Lorsqu’on parle du Green Business en Afrique, la première idée qui émerge est celle de l’énergie solaire pour pallier l’accès difficile à l’électricité. A eux seuls, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne comptent 80% des 1,5 milliard d’habitants lésés par une alimentation électrique défaillante, faute de moyens techniques et financiers.[1] L’énergie solaire n’est pas seulement une alternative : constitué de douze entreprises allemandes, le projet DESERTEC estime qu’en couvrant 1% de la planète de panneaux solaires, on fournirait plus d’énergie que l’on en consomme en une année. Le projet entend recouvrir les déserts du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de panneaux solaires pour vérifier ses études.[2] Fortement ensoleillée pendant 325 jours par an[3], l’Afrique subsaharienne semble être la zone la plus indiquée, non seulement pour sa propre alimentation en énergie, mais aussi pour l’alimentation en énergie du monde. La solution semble toute trouvée. Alors pourquoi tarde-t-elle tant à être appliquée ?
Docteur en Génie électrique de l'ENS de Cachan, spécialisé depuis quelques années dans les énergies renouvelables, Ahamada Baroini, fondateur de la société Krytech (Krytec Technologies), nous fait part des blocages et des perspectives d’avenir qu’ouvre la piste solaire.
Un secteur verrouillé
Alimenter l’Afrique en énergie solaire, cela fait plus de six ans qu’Ahamada Baroini y pense. Il a voulu voir plus grand que les lampes solaires ou les panneaux. Après avoir tenté de solidifier des partenariats en Algérie, Côte d’Ivoire, Ghana et au Tchad, il s’est tourné un moment vers le co-développement, via des initiatives soutenues par l’Agence Française pour le Développement. Les secteurs visés étaient l’électroménager, l’éclairage et l’alimentation des sites isolés. Mais le secteur de l’énergie, en Afrique, dépend énormément des sociétés d’envergure déjà en place, dont la principale source de revenus repose sur les énergies fossiles : groupes électrogènes alimentés au pétrole, centrales nucléaires.
« J’ai commencé à travailler sur les premiers frigos solaires en Algérie, avec un associé. Ensemble, nous avons traité avec les grands groupes capables d’investir dans nos projets. Mais alors que les produits étaient encore à l’état de prototypes, le fabriquant d’un des composants que j’utilisais m’appelle pour me dire qu’il a soudainement reçu des commandes de plus de 2000 pièces dont le prix unitaire est d’environ 120 €. Le produit n’était pas encore testé; il y avait donc eu une fuite de l’information. Il faut comprendre une chose : fabriquer des objets innovants volumineux implique de mettre en péril toute une industrie reposant sur les énergies fossiles, lesquelles permettent à des sociétés implantées depuis plusieurs années de perdurer. Menacer cette place, c’est menacer un équilibre économique établi. S’il s’effondre, il faudra plusieurs années à ces sociétés pour se relever.
« Dans le cas du co-développement le même problème se pose », poursuit-il. "Car les idées sont très vite reprises et transmises dans le réseau. Un réseau que je suppose être constitué d'officines de grands groupes français et/ou des services français, qui, eux aussi, préservent, en collaboration avec les pouvoirs locaux, leurs zones d’influence et d’intervention « humanitaire » pour consolider leur position. En cas de refus de coopération, vous trouverez vos projets émerger sous d’autres formes, dans d’autre plateformes associatives ou ONG. De plus, le soutien d’un politique est souvent nécessaire pour faire avancer votre dossier, vous risquez ainsi d’être injustement catalogué à Droite ou à Gauche d’un parti politique, comme ce fut mon cas suite à la présentation de mes activités".
Economie et politique : les liaisons dangereuses
Pour que le business de l’énergie solaire pénètre avec force en Afrique, il faut pouvoir franchir une barrière qui s’est consolidée au fil des années. Celle-ci est constituée d’un marché centralisé par les Etats et de dirigeants de sociétés qui sont très proches du pouvoir. Y entrer sans jouer le jeu politique se révèle très vite une démarche compliquée. « Par ailleurs, », rappelle Ahamada Baroini, « si les différents secteurs concernés par l’énergie solaire comme les batteries en lithium Ion impliquent des produits coûteux mais de longue durée, ils portent un coup à certains corps de métier, notamment celui de la fabrication des groupes électrogènes. Avec l’accroissement des coupures électriques, les groupes électrogènes sont devenus un accessoire indispensable, et les sociétés qui les fabriquent et les commercialisent ont vu leur place se pérenniser. C’est également un pan de l’économie qui reste très lié au pouvoir, et il est malheureusement difficile de proposer une alternative qui mettrait tout un corps de métier sur le déclin ». Cependant, il existe des solutions.
Les solutions
Agir avec les pays émergents via le visage d'une association : cela s’est produit récemment avec des femmes d’une association Camerounaise, parties en Inde pour apprendre divers usages de l’énergie solaire, l’extraction d’eau dans les zones difficiles d’accès en l’occurrence.
Mais je pense qu’il faut impérativement créer des collectifs avec les jeunes de la diaspora qui ont des compétences en électricité nécessaires pour maitriser l'énergie solaire, et les faire participer à des petits projets en lien avec des associations basées en Afrique.
Le recours au financement participatif : j’encourage le recours aux plateformes de ce type, qui se multiplient et permettent de monter sur pied des projets qui, mis bout à bout, peuvent considérablement changer les choses.
Propos recueillis par Touhfat Mouhtare
Laisser uncommentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués par *
Voilà le genre d'intervention qui démontre les vastes fumisteries dans lesquelles on enferme les opinions publiques. Les données fournies par cet ingénieur sont éloquentes. On serait même tenter d'en douter. Alors que l'on culpabilise le citoyen lambda en Occident pour les excès de production de gaz carbonique, on bride d'un autre côté les efforts pour le développement d'une économie "verte". Les gros lobbies exerçant des contraintes trop puissantes pour "bloquer" ce type d'initiative.
Merci pour cet interview, Touhfat.