Le samedi 10 Mars 2012, s’est tenue à Paris, une « journée de réflexion » sur différents sujets importants pour le développement de la Côte d’Ivoire : l’apport de la Diaspora, la place des NTIC, l’Education et la Politique Energétique. Cette journée a été organisée par un réseau de « jeunes cadres » ivoiriens engagés pour le développement de la Côte d’Ivoire. Elle a vu la participation de personnalités éminentes. Attiré par l’énergie, les travaux de l’atelier portant sur la politique énergétique du pays sont ceux qui ont le plus capté mon attention. Cet atelier avait pour but de réfléchir à la politique énergétique à mettre en place pour soutenir la croissance économique espérée par les populations en vue d’améliorer leur quotidien. De cet atelier, il faut retenir que la CI s’est dotée d’un document stratégique, qui donne les grandes orientations dans ce domaine, recense avec précision les projets à réaliser et les investissements à faire. En matière de production électrique, la stratégie de la CI est basée sur l’utilisation plus accrue du potentiel hydroélectrique (20% du potentiel de 12 000 MWh est utilisé aujourd’hui) du pays. Le début de cette phase nécessitant un temps de construction de nouveaux barrages (Soubré est le premier d’une longue série) de l’ordre de 7 ans, la CI a décidé de renforcer ses capacités en centrales à gaz. Et pour alimenter ces centrales à gaz, il est espéré de nouvelles découvertes et prévu la construction d’un gazoduc reliant ces champs aux centrales.
En conclusion, pour satisfaire la demande d’électricité qui croît de plus de 8% par an, deux sources d’énergie sont préconisées pour assurer la production électrique de la CI : le gaz et l’hydroélectricité. Ces options, qui peuvent apparaître comme les plus raisonnables, sont en réalité frappées du sceau d’une vision passéiste, non volontariste et trop libérale. Ceci pour plusieurs raisons : elles sont, en définitive, le renforcement de ce qui est déjà car la CI a aujourd’hui une capacité de production électrique installée de l’ordre de 1400 MW répartie, à peu près équitablement entre les installations thermiques et hydroélectriques. Elaborer une « nouvelle stratégie » pour confirmer l’ancienne. Tel est ce qui est proposé aux ivoiriens aujourd’hui.
Construire une stratégie sur l’hypothèse qu’on découvre des champs gaziers plus importants en CI pose déjà des problèmes évidents (Car si ces nouveaux champs gaziers ne sont pas découverts, que faisons-nous ?). Mais soit ! Construire un nouveau gazoduc indépendant de celui qui relie déjà le Nigéria au Ghana en passant par le Bénin et le Togo, en plus de ne pas être la solution la plus économique, apparaît comme une épine dans le pied de l’intégration régionale. L’idée de « mix » énergétique est ici réduite au minimum : 2. N’est il pas dangereux de se baser uniquement sur 2 sources pour la production électrique quand aujourd’hui l’heure est à des « mix » beaucoup plus variés (exemple : le Kenya avec une unité de production d’électricité à base de géothermie de 128 MW) ? En cas de sécheresse, comme celle de 1983 qui a provoqué des délestages en CI, que faisons-nous ?
Aucune incitation de l’Etat (avantages fiscaux, garantie du prix de rachat du kWh à un prix compétitif, etc…) n’est envisagée pour développer les énergies renouvelables (comme le solaire et l’éolien par exemple). Ceci au motif que ce n’est pas à l’Etat de mener ce genre de projet, l’investissement étant libre en CI, c’est aux investisseurs d’amorcer ce tournant décisif et salutaire sous nos tropiques. Au delà du dogme libéral qui sous-tend cette position et des problèmes techniques de connexion ou non au réseau qui compliquent davantage le problème, ces arguments sont donnés en sachant que sans coup de pouce de l’Etat, aucun projet de ce type ne saurait prospérer en Côte d’Ivoire. C’est le serpent qui se mord la queue. C’est ce genre de logique, qui relève au mieux d’un manque de vision, qui maintient l’Afrique à la traine. Le taux d’ensoleillement en Afrique (5,4 MW/m²/an) est plus élevé que celui de l’Europe par exemple (4 MW/m²/an). Il faut croire qu’il est normal que nous négligions ce type d’énergie et que les pays européens, moins bien lotis que nous par la nature, misent sur cette énergie. Pourquoi ne pas investir afin d’être leader, dans un domaine, pour une fois ? Devons-nous toujours attendre que les organisations internationales viennent nous montrer comment utiliser les immenses ressources dont nous disposons, en nous vendant au passage leur technologie ?
En CI, la stratégie pour l’électrification depuis 1960 a certes permis d’avoir un taux de couverture d’environ 40%, mais n’a pas apporté la lumière dans les endroits les plus reculés du pays. Cette stratégie était basée sur la production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. Et quelle est la nouvelle stratégie proposée ? Une production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. OUI, la même ! Vu les résultats de cette stratégie, il est étonnant voire révoltant qu’en 2012, les décideurs choisissent la même stratégie que celle des années 60 pour résoudre le même problème. En clair, l’Etat estime ne pas avoir les moyens de faire des efforts pour faciliter le développement des énergies renouvelables, énergies décentralisées, mais s’engage, à construire des lignes électriques pour électrifier tous les villages de Côte d’Ivoire. C’est contradictoire, coûteux et surtout cette politique va à l’encontre des intérêts des 57% des ivoiriens qui vivent en milieu rural. L’électricité, c’est l’éducation, la santé, le commerce, etc…
L’environnement, qui aujourd’hui est un problème planétaire, semble être le cadet des soucis de nos gouvernants. Utiliser du combustible fossile pour produire l’électricité, c’est accroitre les émissions de gaz à effet de serre, participer au réchauffement de la planète, favoriser la montée des eaux et accélérer ainsi la disparition de quartiers entiers à Port-Bouët par exemple. Vouloir attirer les entreprises internationales en négligeant à ce point cet aspect est une gageure car ces dernières intègrent aujourd’hui la composante environnementale dans leurs projets. Pour conclure, il est important de souligner l’utilité de ce genre de rencontre, ne serait ce que pour que les « jeunes cadres » prennent conscience du chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités afin de penser nous-mêmes et pour nous-mêmes notre développement.
Stéphane MADOU
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La CI a fait juste un petit pas. Si cela pourrait donner un souffle à l'Afrique, ce serait bon car tout l'Afrique souffle encore au jour le jour de l'insuffisance énergétique. Malheureusement on en prend pas conscience.
Article très intéressant, qui met en lumière (encore une fois) la politique du "court terme" qui empêche les pays africains de s'inscrire dans une démarche de développement durable.Le solaire est une énergie alternative durable et crédible qui constitue un potentiel considérable pour nos "jeunes" économies. On reste cependant sur notre fin M. Madou quant aux voies et moyens de développer l'utiisation systématique du solaire.
Merci pour l'intérêt porté et je retiens vos propositions d'idées pour les prochains articles. Merci 🙂
Bon eveil de conscience, cela peut être véritablement effectif par une véritable volonté du gouvernement à son plus haut niveau; afin d'avoir une politique ou organisation hardie à cet effet.
Sinon nous le savons tous que notre pays (CI) perd peu à peu son blason de LEADER OUEST AFRICAIN, faisons un tour chez nos voisins (GHANA)….
Pour ma part il serait judicieux de sensibiliser nos autorités, car même s'il ya de potentiels intvestisseurs qu'est ce qu'ils peuvent faire?
Nous savions tous ou avions vu déjà dans nos entreprises, le mode d'obtention des marchés.
Merci 🙂
Permettez moi d’apportez mon humble avis, étant du secteur et face à vos articles toujours aussi riches.Tout d’abord, la CI détient de nouveaux bassins pétroliers récemment découvert et qui dit exploration pétrolière dit remontée de gaz qui peut être utilisé pour la production d’électricité. Alors le recours à des centrales thermiques est tout à fait justifié et permet une bonne réutilisation du gaz qui n’est plus torché tel qu’on le voyait au Nigéria.
D’autre part, le West African Power Pool dont vous parlez, est dans une politique de développement local et régional d’un marché du gaz. Cela permettra aux pays annexés d’assurer leur approvisionnement et au Nigéria de développer son marché local. ET pour moi, c’est beaucoup plus avantageux que de le liquéfier et de l’envoyer en Europe tel qu’on l’observe actuellement. Le développement d’un marché régional est une étape essentielle dans le développement de l’Afrique. Enfin, ce fameux hydraulique produit pour le moment de l’électricité dé carboné jusqu’au Bénin alors il s’agit plutôt d’une énergie sous exploitée.
Enfin, par rapport au solaire, arrêtons de voir le coté « avantageux et sauveteur ; S’il se développe en Europe, c’est à cause des subventions monstres dont on ne peut se permettre en Afrique, cela ne permettra pas du tout l’éveil du secteur d’autant que les panneaux ne sont pas fabriqués chez nous. D’autre part, quand on parle d’énergie électrique, on parle de base, c’est à dire l’énergie qui fonctionne les ¾ du temps, et pour le moment, le solaire n’assure pas de nos jours une telle pointe. Comment ferez vous la nuit pour alimenter l’hôpital alimenté avec du Photovoltaïque sachant qu’elle en consommera aussi le jour la même énergie?
Le mix énergétique africain, à mes yeux passe par une sensibilisation montre vers une baisse de la consommation des bâtiments publics, une grosse politique d’économie d’énergie, un développement du solaire dans les villages car c’est pour un petit usage et décentralisé et le recours en pointe au marché interconnecté sous régional.
Merci pour l'intérêt que vous portez à mes articles.
1) Ceci étant, selon les estimations de 2008, les réserves de gaz permettaient de produire de l'électricité pendant 22 ans. Si on a découvert de nouveaux gisements, c'est tant mieux. je dis juste que c'est un peu court comme stratégie.
2) La volonté d el'Etat de CI est de se désengager de plus en plus de son obligation d'approvisionnement des centrales thermiques actuelles. En fait les entreprises productrices d'électricité s'approvisionneraient directement auprès des sociétés productrices de gaz. Une petite entente entre les deux parties et ce sont les entreprises et les ménages qui trinqueront. De plus, même sans entente illicite (parce que c'est pas bien de prêter des mauvaises intentions aux gens..lol), le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole (un peu moins maintenant, c'est vrai, mais tout de même) il y a des risques de fortes fluctuations du prix du kWh pour les entreprises et les ménages. Et ce seront au bout de la chaîne, toujours les mêmes qui paieront.
3) je n'ai pas parlé du WAPP (interconnexion électrique) pour ne pas alourdir le propos et assommé les lecteurs avec des digressions. C'est vrai que c'est un dispositif important qu'il ne faut pas négliger. Ceci dit, si tout le monde est à l'hydroélectrique (Guinée, Ghana, Libéria) et qu'il y a une sécheresse, il ne servira pas à grand chose.
4) J'ai juste parlé du gazoduc ouest-africain qui part du Nigéria jusqu'au Ghana. Je disais pourquoi choisir de construire un nouveau gazoduc au lieu de prolonger celui là…
5) Enfin le solaire: vous l'avez dit, énergie décentralisée donc appropriée pour les villages et localités éloignés qui n'ont pas de très fortes demandes. Un système de batteries peut permettre de fournir l'électricité la nuit. EN ce qui concerne le prix des panneaux, il a été divisé par 2 (de mémoire) ces dix dernières années. C'est grâce aux investissmeents dans la recherche. En mettant donc des dispositifs incitatifs (incitations fiscales par exemple), les industriels trouveraient un intérêt à dévelpper des unités de fabrication (cout de la main d'oeuvre moisn cher donc prix du produit final moins cher) et des sections de recherches afin d'augmenter leurs marges.
L’objectif de l’article est de dire qu’il est important de penser à une stratégie un peu plus sur le long-terme. Merci de contribuer au débat qu’il est nécessaire d’avoir sur cette problématique de la sécurité énergétique de nos pays.
Merci pour votre riche réponse
1) Comme vous le dites vous même, les réserves de gaz ainsi que le gazoduc ouest africain sont des sources constantes pour le moment, qui permettraient de produire pour une bonne trentaine d'années. C'est ce qui revient quasiment le moins cher dans nos pays actuellement, en terme de production d'électricité, alors un compromis s'impose. Sinon entre temps, que faisons nous ?
2) Navré , je ne savais pas du tout que la volonté de la Ci était de se séparer de son thermique. Mais loin de l'idée des prix du gaz et pétrole, ils ne sont quasiment plus indexés simplement parce que le marché du gaz est un marché décentralisé d'abord par région, il n'existe pas des Markers référence comme pour le pétrole et le gaz nécessite des investissement de très très long termes impliquant des prix fixés à l'avance et qu'on actualise, contrairement au pétrole qui est "coté".
3) Parler de WAPP n'est pas sujet de digression et si c'est le cas, je m'en exuse, j'ose ainsi penser parce que parler énergie, c'est d'abord électricité car pour nos autres recours, c'est principalement du charbon de bois. Et l'hydro, c'est quand même l'énergie la moins chère sur tous les marchés. Cher collège Steph, les barrages foncitonnent sur des systèmes d'optimisation, qui tiennent comptent de tous ces paramètres,certes très mal gérés en Afrique( avec des performances de moins de 50%). Et qu'est ce qui assure la pointe en cas de défaillance, c'est toujours le thermique..
4) Enfin sur le solaire que je maitrise quand même beaucoup mieux, de vous à vous, quel intérêt concrètement à investir massivement dans une industrie où nous ne sommes que d'infimes consommateurs et où on dépend toujours autant de l'étranger.Certes, les prix ont été divisés par 2 mais regarder combien revient le Kwh solaire sans tarifs de rachat partout dans le monde et vous verrez ce que je dis. Et en parlant de R&D, à titre d'exemple, ce que la Chine actuellement est de l'ordre du PIB annuel d'un pays comme le Bénin. Alors, au lieu d'être des followers, focalisons et gérons mieux ce qui se fait chez nous au moins.
Loin d'une vision compactée, je veux simplement qu'on comprenne que l'industrie énergétique et électrique dans une vision de long terme implique le développement d'un marché commun et de masse(tel que le souhaite la WAPP par exemple et j'insiste). On parle d'énergies fossiles rares, certes, bien de nos pays sont producteurs, mais pas "principaux consommateurs" et encore moins raffineurs ce qui explique des prix chers. Une fois de plus, j'insiste sur le marché local, et sur le solaire, bien que c'est une énergie en laquelle je crois beaucoup,je défends l'idée très décentralisé pour un très faible usage tel qu'on l'observe dans les campagnes. A moins de développer une banque d'investissement (je travaille actuellement là dessus) qui fera une sorte de prêt aux gens pour une totale installation, et qui récupèrera des mensualités comme si c'était des factures électriques. Et au bout d'un certain temps, il en serait totalement propriétaires; Voila; 🙂 ; Et Merci à nouveau pour ce riche topic
1) Le gaz, des ressources constantes…pour le moment! C'est assez compliqué, non? Comme vous le dites un compromis s'impose.
2) La CI veut laisser les opérateurs gérer entre eux les affaires commerciales. Aux centrales de gerer leurs approvisionnements auprès des opérateurs gaziers. C'est une des raisons pour lesquelles je dis que les consommateurs peuvent se retrouver avec des mauvaises surprises. Pour rappel la CI s'est engagé pour les centrales thermiques actuelles à fournir le combustible. C'est de ce genre d'engagement qu'elle veut se défaire.
3) Cher collègue, je suis d'accord avec le WAPP. Ce n'est pas une digression en soi. C'est important pour la transmission, alors que je voulais focaliser mon propos sur la production.
4) Le thermique pour la pointe c'est bien, le problème chez nous c'est qu'il est utilisé en base. Quant aux barrages, c'est bien, là n'est pas le problème. Que fait-on en cas de sécheresse. Et ce cas est déjà arrivé..!
5) Enfin le solaire, si on veut on peut. L'Etat au pire n'aurait même pas à débourser de l'argent. Une exonération de taxe sur cette industrie ne coute rien à l'Etat. Louer des terrains aux entreprises pour s'installer ne coutent rien aussi à l'Etat. Garantir les prêts auprès des banques pour les entreprises avec des projets robustes ne coute rien non plus. Ce n'est donc pas une question de moyens mais de volonté…
Merci encore pour cet échange très intéressant!
Merci pour ces éclaircissements sur la situation de la CI, c'est ce volet qui me manquait quand même.
Et sympa un tel sujet sur lequel il est bien agréable d'échanger nos idées.
En lisant vos articles, j'ai été beaucoup édifié sur le secteur de l'électricté en CI. c'est sujet qui m'interesse au plus haut point.
Aussi, je voudrais avoir votre point de vue sur l'idée de la liberalisation du secteur de l'électricité en CI. pensez vous qu'elle sera profitable à la popuation?
je souhaiterais rentrer en contact avec vous.