« Si d’aimer… » est sûrement le plus beau roman qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. Je suis conscient de la difficulté de ce type d’assertion, car il va falloir démontrer mes dires. Mais, ne pouvant réfréner mon plaisir de lecteur, il m’était difficile de commencer cette note par cette pensée.
Pourtant, avec les abords austères de la couverture du roman, une quatrième de couverture peu stimulante et le traitement d’un sujet plus que lourd, les impacts du sida, oui, le texte d’Hemley Boum n’avait rien d’attrayant, tant qu’on n’avait pas pris la peine de découvrir ses pages et d’amorcer le premier chapitre.
Salomé introduit ce roman. Elle nous parle avec précision. Elle décrit un univers féerique quelque part dans les beaux quartiers de Douala. Une femme belle, convoitée, accomplie dans un emploi valorisant, installée dans une magnifique baraque qu’elle a pris soin de retaper avec son époux, Pacôme Lissouck. Un coin de paradis suscitant de multiples convoitises et envies. Aux mots maîtrisés de cette femme comblée, le besoin de reconnaissance est là, affirmé. Et pourtant, cette façade de Potemkine n’a que d’utile fonction que de masquer les turpitudes d’une relation où Salomé est profondément humiliée par un mari volage, totalement otage de ses pulsions. Enceinte, elle découvre qu’elle est séropositive.
Je pourrai m’arrêter sur une description de cette première prise de parole de ce roman polyphonique, faite par Salomé Lissouck, née Béma. Princesse Béma. Elle traduit l’esprit de cette œuvre dense dans laquelle Hemley Boum gratte, arrache le vernis sensé enjolivé, embellir les formes pour creuser l'intériorité de ses personnages. La rage de l’épouse contaminée qui jusque là avait supporté les frasques de son Pacôme de mari va permettre d’explorer le fonctionnement et le système de pensée de Salomé. Comment une femme instruite, à priori indépendante en arriver. Cette analyse brillamment faite, plonge le lecteur dans l’univers d’une certaine bourgeoisie camerounaise, avec ses codes. La colère de Salomé éclate et se déverse sur Céline, la call-girl qui a infecté son mari. Quand Moussa, l’homme à tout faire de Céline lui remet un cahier de notes sur le parcours tragique de sa protégée, Salomé reconsidère ses positions et se rapproche de cette femme.
C’est un roman polyphonique s’appuyant sur trois prises de parole. Celles de Moussa, Salomé et de sa meilleure Valérie médecin de son état et femme libre. Ces différents regards s’articulent autour de la figure de Céline Njock, prostituée de Douala. Le propos est de reconstituer les parcours respectifs qui converger vers Céline. Hemley Boum use de cette alchimie pour dresser des portraits attachants du Cameroun contemporain. Celui du « maguida », cet héritier des événements qui suivirent la tentative de coup d’état de 1984 qui durent pour de nombreux cas fuirent vers le nord du pays en raison de la répression du pouvoir en place naissant de Biya. Celui de la bourgeoisie de Douala au travers de Salomé. Celui des classes moyennes qu’incarne Valérie. Celui des sous kwats de la capitale économique du Cameroun réalisé à partir de l’histoire Céline Njok. Hemley Boum conte plusieurs mondes qui vivent ou vivotent tout en s’ignorant parfaitement. Une Afrique des villes où la violence des rapports est sourde, mais que la romancière camerounaise a le mérite de rassembler autour de Céline.
Elle a la qualité de poser des descriptions abouties, conduites par une écriture sobre, un poil classique, mais ô combien efficace. Et elle offre des rebondissements avec une efficacité redoutable. Je le dis, c’est un roman comme on en trouve très peu dans l’espace francophone. Dense. Le traitement du sida de ses impacts ravageurs est analysé avec minutie sans pour autant déséquilibrer le texte. Naturellement, il donne lieu à une auscultation du match amoureux comme le dit si bien la critique littéraire Anaïs Héluin sous toutes ses formes. Pacôme et Salomé. Mais aussi les espoirs détruits de Céline. Les modèles flétris des parents. Hemley Boum n’enjolive pas, ne milite pas, elle dit, elle décrit quelque chose avec le désir de dire vrai, de dénoncer les lâchetés des hommes, de déconstruire des modèles oppressants dans lesquels nombres d’africaines s’enferment pour préserver un pré-carré. A quel prix ? Insaisissable, même les personnages qui semblent s’inscrire dans ce que d’aucuns nommeront sous le terme d’émancipation, ne sont pas épargnés par moult de questions. La misère n’est pas synonyme de vertu, l’univers familial de Céline qui jouit de la richesse d’une prostituée tout en la tenant suffisamment à distance en témoigne remarquablement.
Ecoutez, il faut bien que je m’arrête. On pourrait traiter, analyser ce roman sous plusieurs angles, mais je vous conseillerai de vous faire une idée. Lisez Si d’aimer… d’Hemley Boum.
Bonne lecture !
Editions La Cheminante, 400 pages, première parution en 2012
Prix littéraire Ivoire 2013
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