En ce début de XXI° siècle, la situation du continent africain et de sa population suscite des débats passionnés et controversés. Schématiquement, les discours se structurent autour de deux pôles : les « afro-pessimistes » et les « afro-optimistes ». Les premiers posent une équation imparable : la démographie africaine est en plein boom, la population devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre entre 1,8 à 2 milliards d’habitants. Les économies africaines, très faiblement industrialisées, seront incapables d’accueillir cette nouvelle masse d’arrivants sur le marché du travail et les taux de chômage, déjà très fortement élevés, vont exploser.
L’Afrique du XX° siècle a déjà connu une urbanisation sans industrialisation. A la différence de l’Europe, l’exode rural ne s’est pas accompagné de la modernisation de l’agriculture et d’emplois industriels dans les villes à même d’intégrer au tissu économique les nouveaux arrivants. De plus, l’échappatoire de l’émigration vers de « nouvelles frontières » s’est bloqué pour les Africains de la seconde moitié du XX° siècle ; les visas coûtent chers et s’obtiennent difficilement, l’émigration clandestine se fait souvent au péril de sa vie. L’exode rural débouche donc en Afrique vers les bidonvilles autour des mégapoles et grandes villes, une population qui continue à vivre dans une économie d’autosubsistance par de petites activités de commerce ou de service dans le marché au noir, dans des conditions d’habitat souvent indignes et problématiques au niveau sanitaire, alimentaire, éducatif et tout simplement logistique (manque d’électricité). En 2010, sur les 400 millions de citadins estimés en Afrique, 60% vivraient dans des logements insalubres.
A cette urbanisation chaotique de l’Afrique s’ajoute une agriculture qui s’est très peu modernisée. A côté d’exploitations tournées vers l’exportation qui se caractérisent par une faible productivité et une spécialisation sur des produits agricoles souvent peu rémunérés et soumis à une concurrence inégale des produits du Nord, une très importante portion de la population continue à vivre d’une agriculture d’autosubsistance. Les afro-pessimistes soulignent également les conséquences du réchauffement climatique en Afrique, qui va considérablement handicaper les plans d’autosuffisance alimentaire. Le manque d’eau se fera beaucoup plus pressant dans la région sahélienne et certains prédisent déjà d’importantes migrations de population dans cette zone où les paysans risquent de ne plus pouvoir vivre de leur terre.
La vision d’avenir des « afro-pessimistes » est donc que ces problèmes se poseront bientôt à la puissance 2. Des mégapoles ingérables où prolifèreront les problèmes de santé publique comme le choléra ou les problèmes de pollution, une masse de jeunes désœuvrés radicalisés qui sera un terreau favorable pour toutes les formes d’extrémisme, une agriculture incapable de répondre aux besoins d’alimentation de sa population, ce qui débouchera sur des famines renouvelées, une balance commerciale déficitaire pour la plupart des économies nationales, des besoins en financement sans fin. Le cercle vicieux de la dette, de l’appauvrissement et du sous-développement ne serait donc pas prêt de se terminer pour le continent africain. A ce tableau noir s’ajoute l’absence criante de leadership en Afrique, la corruption endémique, bref, un environnement institutionnel faible et parasite qui ne serait pas prêt de changer dans les années à venir.
La vision d’avenir des « afro-optimistes » est différente à bien des égards. Ces derniers s’appuient principalement sur le retour de la croissance en Afrique, autour de 3% en moyenne durant la décennie 2000-2010[1], sur la constitution d’une classe moyenne à pouvoir d’achat élevé et au consumérisme affirmé, pour diagnostiquer les signaux « d’émergence » de nombre d’économies africaines. Plusieurs pays, les « lions de l’Afrique », seraient appelés à suivre les glorieuses traces de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. L’Afrique serait le futur relais de croissance de l’économie mondiale, un marché potentiel énorme pour les produits des grandes multinationales comme en témoigne le succès inattendu du secteur des télécoms. Alors que les pays développés vont bientôt faire face à une équation démographique très compliquée où la part des inactifs par rapport aux actifs va fortement augmenter, équation qui se posera d’ailleurs également pour des pays émergents comme la Chine, la vitalité démographique africaine serait son meilleur atout pour l’avenir. Les taux de scolarisation y ont fortement augmenté, une classe moyenne supérieure se forme aux meilleures écoles occidentales, le marché du travail africain devrait donc être le principal vivier en ressources humaines des années à venir. D’aucuns prédisent qu’après l’Asie, c’est à l’Afrique que profiteront les délocalisations d’industrie dans notre économie mondialisée, de même que la délocalisation de services. Enfin, ajoutent-ils, l’Afrique part de tellement bas qu’elle ne peut que rattraper ses concurrents dans l’économie-monde. Bien que rassemblant 12% de la population mondiale, le continent africain ne représente actuellement que 1% du PIB mondial et 2% du commerce international. Dans la conception téléologique de la mondialisation libérale, l’Afrique ne peut que rattraper son retard.
Ce discours a connu un certain engouement durant les années 2000. Trois facteurs, à mi-chemin entre le conjoncturel et le structurel, ont apporté de l’eau à ce moulin. Tout d’abord, la croissance phénoménale des investissements étrangers privés en Afrique. Ensuite, la hausse des prix des matières premières, qu’il s’agisse des ressources minières, pétrolières ou gazières du sous-sol africain ou des produits agricoles qui constituent l’essentiel des exportations de nombre de ces pays. Même si les prix de certaines de ces matières premières s’est infléchi ces dernières années, l’analyse structurelle qui part de l’hypothèse de l’augmentation constante de la demande mondiale tirée par les grands pays émergents, et notamment la Chine, induisant une hausse à moyen terme du prix de ces matières premières, reste globalement recevable. Enfin, le dernier argument des années 2000 ayant suscité la vague d’afro-optimisme est celui des progrès de la démocratie en Afrique, de la maturation du processus de « state-building » par rapport aux décennies précédentes. De nombreuses alternances politiques (Sénégal, Ghana, Libéria, Bénin) ont illustré ce mouvement. Les coups d’Etat militaire ne sont plus la voie royale pour renverser un gouvernement. La communauté internationale, et notamment l’Union africaine, a fait peser des contraintes qui ont poussé les militaires putschistes a rendre le pouvoir aux civils aux termes d’élections plus ou moins neutres. L’exemple isolé d’Amadou Toumani Touré au Mali en 1991 s’est répété en Guinée Conakry en 2010 et au Niger en 2011. Les nombreux démêlés électoraux de la fin de la décennie 2000, ceux du Kenya en 2008 ou de la Côte d’Ivoire en 2010, ne seraient que les symptômes de la maturation du champ politique africain, les pratiques de bourrage d’urnes, d’élections trafiquées, ne passant plus comme lettre à la poste.
Bien que chacun de ces deux types de discours comporte une part de vérités, aucun d’eux n’est vraiment satisfaisant. (à suivre)
Emmanuel Leroueil
[1] : Bien que faible en tant que tel pour une économie en voie de développement, cette moyenne de 3% de croissance est supérieure à la moyenne mondiale sur la décennie 2000-2010, ce qui constitue une nouveauté pour l’Afrique dont la croissance était auparavant inférieure à la croissance mondiale.
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Comme tu l’as dit en substance, Emmanuel, la force de l’Afrique s’avère aussi être sa faiblesse.
Les prévisions démographiques pour le continent sont telles, que le monde ne pourra plus longtemps détourner son regard, car, l’Afrique deviendra le débouché idéal pour bien des entreprises. Encore faut-il que la demande soit solvable. Ce qui pose immédiatement la question de la gestion de ce « boom » démographique, que nous avons déjà traité à plusieurs reprises sur le site.
Il est compliqué, en l’état actuel des choses, de s’imaginer que ce bouleversement démographique puisse être une solution plutôt qu’un problème. Et pourtant, l’émergence de classes moyennes solvables et tournés vers la consommation de masse ; la création de structures éducatives et de santé, solides, tendent à prouver le contraire.
De la matière à cogiter.
Monsieur Djossou nous pouvons compter sur l'énergie autre que le pétrole.Il y a en Afrique: le vent;le soleil; l'énergie thermique;l'eau sur toutes ses formes.Formidable n'est ce pas?
Loin de constituer une fatalité pour l'Afrique -du moins pour ceux qui accordent encore de la valeur aux idées malthusiennes; lesquelles idées ont néanmoins une part de vérités-, le boom démographique est à mon sens plutot un atout pour l'Afrique. A condition, bien évidemment que les ressources humaines en question soient de bonne qualité. Ce qui suppose une bonne formation et par delà outre un investissement du continent dans les sciences et technologies, une recherche permanente de la croissance économique, valeur qui n'a de sens que dans la compétivité. Oui, l'Afrique peut réaliser ce défi. Tout ce qui reste, je crois, c'est une réelle volonté politique; laquelle volonté politique doit etre soutenue par le peuple ou les masses, instruites, ignorantes ou inexpérimentées soient-elles.