Alors que les relations tissées entre la Chine et l’Afrique suscitent un intérêt important (et au passage certaines inquiétudes), l’émergence de l’Inde sur le continent est pratiquement passée inaperçue.
Si le volume des échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique reste trois fois moins élevé que celui avec la Chine, le poids de l’Indafrique est réel et en plein boom. Ces échanges aujourd’hui estimés entre 40 et 60 milliards de dollars par an, pourraient atteindre 90 milliards d’ici 2015.
Une présence ancienne
Les relations commerciales entre les rives de l’Océan Indien sont séculaires, grâce à la mousson qui permettait de conduire les épices indiennes jusque dans les ports d’Afrique de l’Est.
L’immigration indienne en Afrique, qui date de la période coloniale anglaise, a joué un rôle majeur dans le développement de ces relations et permis d’établir des communautés importantes en Ouganda, Tanzanie, Kenya et Afrique du Sud.
Ainsi, Gandhi a vécu en Afrique du Sud et y a exercé en tant qu’avocat durant de nombreuses années. Jeune avocat arrivé en 1893, c’est en Afrique qu’il mettra pour la première fois en pratique sa vision d’une désobéissance civile non-violente, et son combat politique commencera donc par la lutte pour les droits civiques de la communauté indienne en Afrique du Sud.
Ces liens économiques et humains ont été renforcé par la solidarité politique née de la décolonisation et du mouvement des non-alignés. L’Inde et l’Afrique entretiennent des relations politiques depuis les années 1950, même si les relations économiques en sont restées à un niveau limité.
Les groupes indiens en force dans les télécoms
Dans un premier temps, l’initiative du développement des échanges en est surtout revenue à aux groupes privés indiens. Le groupe Tata a été le fer de lance de la stratégie africaine de l’Inde depuis les années 1960, principalement dans les secteurs des télécommunications et de l’automobile.
Activant également dans le secteur des télécoms, Bharti-Airtlel est même devenu le troisième plus grand opérateur mobile sur l’ensemble du continent africain, et déploie son réseau dans plus de dix-sept pays.
Dans les transports, Kalinda Rail, le constructeur du métro de New Delhi, a été chargé de rénover les chemins de fer du Ghana. Le laboratoire pharmaceutique Cipla et ses médicaments génériques contribuent à améliorer la situation sanitaire dans de nombreux pays comme l’Ouganda, le Togo, le Cameroun, le Nigeria.
Enfin, Karuturi Global, l’un des leaders mondiaux de la production de roses, investit prés de 100 millions de dollars pour produire des denrées alimentaires en Ethiopie.
Les groupes indiens cherchent souvent à se différencier des entreprises chinoises, et à avoir un plus grand impact social. Elles s’attachent ainsi à employer davantage une main-d’œuvre locale, et à établir des partenariats avec des entreprises africaines.
Ces dernières années, le secteur privé indien a ainsi acquis des dizaines de sociétés dans différents secteurs et vise des investissements à long terme. Il mise surtout sur les besoins d’un continent de plus d'un milliard d'habitants, au profil de consommation très similaire à celui de l'Inde.
« L’institutionnalisation » de l’Indafrique depuis 2007
Une nouvelle étape de la coopération entre l’Inde et l’Afrique a été franchie en octobre 2007, avec la visite du Premier ministre indien, Manmohan Singh au Nigeria. Ce fut en fait la première visite d’un chef du gouvernement indien en Afrique de l’ouest depuis celle de Nehru, en 1962!
Cette visite a été suivie par le premier sommet Inde-Afrique à Delhi en avril 2008 auquel ont participé quatorze chefs d’État africains. Les liens économiques entre les deux continents ont encore été renforcés lors du second sommet Inde-Afrique qui s’est tenu en mai 2011 à Addis-Abeba. Ces deux rencontres au sommet ont permis de lancer un véritable partenariat stratégique entre l’Inde et les États africains.
En termes de commerce, cinq pays Africains absorbent près des deux tiers des échanges avec l’Inde. Sans surprise, l’Afrique du Sud est son premier partenaire commercial, devançant le Nigéria, le Kenya ou l’Egypte.
A l’instar de la Chine, la machine économique indienne fait face à des besoins économiques colossaux. Avec une croissance supérieure à 8 %, 1,2 milliard d’habitants, et plus de 70 % de la consommation pétrolière du pays achetée à l’étranger, l’Inde cherche à se placer sur les marchés africains et à sécuriser ses approvisionnements.
Le pays manifeste en échange sa confiance dans l’avenir de l’Afrique en y consacrant des investissements importants dans la construction d’infrastructures, les nouvelles technologies et la santé (par exemple avec le développement de la télémédecine depuis 2009). L’Inde a également dépensé plus de 200 millions de dollars dans le Nouveau partenariat pour le développement africain (NEPAD).
Les défis d’un partenariat durable
S’il est sans doute encore trop tôt pour mesurer l’impact de l’Indafrique sur le développement du continent, il convient de noter que la balance des échanges commerciaux entre l'Afrique et l'Inde reste clairement déséquilibrée.
L'Inde exporte en Afrique des produits manufacturés comme des voitures, des produits cosmétiques (en Egypte, un produit sur six serait indien), ou d'autres produits de consommation. Les exportations africaines relèvent quant à elles toujours du secteur primaire, à savoir essentiellement les hydrocarbures, l’agriculture et les produits miniers.
La place de l’Afrique dans les échanges commerciaux de l’Inde est encore marginale comparée aux autres parties du monde (moins de 5% du commerce du total des échanges commerciaux).
Aujourd’hui, l’Inde s’impose en tant que puissance émergente avec des ambitions mondiales. Elle voit dans le continent africain (et les 54 pays qui le composent) à la fois un allié politique de taille, un fournisseur de matières premières, et un marché de plus d’un milliard de consommateurs.
Du coté Africain (et tout comme la Chine), l’Inde ouvre la voie à de nouvelles opportunités à saisir, puisqu’elle permet une diversification des partenaires du continent et permet de réduire le poids économique (donc politique) des anciennes puissances coloniales.
L’Afrique a certainement beaucoup à gagner de sa coopération avec l’Inde. Elle pourrait en particulier s’appuyer sur l’Inde pour assurer des transferts de technologies à moindre cout, notamment dans le domaine informatique. Elle pourra également bénéficier du savoir-faire agricole de l’Inde, dont la « révolution verte » est toujours considérée comme une référence.
Les Etats Africains pourront en outre s’inspirer des réformes indiennes en vigueur depuis 1990 pour permettre le développement d’un secteur privé performant capable non seulement de tirer la croissance intérieure, mais aussi d’être compétitif au niveau international.
Nacim KAID SLIMANE
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Anecdote personnelle. Actuellement en Afrique de l'Est, j'ai été étonné de constater que de nombreux étudiants africains d'Ouganda, du Rwanda ou du Kenya partent en Inde poursuivre leurs études supérieures. Le cout de la vie y est moins cher, l'obtention du visa plus facile, et l'enseignement plutot de bonne qualité. De plus, ces étudiants tissent des réseaux sociaux qui peuvent les aider ensuite à monter un business avec des indiens dans leur pays d'origine, ces derniers y étant très actifs dans les affaires comme le souligne l'article. Apparemment, pour les étudiants est africains qui souhaitent partir à l'étranger, les destinations favorites sont, dans l'ordre de préférence, les USA, l'Europe, L'Afrique du Sud et enfin l'Inde. Cette dernière destination étant toutefois la plus facile, ils sont de plus en plus nombreux à s'y rendre pour leurs études.