Selon les experts, les Africaines fournissent 70 % de la production alimentaire, constituent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole et s'occupent de 80 % à 90 % de la transformation, du stockage et du transport des aliments, ainsi que des travaux de sarclage et de désherbage. Cependant, les femmes n'ont souvent pas droit à la propriété foncière, souligne Joan Kagwanja, expert de l'ONG Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), présente auprès de petits planteurs. Ce droit est généralement réservé aux chefs de famille, qui sont des hommes, et les femmes n’y ont généralement accès que par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin, souvent leur père ou mari. Et même dans ce cas, elles sont obligées chaque fois de remettre à un homme le revenu des ventes de produits agricoles et ne peuvent généralement pas décider de l’usage qui en sera fait.
De plus, cet accès limité aux terres est très précaire. D’après une étude réalisée en Zambie, plus du tiers des veuves sont privées d’accès aux terres familiales à la mort de leur mari. « C’est cette dépendance à l’égard des hommes qui rend de nombreuses femmes africaines vulnérables », explique Mme Kagwanja à Afrique Renouveau. La progression du VIH/sida et l’opprobre qui entoure la maladie n’ont fait que fragiliser davantage les droits fonciers des femmes. Les veuves dont les maris sont morts du sida ont souvent été accusées d’avoir introduit la maladie dans la famille. Il est arrivé que leurs terres et d'autres biens leur soient confisqués pour cette raison. Face à cette situation, les militants de la cause des femmes luttent pour faire adopter ou renforcer des lois visant à faciliter l'accès des femmes aux terres. Ils combattent les normes sociales et les pratiques traditionnelles qui s’y opposent. Et réalisent des progrès ici et là, en dépit de nombreux obstacles.
Le poids de l’histoire
Les chercheurs de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) de Washington notent que la marginalisation des femmes en matière de droits fonciers est un problème très ancien en Afrique. Avant la colonisation, la propriété et l'accès aux terres revêtaient diverses formes mais revenaient essentiellement aux lignées, clans et familles, sous le contrôle de chefs masculins. Les membres d’une lignée ou d’un clan particulier devaient donc consulter leur chef avant d’utiliser les terres. À l’exception de quelques communautés où l’héritage se transmettait par la mère, les droits fonciers revenaient seulement aux fils. Les femmes avaient rarement droit à la propriété foncière. Elles étaient considérées comme des ayants droit secondaires, par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin. Avant le mariage, une femme pouvait avoir accès aux terres de son père. Mais dans de nombreuses communautés, elle perdait ce droit en se mariant, car on supposait qu’elle aurait alors accès aux terres de son mari ou de sa belle-famille. Quand le mari mourait, ses terres revenaient à leurs fils, s'ils en avaient eu, sinon à un parent de sexe masculin.
Benjamin Cousins, agronome et enseignant à l'université de Western Cape en Afrique du sud, indique que par le passé, les femmes étaient protégées par des traditions qui leur permettaient d’avoir accès aux terres même après la séparation, le divorce ou la mort de leur époux. Il existait également des moyens d’arbitrage traditionnels auxquels les femmes pouvaient recourir en cas de refus. Mais la colonisation a importé les régimes fonciers occidentaux. En Afrique orientale et australe, le nombre élevé de colons blancs a favorisé la privatisation et le morcellement des terres détenues sous des titres francs individuels. En Afrique de l’Ouest, la plupart des terres sont restées des biens collectifs, gérés par les chefs traditionnels. A l’indépendance, certains gouvernements nouvellement formés, par exemple en Tanzanie, au Mozambique et au Bénin, ont nationalisé toutes les terres. Au Kenya et en Afrique du Sud, la propriété privée a coexisté avec la propriété par lignée ou par clan. Au Nigéria, l’État était également propriétaire, particulièrement en milieu urbain.
Au fil des ans, l’augmentation rapide de la population a contribué à la surexploitation des terres et à l’appauvrissement des sols. Les terres fertiles ont pris de la valeur et attisé la convoitise des acheteurs. Associées à l’évolution des structures familiales et des relations entre clans, ces pressions ont fragilisé les mécanismes sociaux traditionnels qui garantissaient aux femmes l’accès aux terres. Si bon nombre de conflits fonciers en Afrique sont encore officiellement régis par le droit coutumier, « de nombreux mécanismes de protection des femmes n’ont pas survécu » à la modernité, relève M. Cousins. De plus, il existe aujourd’hui de nombreuses situations, telles que la cohabitation sans mariage, ne relevant pas de la tradition. Par conséquent, « beaucoup de femmes n’ont plus accès aux parcelles de terres ». Aujourd’hui, de nombreux pays africains appliquent aussi bien le droit « traditionnel » de la propriété foncière que des lois calquées sur le modèle occidental. Au Nigéria, après l’indépendance acquise en 1960, l’État a pris possession de toutes les terres. Cela a certes fragilisé le régime foncier coutumier, mais le droit traditionnel a continué à être reconnu dans les régions où les terres étaient depuis longtemps la propriété des clans et des familles. L’application de la sharia dans les États du Nord du Nigéria a encore compliqué la situation.
Titres de propriété
Une des solutions préconisées à l’origine par les experts du développement occidentaux pour remédier aux lacunes du droit coutumier consistait à donner des titres de propriété aux individus. Esther Mwangi, spécialiste du droit foncier à l’université de Harvard, observe que les gouvernements de l’Afrique orientale et australe ont suivi cette approche pour permettre aux individus d’être officiellement propriétaires de leurs terres. Cette politique devait donc permettre aux femmes de disposer de droits fonciers reconnus par la loi, pour des biens qu’elles possédaient ou avaient reçus en héritage. « Dans les régions où je mène des recherches, la privatisation a en réalité privé les femmes de leur accès aux terres », explique Mme Mwangi à Afrique Renouveau. Lors de l’attribution de titres fonciers, ce sont les noms des hommes qui ont généralement été inscrits sur les registres parce que c’étaient eux les « chefs de famille ». Les veuves qui avaient la chance d’obtenir des terres ne recevaient que les plus petites parcelles.
Pour garantir l’accès des femmes aux terres, les militants du droit à la terre proposent de séparer la propriété officielle des terres de leur usage. Le titre de propriété d’une parcelle pourrait ainsi être établi au nom d’un homme, mais celui-ci n’aurait pas le droit de la vendre sans l’accord de sa ou de ses femmes ou d’autres héritiers. Le Ghana dispose d’une loi qui empêche le chef de famille de vendre des biens de la famille sans que les autres membres en soient informés, aient donné leur accord ou en perçoivent les bénéfices. « Une autre solution consisterait à établir le titre de propriété au nom des familles ou des hommes et des femmes », propose Mme Mwangi. « Lorsque les ressources telles que l’eau, l’assainissement et les pâturages doivent être partagées, des communautés entières sont ainsi reconnues propriétaires de la terre, et tout le monde bénéficie d’un accès égal », ajoute-t-elle.
Mais de telles idées sont plus faciles à proposer qu’à mettre en œuvre. Les militants du droit des femmes à la terre ont essayé de faire adopter des lois dans plusieurs pays, avec des résultats mitigés. En Ouganda, l’Uganda Land Alliance a fait pression pour que les titres de propriété soient établis à la fois au nom des hommes et des femmes, comme copropriétaires, mais ce projet de loi a été présenté à de nombreuses reprises au Parlement sans jamais être adopté. Là où des lois progressistes sont adoptées, les choses ne s’améliorent pas nécessairement. Au Mozambique, des groupes de la société civile ont fait adopter en 1997 une loi garantissant aux femmes l’accès aux terres et aux biens. « L’adoption de cette loi fut une victoire », a déclaré Lorena Magane de la Rural Association of Mutual Support à un journaliste. Mais Rachael Waterhouse, rédactrice d’un rapport sur l’égalité des sexes et les terres au Mozambique, estime que si la loi était bonne en théorie, sa mise en œuvre s’est avérée difficile parce que les tribunaux coutumiers, auxquels la plupart des femmes en milieu rural font appel, considèrent encore l’homme comme le chef de famille et, par conséquent, le détenteur de l’autorité légitime sur les terres.
Au Ghana, la loi de 1985 sur la succession ab intestat et celle relative à l’obligation de déclaration du chef de famille visaient à assurer la sécurité des veuves et des enfants. Si un homme mourait sans laisser de testament, la loi sur la succession stipulait que ses biens seraient équitablement répartis entre sa veuve, ses enfants et les autres membres de la famille étendue. Mais selon une étude réalisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans la région de la Volta, au Ghana, peu de femmes étaient au courant de ces lois et les pratiques traditionnelles continuaient de régir le droit à l’héritage. De ce fait, de nombreuses femmes n’avaient plus accès aux terres après la mort de leur conjoint.
Mary Kimani, article initialement paru sur Afrique Renouveau, revue d'analyse sur l'Afrique éditée par l'ONU
Crédit photo 1 : Redux / Hollandse Hoogte / Arie Kievit, photo illustrant un champ de mais au Malawi.
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