Frantz Fanon a vu le jour en Martinique, en 1925, dans une famille relativement aisée, plutôt assimilationniste qu'indépendantiste. Comme beaucoup d'autres jeunes de sa génération, il aurait pu fermer les yeux et rester muet devant la misère et l'oppression de son peuple. Mais voilà, « il y a de ces hommes qui naissent engagés, ils n'ont pas le choix » ; Frantz Fanon était de ceux-là. En 1940, alors qu'il n'a que 16 ans, il pose son premier acte d'engagement important. A l'époque, c'est le début de la seconde guerre mondiale, les Antilles (la France ayant été vaincue) sont alors sous administration de l'Amiral Robert, représentant du Maréchal Pétain. « Le régime du pacte colonial inauguré par Colbert, et toujours en vigueur, s'aggrave car il épouse les termes de Gobineau sur l'inégalité des races ». Des jeunes Martiniquais, ressentant alors dans leur propre chair et âme les morsures du racisme, partent en dissidence et rejoignent les forces alliées anglaises de la Dominique. Fanon est l'un de ces dissidents. II se porte volontaire pour participer à la guerre contre Hitler.
Quand on lui demande ce qu'il va faire dans cette guerre de Blancs, Fanon répond : « A chaque fois que la liberté est en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs, Jaunes, Kakos. Chaque fois, et en quelques lieu que 1a liberté sera menacée, je m'engagerai ». Mais voilà, Fanon va subir un choc en découvrant le racisme au sein de "l'armée de la liberté" : « Nous Antillais, servons dans l'Armée Française à titre d'Européens à côté de nos frères africains qui servent à titre d'indigènes. Pour nous distinguer les uns des autres, nous portons le calot, les soldats africains portant la chéchia, mais dans le camp nous vivons ensemble avec les vrais européens, les vrais français, les Blancs. II suffit que nous nous promenions tête nue dans le camp européen pour subir le tutoiement imbécile du caporal ou le coup de pied aux fesses. » A la fin de la guerre, Frantz rentre sain et sauf en Martinique. Dans son île, Fanon mène une intense activité militante et participe notamment à la campagne du candidat communiste pour la première Législature de la 4éme République, candidat qui n'est autre qu'Aimé Césaire. En 1946, après avoir passé son bac, Fanon obtient une bourse d'études pour Lyon, à titre d'ancien combattant.
Le psychiatre
A Lyon, il partage son temps entre la lecture de la philosophie, la médecine et la neuropsychiatrie. Le contact permanent avec les travailleurs immigrés de Lyon et la confrontation quotidienne avec le racisme l'amènent à faire une étude magistrale sur le phénomène de l'intériorisation du regard raciste du colonisateur par le colonisé qui crée chez celui-ci le phénomène de l'aliénation culturelle. Fanon se propose de soutenir ce travail comme thèse de doctorat. Cette étude, ou plutôt ce livre, Peau noir masques blancs, est refusée (à cause de son contenu subversif) car « ne relevant pas exclusivement de la neuropsychiatrie ». Fanon poursuit le cours de ses études et les termine en 1951. Son intention alors est d'aller travailler en Afrique avant de rentrer s'installer aux Antilles. Sa demande d'emploi faite à Senghor étant restée sans réponse, il accepte l'offre d'aller en Algérie en tant que médecin-chef à la clinique psychiatrique de Blida.
Là, Fanon est confronté à des patients qu’il essaie de guérir par une sorte de thérapie sociale. En quoi consiste cette pratique ? Fanon : « il s'agit d'établir les bases d'une psychanalyse engagée où le monologue mental débouche sur le dialogue social, où la solitude sécurisante du divan de l'analyste prélude à l'affrontement d'un monde à transformer ». Plus simplement, cette pratique consiste à développer chez les malades des formes de vie collective, de démocratie, afin d'ébaucher des formes de sociabilité leur permettant de se réinsérer dans la société. Après trois ans d'exercice, Fanon tire une conclusion : la guérison des malades passe d'abord par la désaliénation politique nationale. Il quitte la clinique. Dans sa lettre de démission, il explique son geste en ces termes :
« Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l'homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d'affirmer que l'Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue. Le statut de l'Algérie ? Une déshumanisation systématisée. Or, le pari absurde était de vouloir coûte que coûte fa ire exister quelques valeurs alors que le non-droit, l'inégalité, le meurtre multi quotidien de l'homme étaient érigés en principes législatifs. La structure sociale existant en Algérie s'opposait à toute tentative de remettre l'individu à sa place. » Le constat établi, Fanon doit alors accorder sa pratique militante à son discours politique. C'est ainsi qu'il rejoint la lutte de libération nationale algérienne.
Le militant
L'engagement de Fanon aux côtés du peuple algérien commence par la formation clandestine des infirmiers pour le maquis, ensuite par l'aide au ravitaillement en armes et en matériel. Ses activités sont vite découvertes, et Fanon est alors expulsé d'Algérie en 1956. II se fixe à Tunis où il collabore à la rédaction d'El Moudjahid et contribue beaucoup á l'orientation politique du FLN. En 1958, il écrit un livre L'An V de la Révolution où Il explique notamment son engagement personnel dans la lutte de libération algérienne. La même année, en tant que membre du GPRA, Fanon participe au Congrès Panafricain à Accra. Sa vision de la révolution algérienne se panafricanise : « Les peuples africains sont concrètement engagés dans une lutte globale contre la colonisation, et nous Algériens, ne dissocions pas le combat que nous menons de celui des Rhodésiens et des Kenyans. La solidarité à l'égard de nos frères n'est pas verbale. La solidarité interafricaine doit être une solidarité de fait, une solidarité d'action, une solidarité concrète en hommes, en matériel, en argent ». Joignant l'acte à la parole, Fanon apporte son soutien au mouvement de libération angolais en initiant ses militants aux techniques de lutte de guérilla. En Août 1960, Fanon rencontre Lumumba avec lequel il se lie d'amitié. Quand celui-ci est assassiné en 1960, Fanon écrit : « Les Africains devront se souvenir de cette leçon. Les événements du Congo doivent nous servir d'exemple. Il n'y aura pas une Afrique qui se bat contre le colonialisme et une Afrique qui tente de s'accommoder avec. »
Atteint de leucémie depuis 1960, Fanon séjourne dans une clinique de Moscou en 1961, puis revient à Tunis. II sollicite alors un poste d'ambassadeur à Cuba qui lui est refusé. Tout en continuant à former des cadres de l'ALN, il rédige son testament politique et idéologique, Les damnés de la terre, un livre qui va marquer des générations de révolutionnaires dans le monde. Le 6 décembre 1961, Fanon s'éteint dans un hôpital de Washington. Il laisse derrière lui non pas un système idéologique mais une série d'interpellations, õ combien d'actualité encore !
David Gakunzi, article initialement publié sur Africa Time for Peace et Pensées Noires
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Bonjour,
Une recherche biograpphique sur mon père m'a conduit à Frantz Fanon. Ils pourraient avoir été en contact voire en collaboration durant la seconde guerre mondiale et plus tard. Mon père était engagé en métropole sur le front nord- est en tant qu'infirmier. En 1945 il rejoint le mouvement de libération nationale puis le front armé , toujours en tant qu'infirmier. il avait un ami français noir, médecin à Blida acquis à la cause algérienne et aurait participé à la formation d'infirmiers dont parle cet article. Peut être auriez vous plus d' informations sur ce segment de la vie de Frantz Fanon. Sur quel front il était mobilisé Si moh Chegrani était le nom de guerre de mon père. Il avait activé avec la fédération de France et en kabylie depuis 1954 jusqu'à sa mort en service en 1957. Je vous serai reconnaissant de me communiquer d'éventuelles informations sur ce sujet. Merci
Mouloud Chegrani