changement radical de mentalités s’impose.
A cette approche économique, il faudra ajouter une lutte plus efficace contre la corruption, le renforcement des institutions juridiques et gouvernementales ainsi que la diminution des risques politiques.
Sociétés émergentes versus marchés émergents
Lorsqu’ils font référence à l’Afrique, beaucoup de spécialistes des pays développés ou grands émergents et même, parfois, certains fils du continent parlent donc d’un marché émergent offrant actuellement plus d’opportunités que partout ailleurs ; « le lieu où il faut être pour faire du profit » dit-on. Or cette approche de l’émergence (concept en lui-même discuté par certains) met au second plan le volet social. Elle ne garantit pas que les fruits de la croissance profitent aux africains et se répercutent sur leur pouvoir d’achat. La nouvelle conscience africaine dont il est question ici cherche, quant à elle, à promouvoir des sociétés émergentes. La croissance y serait essentiellement portée par des africains et non par des multinationales promptes à rapatrier les dividendes tirées de leur activité vers d’autres destinations. Elle serait inclusive avec des richesses mieux redistribuées pour, d’une part, réduire l’écart de niveau de vie avec les citoyens des pays les plus avancés et, d’autre part, en interne, venir à bout des inégalités qui, sans cela, iraient en se creusant avec ce boom économique.
Les intellectuels porteurs de cette conscience africaine émergente ont le souci de ne pas laisser d’autres penser leur devenir à leur place. Ils tentent de questionner leurs choix, de se regarder et de regarder leur environnement sans complaisance, d’interroger le passé pour transformer ce présent dont nul ne pourrait se complaire malgré des projections souvent optimistes, en ne répétant pas les erreurs du passé.
Au suivisme dans la recherche effrénée d’une infinie croissance aux fragiles fondations en papier mentionnant une accumulation de dettes, ils préfèreront la sérénité d’une approche à la fois plus responsable, plus solidaire et plus préoccupée par les priorités actuelles et le sort des générations futures, procurant in fine la satisfaction du devoir accompli. C’est ce que certains appellent l’afro-responsabilité.
L’enjeu consiste dés lors en une prise en compte des succès et des échecs des orientations passées et présentes, une prise en charge des aspirations et espoirs des plus modestes, dans la réflexion pour la réalisation d’un développement à hauteur d’homme synonyme de mieux être pour tous. Il s’agit aussi de ne pas réduire la lutte contre la pauvreté à des actions d’assistanat visant les pauvres mais de faire le lien entre pauvreté et inégalités afin de s’attaquer aux causes dont la principale renvoie à une croissance mal redistribuée, et de vaincre le mal à la racine.
Etablir sa propre temporalité
La responsabilité des Etats africains et autres organisations d’intégration est engagée. Selon toujours Amadou Bachir Diallo de la BAD, plus d’unité s’impose pour pouvoir peser sur certaines décisions dans les instances internationales. Il faut aussi, avance-t-il, « une volonté politique, une réorganisation du système financier pour accompagner ce secteur privé qui portera une croissance africaine réelle, éviter la compétition entre le secteur public et le secteur privé, penser à développer une classe de jeunes entrepreneurs. Cela passe par une formation de qualité, des financements adéquats mais aussi la mise en place d’un réseau qui puisse guider leurs premiers pas dans la vie d’entrepreneur ».
L’écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr va plus loin. Il faut, de son point de vue, pour l’Afrique, rompre avec la référence externe et établir sa propre temporalité pour ne plus avoir comme horizon indépassable le projet de rattraper les champions d’un modèle qui a fini de montrer ses limites. Une étude menée par Oxfam révèle qu’en 2016, 1% de la population mondiale possèdera plus de la moitié du patrimoine. Les plus virulents détracteurs de cette étude réfutent les chiffres avancés mais conviennent unanimement du creusement des inégalités. Sarr rejette ainsi le modèle ayant conduit à cette dérive née d’un désir d’accumulation malsain érigé en norme et insiste sur « la nécessité de l’élaboration d’un projet social africain, partant d’une socio-culture parce qu’on ne peut avoir économiquement raison si on a socio-culturellement tort ».
Ce souci de changer de paradigme a une résonnance particulière au moment où la théorie du ruissellement voulant que l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité profite à la croissance car leurs revenus auraient pour finalité d’être réinjectés dans l’économie est en train d’être battue en brèche par le FMI lui-même. Le Fonds, longtemps favorable à cette thèse d’inspiration libérale, a reconnu dans un rapport publié récemment que plus les riches sont riches moins la croissance est forte. Les chiffres qui étayent cette position sont les suivants : lorsqu’à travers le monde la fortune des 20% les plus aisés augmente de 1%, le PIB global diminue quant à lui de 0,8%.
Aussi est-il aujourd’hui aisé de constater que les modèles de développement destructeurs de systèmes sociaux et d’équilibres naturels qui sont reproduits à l’identique un peu partout finissent par ne plus répondre aux exigences d’un développement durable et par creuser les inégalités dans une même société ainsi qu’entre pays au sein du système international.
Racine Assane Demba
Sources : ONU, Banque mondiale, FMI, OMC, CNUCD, BAD, Economy Watch, « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » ouvrage de Gabriel Mougani, « Développement : archéologie du concept » présentation de Felwine Sarr
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