Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.
Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.
Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.
La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.
Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand.
Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.
Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.
Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.
Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité.
Solomon Andria
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Il n'y a pas que 18 tribus à Madagascar, il y en avait 36 voire 72. Au fait ce ne sont pas des tribus mais des groupes sociaux d'après notre analyse. Il n'y a qu'un seul tribu: le Malgache ou le Malagasy comme on veut. Les autres tribus sont les vazaha gasy, les karana gasy, les sinoa gasy, les girika gasy, les ajojo ou komorianina, même les Makoa ou Makouas d'origine mozambicaine et zanzibar sont des Malgaches et non plus des tribus africains. Ils ont épousé la civilisation malgache et toutes les cultures avec toutes ses diversités et les variantes dialectales.
Néanmoins, il y avait 18 petit royaumes qui auraient correspondu à peu près aux anciennes chef-lieux de préfectures.
Bravo Zoky Solomon pour votre écrit qui mérite une large diffusion. Ces propos n'engagent que ma lecture personnelle. Les groupes sociaux malagasy (sakalava, merina, betsileo, antakarana; betsimisaraka, bezanozano, antandroy ets ets) ne sont pas des tribus ou ethnies comme en territoire continental africain (zulu, xhosa, ndembele, ou peuls, ashantis, foulbé ets) qui n'ont rien de commun en matière de culture et de civilisation, et surtout linguistique qui est le premier outil de communication interpersonnelle
Toutes mes félicitations pour ce dur travail
Cher Solomon Andria,
Très belle exposé murie d'une très profonde analyse, surtout adressée avec une objéctivité et humilité très remarquable. Je partage tout à fait que cette diversité de dialecte constitue une richesse à exploiter pour enrichir davantage cette belle langue qu'est le malagasy.
Cet article doit constituer comme une base pour d'autres analyses et recherches.
Félicitations!
Excellent travail!Très intéressant.
Irene Decugis Ruffat
Merci mille fois.
Mais POURQUOI toujours penser que nous venons d'ailleurs, avez-vous déjà penser que ce sont ces autres personnes qui ont forger leurs langues à partir du langue MALAGASY, voir ce sont des métisses malagasy.
Ne croyez-vous pas que l'on peut venir de chez nous les gens brillants dans ces pays….à y penser!! même si nous évoluons lentement!!!
Article et analyse intéressants, que j'ai lu avec beaucoup de plaisir. Cependant je nuancerai l'affirmation selon laquelle il est dit que c'est la traduction de la Bible qui aurait été le facteur unificateur déterminant la langue officielle en France. C'est un point de vue qui se défend et se discute, certe (François 1er, roi protestant, étant celui qui décrète la langue officielle en 1539), mais aussi un partit pris ou raccourci historique.
La traduction de la bible en langue vernaculaire ou vulgaire est d'abord au bénéfice de l'apport de l'imprimerie. Le latin était alors la langue administrative en usage dans les tribunaux et chancelleries, mais de nombreux ouvrages profanes, dès les premiers écrits humanistes, commençaient à être traduits en langue vulgaire. Par ailleurs, certaines bible d'époque (16e) ont aussi été traduites en langue régionales. Et ce n'est véritablement que sous l'impulsion de la révolution française que la langue française va s'imposer peu à peu comme langue officielle. Car jusqu'alors les langues régionales restaient dominantes et le francais officiel n'était pratiqué que par les lettrés (plan Talleyrand de la francisation du territoire en 1794, cf mille ans de langue française, histoire d'une passion – Broché). Enfin, on peut noter que de nombreuses traductions de la bible en langue vulgaire ont été faites bien avant la réforme protestante (Jean le Bon 1250 – Guyart Desmoulins 1297 – Bible de Charles V 1377 – Bible de Jean Rely 1487 – et celle de Lefèvre d'Estaples 1523-1528). Ceci témoigne du fait que la langue vernaculaire était en usage dans des cercles lettrés et donc dans le clergé. Par conséquent sa diffusion était restreinte. La Réforme protestante aura cet apport de difuser aà un plus large publique des écrits en langue vulgaire.
Pour répondre à notre ami JR, les nombreuses études des mythes d'origine malgache (sakalava, merina, betsimisaraka, antanbahoaka, etc…) témoignent du thème récurent de la traversée de la mer. Ce thème arrive souvent dans le récit au moment de l'épreuve du héros comme une sorte de retour aux origines pour mieux hériter la terre. D'autre part, on retrouve peu de mythe de création dans la mythologie malgache. La grande majorité des mythes témoignent d'une terre déjà presente. L'enjeu pour les héros de ces mythes est souvent d'hériter dignement de cette terre avec responsabilité et courage. Les études linguistiques corroborent ces observations.
Bien fraternellement,
Bina Rakoto
Intéressant mais manquent les sources…
Bel article qui permet à tout à chacun d'en connaitre un peu plus sur la langue Malgache
Madagascar, un pays qui ne demande qu'à se développer
Merci à vous
Merci pour cet article et pareil pour toutes les réactions qui surgissent.
J'ai retenu particulièrement avec intérêt toutes les informations versées de la part de tous les intervenants. Je vois que c'est un débat très ouvert car ça doit commencer par nous de bien comprendre qui nous sommes ; nos racines, nos avenirs. Peu de nos cocitoyens connaît l'histoire et ce qui est pire dans tout ça c'est que la vraie histoire est parfois dissimulée par des débâts inutiles et mal placés. Certains scintifiques se mettent également au service de la politique pour détourner la situation pour des fins contraire à la vertu de la science. Moi aussi je rejoinds l'idée de l'évolution de la langue malgache et c'était le as au niveau de chaque variante dialectale mais n'oublions pas que même le nombre de tribus qui composent la société malgache suit également cette évolution. Je veux dire par là qu'il existe actuellement d'autres tribus qui émergent et veulent s'exprimer avec leur propre identité si elles se font longtemps ignorées par le fait de fixer le nombre de tribus à dix-huit. Le Tagnalagna et le Masikoro dans le sud en font partie de cette frange émergentes qui n'ont pas eu leur place dans les dix-huits tribus longtemps reconues. J'ai déjà soumis cette idée lors d'une certaine conférence, en tant que simple invité, mais le débat paraît mort-né.
Je vous suis reconnaissant pour cet article. Continuer.
Cordialement
Merci mille fois !
Travail très instructif sur l’histoire de cette belle langue et surtout très bel exemple pour la plupart de nos langues qui n’ont pas d’histoire écrite.
Merci infiniment.