L’aventure démographique africaine telle qu’elle est prédite dans les projections de la Division de la population des Nations Unies est phénoménale. En 2050, l’Afrique va doubler sa population et sera le continent le plus peuplé avec plus de 2,5 milliards d’habitants. En 2100, la population africaine sera de 4,2 milliards d’habitants. Par exemple, le Nigeria, avec une population de 206 millions de personnes aujourd’hui, atteindra 400 millions d’âmes en 2050. Un enfant né aujourd’hui au Burundi (qui compte environ 12 millions d’habitants) verrait son petit-fils naître dans un pays qui aura quadruplé sa population. Le Niger triplera (presque) sa population en l’espace de 30 années en passant de 24 millions d’habitants en 2020 à 66 millions de personnes en 2050. La République Démocratique du Congo, avec une population de 89 millions de personnes aujourd’hui, atteindra environ 362 millions d’individus en 2100. Il y aura une centaine de villes à plus d’un million d’habitants sur le continent d’ici à 2050.
Des projections à prendre avec des pincettes
Pour pouvoir faire une estimation possible de la population d’un pays dans quelques décennies, il faut un certain nombre de conditions initiales. Tout d’abord, il faut avoir une idée de la population actuelle, disposer de données fiables sur la population initiale, par sexe et âge (recensements) et les niveaux initiaux de la mortalité, de la fécondité et migrations (état civil, enquêtes, etc.) ; ce qui n’est pas trivial car il est admis qu’à tout instant, la population d’un pays est connue au mieux avec une précision de l’ordre de 2%. L’imprécision des conditions initiales est encore plus grande dans le cas du continent africain. Dans le rapport African Governance Report 2019 de la fondation du milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim, on note que, seulement huit pays en Afrique sont dotés d’un dispositif fiable d’enregistrement des naissances. De plus, plusieurs pays africains n’ont effectué aucun recensement de population sur la dernière décennie. En l’occurrence, la République Démocratique du Congo n’a pas effectué de recensement de sa population depuis 30 ans. Avec de telles incertitudes sur les conditions initiales de l’exercice de projection démographique, on peut légitimement prendre avec beaucoup de pincettes les résultats. Par exemple, si l’on reprend les travaux de la Division de la Population des Nations Unies en 1994, ils prévoyaient 170 millions d’habitants en Iran en 2050 ; ceux de 2019 tablent sur 100 millions. Toutefois, l’analyse démographique n’est pas farfelue. Elle indique des tendances lourdes et les projections démographiques sur une ou deux décennies sont souvent justes en raison de l’inertie des populations humaines.
L’inanité des craintes d’inspiration néomalthusienne
Pour nombre d’experts, la croissance démographique africaine serait un obstacle au développement économique du continent. Pour eux, l’objectif de la croissance qui est la hausse du revenu par tête est, en effet, la maximisation d’une expression ayant au dénominateur le paramètre population ; ce qui justifie l’idée selon laquelle une hausse démographique agirait donc négativement sur le revenu moyen, c’est-à-dire le PIB par tête. C’est ainsi que l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, au forum du think tank Dialogue of Civilizations Research Institute en octobre 2017, vient à dire que « si nous ne réduisons pas la taille de nos familles, notre pays continuera à souffrir de la pauvreté parce que les ressources disponibles ne pourront plus couvrir nos besoins ». Ce raisonnement est un sophisme : c’est le sophisme du gâteau fixe. L’accroissement démographique a fait partie intégrante du processus de développement dans les pays aujourd’hui économiquement avancés et riches. L’épisode du baby-boom juste après la Seconde Guerre mondiale est particulièrement illustratif. Il serait approximatif de considérer la croissance démographique de l’Europe au XIXe siècle comme ayant eu une influence déprimante sur le développement économique de cette dernière. La passivité de l’homme quand il rencontre des problèmes économiques liés aux ressources naturelles ne sera qu’un mythe malthusien. L’innovation est une fonction directe de l’effectif de la population. Cela nous rappelle la savante phrase du philosophe Jean Bodin : « il n’est de richesse que d’hommes ». Il est évident que la croissance démographique constitue un défi important pour tous les Etats du monde et pour tous les pays d’Afrique subsaharienne en particulier (hausse des demandes et besoins de la collectivité, en termes d’infrastructures, de politiques publiques, d’éducation ou de santé par exemple). Mais, en dernière analyse, la croissance économique repose sur deux piliers : la démographie et la productivité. La démographie africaine est plutôt un atout pour le continent. Par exemple, d’après les projections de Renaissance Capital, banque d’investissements russe axée sur les marchés émergents, l’Afrique sera une économie de 29 000 milliards de dollars d’ici à 2050-2060, soit plus que le PIB combiné des États-Unis et de la zone euro en 2012. La structure de la population africaine est un atout indéniable. Elle est constituée en très grande majorité de jeunes avec un âge médian d’environ 19 ans. C’est une opportunité pour les fonds de pension, qui pourraient accumuler l’épargne de ces derniers pendant les 40 prochaines années sans avoir la pression des paiements que l’on observe dans les économies développées qui ont une population vieillissante. C’est un immense réservoir de capitaux à long terme pour le financement de l’économie réelle, notamment les infrastructures et le logement.
« Angoisse populationnelle » injustifiée
La hausse de la population africaine se transsubstantiera-t-elle en une « bombe migratoire » ? Telle est l’inquiétude des leaders européens ; à juste titre car le continent européen est distant de 14 kilomètres de l’Afrique au détroit de Gibraltar. Inutile inquiétude. En 2019, notre planète comptait 272 millions de migrants internationaux soit à peu près 3,2% de la population mondiale. La contribution de l’Afrique subsaharienne dans ce mouvement de déplacement mondial est de 8,7% seulement. De plus, 70% des migrants subsahariens restent sur le continent africain. Donc, loin des discours cafardeux des prophètes du « péril noir », la migration africaine est d’abord intracontinentale. Et « il n’existe pas de lien mécanique entre la croissance démographique et celle du taux de migration », Jean-Christophe Dumont, chef du département des migrations internationales à l’OCDE.
La meilleure méthode contraceptive c’est le développement économique
L’on pose souvent le postulat suivant : pour faire chuter à un rythme soutenu le niveau de fécondité des subsahariens, il faut initier une révolution contraceptive. Malheureusement, le taux d’utilisation des méthodes contraceptives est estimé à 26% en Afrique subsaharienne contre une moyenne de 75% dans les pays riches. La religion et la culture expliqueraient ce faible taux de contraception. Aussi, les centres médicaux, souvent situés à des centaines kilomètres des ménages, sont-ils en rupture de stock de contraceptifs de façon récurrente, décourageant ainsi certaines femmes désireuses de suivre un programme de contraception. Il est maintenant admis que la quasi-absence des assurances santé, vieillesse, chômage couplée à des revenus faibles et donc une capacité d’épargne des familles limitée conduit les personnes à compter sur la solidarité familiale. Les femmes nigériennes ont en moyenne 7 enfants, mais seulement 3 enfants seront encore en vie à l’âge adulte au moment où leurs parents seront dans l’incapacité de travailler en raison de leur âge. Ainsi, en l’absence de systèmes d’assurances santé et vieillesse performants, tout soutien financier ou matériel pour les parents ne pourra-t-il venir que de leurs enfants. Il est donc parfaitement rationnel que les ménages nigériens aient une fécondité élevée. La leçon à retenir est que la meilleure méthode contraceptive c’est le développement économique.
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