Terangaweb a interviewé Ernest Clément Mendy (26 ans), commissaire national à la branche verte des Scouts du Sénégal (SDS). M. Mendy présente le mouvement Scout lié à l’Eglise et aborde l’intérêt croissant de jeunes musulmans pour le scoutisme. Il évoque aussi la situation socio-économique difficile à laquelle fait face la jeunesse sénégalaise ainsi que l’engagement des jeunes chrétiens en politique.

Terangaweb : Pouvez-vous expliquer à nos internautes qu’est-ce-que le scoutisme et quel est l’état du mouvement scout aujourd’hui au Sénégal ?

Ernest Mendy : Le Mouvement scout est un mouvement éducatif pour les jeunes, fondé sur le volontariat. Il s’agit d’un mouvement à caractère non politique, ouvert à tous sans distinction de genre, d’origine, de race ni de croyance.

Le fondateur du scoutisme est Lord Robert Stephenson Smith Baden Powell qui a expérimenté pour la première fois la méthode scoute en 1907 en Angleterre sur la petite île de Brownsea.  Cette méthode est innovante du fait de sa prise en compte, dans le processus d’éducation du jeune, de toutes les dimensions de l’homme. Celles-ci contribuent au développement des jeunes en les aidant à réaliser pleinement leurs possibilités physiques, intellectuelles, sociales et spirituelles, en tant que citoyens responsables et membres de communautés locales, nationales et internationales.

Le scoutisme est organisé  en branches selon l’âge. Le 1^er groupe est celui des louveteaux : enfants de 7 à 12 ans. Le nom de louveteau vient du « Livre de la Jungle » de Joseph Rudyard Kipling. Il est offert à l’enfant un cadre privilégié avec l’affection des chefs et cheftaines de meute, la camaraderie des autres louveteaux, le tout dans le «  bon ordre et la discipline ». Les activités sont surtout orientées vers le jeu.

Le 2^ème groupe est celui des Eclaireurs : la branche « mère » du scoutisme puisqu’elle a été la première créée par Baden Powell à Brownsea. On y retrouve donc la plus grande partie des traditions scoutes. Ce groupe réunit les adolescents de 13 à 17 ans répartis en patrouilles (équipes de 6 à 8 jeunes).  Le camp est le principal cadre des éclaireurs qui peuvent y vivre loin des superflus des villes pour cultiver la solidarité et l’éducation.

Le 3^ème groupe est La branche route qui regroupe les ainés des scouts, à partir de 18 ans. Leur pédagogie vise à les préparer à la vie en communauté. D’où le concept de prendre la route. Le jeune, après avoir vécu des années à la meute dans un cadre enchanteur, à la troupe dans un monde d’aventure, doit se préparer à quitter le scoutisme et se trouver un chemin de vie.

Terangaweb : Comment se fait aujourd’hui l’insertion du scoutisme dans le cadre de l’ensemble des mouvements et associations catholiques ? N’y a-t-il pas de concurrence avec d’autres mouvements comme les CV-AV ou la Jeunesse  étudiante catholique (JEC) par exemple ?

Ernest Mendy : On ne peut pas parler d’insertion puisque le scoutisme à été, dès 1928, le premier mouvement de jeunes au Sénégal. Il s’agit donc plus de cohabitation. Celle-ci se passe très bien. Il existe bien sûr une concurrence qui du reste est très bénéfique aux différents mouvements et est demeurée très saine. Chacun essaie de faire mieux que les autres et cela reste très louable surtout pour les enfants qui voient leurs responsables effectuer plus de formation et prendre davantage d’initiatives.  En plus, le problème ne se pose pas du tout puisque la plupart du temps nous sommes responsables des coordinations de jeunes des paroisses. On voit aussi des unités scoutes qui font des activités avec des CV AV.

Terangaweb : On constate de plus en plus que des jeunes musulmans adhèrent au scoutisme. Que pensez-vous de ce phénomène?

Ernest Mendy : Ce n’est pas nouveau et cela fait partie des richesses de notre pays.  A tous les niveaux de la hiérarchie scoute on a toujours eu des membres musulmans. Quand j’étais éclaireur, j’ai eu plusieurs patrouillards musulmans. Et en camp on aménageait des lieux de culte pour chacun. Je me souviens qu’étant chef de troupe je réveillais un jeune éclaireur de ma troupe tous les jours à 5h du matin et je le surveillais pour qu’il fasse sa prière et toute la journée aux heures de prière on arrêtait pour le laisser prier.  Il me confessera un jour qu’il prie plus en camp que chez lui (rires). Maintenant il faut reconnaitre que notre programme jeune n’est pas tellement adapté et à chaque fois on s’adapte pour ne pas léser les musulmans dans la pratique de leur religion. Dans le processus de rénovation du programme jeune entamé depuis près de 5 ans déjà et qui va bientôt prendre fin, nous avons décidé de les prendre en compte comme partie intégrante des troupes.  Il faut dire qu’il n’y a jamais eu de problème.

Terangaweb : Pourrait-on envisager une éventuelle fusion ou une association commune avec les éclaireurs musulmans qui forment certes un mouvement différent du scoutisme mais dans lequel on retrouve des principes similaires ?

Ernest Mendy : Il faut tout d’abord distinguer Eclaireurs et Eclaireuses du Sénégal et Scouts musulmans du Sénégal. En effet les premiers sont laïcs et reçoivent donc des scoutes de toutes confessions.  Les derniers sont, comme leur nom l’indique, musulmans ; d’ailleurs, la plupart de leurs responsables sont des Scouts du Sénégal (SDS) qui sont toujours en activité. Ce qui explique peut être beaucoup de similitudes avec les Scouts et les Guides du Sénégal (cadre symbolique, noms des branches, etc.) Cependant ils ne sont pas encore reconnus par la confédération sénégalaise du Scoutisme (CSS), composée des scouts du Sénégal et des Eclaireurs et Eclaireuses du Sénégal (EEDS), qui est la seule structure reconnue par l’Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS).

Pour les SDS et les EEDS, il existe un cadre harmonisé qui vient d’ailleurs de renouveler ses instances.  Nous avons eu beaucoup de programmes communs comme le programme “Education à la Vie Familiale” avec le PNUD. De même, les camps de formation sont exclusivement organisés par la CSS, ce qui fait qu’on garde la même pédagogie.

Quel regard le scoutisme sénégalais porte-t-il sur la situation socio-économique du Sénégal et où en est-on avec l’engagement de la jeunesse catholique dans la scène politique sénégalaise ?

Ernest Mendy : C’est une situation globalement difficile et qui est ressentie par toutes les coches de la société. Le scoutisme est avant tout un mouvement d’éducation dont le rôle premier n’est pas de pourvoir des emplois à ses membres même si nous avons comme mission d’armer le jeune pour qu’ils puissent s’insérer harmonieusement dans la société. Cependant, nous  ne pouvons échapper aux contre coups de la crise car beaucoup de nos jeunes sont touchés par le phénomène du travail des enfants du fait de la paupérisation de beaucoup de familles.  On avait initié l’année dernière un programme avec le Bureau international du Travail (BIT) pour jouer notre partition et aider nos membres à initier plusieurs programmes de formation en entreprenariat jeunesse, en gestion, en horticulture, etc.  Les projets de centres de formation de Potou à Louga (horticulture)  et de Mbour (petits métiers) pourraient, s’ils se concrétisent, constituer des réponses pertinentes aux différentes demandes de formation et peut-être même embaucher des scouts en permanence.

Pour ce qui est de l’engagement politique des jeunes chrétiens, on constate de plus en plus qu’ils sentent la nécessité d’être dans les instances de décisions politiques. Même si cela reste encore très timide, je suis optimiste quant à leur intégration dans les partis politiques. Cependant il ne s’agit pas d’intégrer pour se partager le gâteau comme c’est le cas pour nombre de politiciens. Il s’agira surtout d’apporter du sang neuf,  l’esprit de créativité des jeunes ainsi que l’engagement qu’on apprend dans le scoutisme et dans le mouvement CV AV.

Propos recueillis par Isabelle Barros