Une des problématiques qui m’était jusque-là inconnue et à laquelle j’ai dû faire face au Sénégal pendant l’accompagnement de certaines jeunes entreprises est la question de la famille dans le processus entrepreneurial. On m’a expliqué que dès le plus jeune âge, l’enfant apprend à intégrer la valeur et obligation morale de partage et solidarité qui permet aux familles de subsister lors de difficultés. Quel est le véritable impact de cette spécificité sénégalaise sur l’entrepreneur ?
L’entraide familiale pour soutenir les jeunes
Malgré une mentalité risque-averse et souvent court termiste, de plus en plus de jeunes décident de prendre des risques et d’entreprendre. Une des contraintes de l’entrepreneuriat est le manque de revenu au début de l’activité mais au Sénégal la famille répond toujours présente pour aider les jeunes. Madeleine, qui s’occupe de l’entretien de la maison, m’explique qu’elle loge son neveu pour qu'il puisse travailler en ville et ne pas avoir à rentrer au village. Le reste de la famille se répartit les couts de la formation, du transport et de la nourriture. Les jeunes trouvent un soutien financier important auprès de leur famille. A l’inverse de la France où beaucoup de jeunes deviennent indépendants à la fin de leurs études, les Sénégalais peuvent rester dépendants de leur famille jusqu’à 25 ans voire plus s’ils le souhaitent, en fonction de l’âge auquel ils se marient. Cet appui permet aux entrepreneurs de pouvoir lancer leur activité en limitant les frais personnels.
L’autonomie des jeunes, un prix cher à payer
De l’autre côté, les ainés salariés ou entrepreneurs qui ont pris leur indépendance sont nombreux à devoir payer les frais scolaires des frères et sœurs, contribuer au loyer parental et soutenir diverses dépenses de la famille. D’après le témoignage de plusieurs entrepreneurs, deux réactions se dégagent. La première reflète une volonté de scission financière temporaire en souhaitant faire comprendre aux proches le projet d’entreprendre et l’incapacité de redistribuer dans l’immédiat les ressources générées.
Face à l’incompréhension de l’entourage, la relation peut devenir conflictuelle mais selon Mamba, fondateur de Sen Women Up, « ma famille comprendra quand je serai riche ! ». Mamba m’explique qu’il sera heureux de redistribuer une partie des recettes quand son entreprise sera bien établie mais que pour l’instant il en est incapable et que c’est une situation difficile à expliquer à ses proches. Monsieur Diallo souligne à son tour l’importance de sécuriser les finances d’une jeune entreprise, « l’épargne est la base de l’investissement et permet la croissance de la startup ». Pour maximiser les chances de réussite, il préfère de ne pas mélanger les revenus générer par l’activité de l’entreprise avec les dépenses personnelles et familiales.
La dette sociale
L’autre disposition demande de concilier financièrement famille et entrepreneuriat. Dès que la famille lui demande, l’entrepreneur verse une somme qui servira à payer les dépenses de l’un des proches (santé, scolarité, etc.). Cette résolution « demande des concessions », souligne Babacar qui a fondé Baobab Entrepreneurship en rentrant au Sénégal après ses études d’ingénieur en France, « mais n’est pas impossible à tenir ». C’est également le point de vue de Monsieur Fofana, spécialiste en investissement PME, « la question n’est pas de savoir si l’on doit donner mais combien on doit donner ». Il faut redistribuer en fonction de ses moyens, ne pas se mettre en difficulté mais l’important est de redonner aux gens qui nous ont donné pour éviter toute mésentente. C’est ce qu’il appelle « la dette sociale ».
Ce système de redistribution détermine le statut social de l’individu d’après Madame Sarr, et permet d’éviter à de nombreuses familles de tomber dans l’extrême pauvreté en limitant les écarts extrêmes entre riches et pauvres. Pour l’entrepreneur, ce serait aussi une façon de se donner les moyens de gagner de l’argent puisqu’il sait qu’il va devoir redistribuer par la suite.
Finalement, on s’aperçoit que le rôle de la famille peut être assez paradoxal. Elle peut être un grand soutien financier pendant la jeunesse mais une contrepartie est attendue dès les premiers revenus peu importe la pression que cette demande engendre sur l’entrepreneur. La culture familiale est donc une variable très importante qui peut influencer la décision d’entreprendre, la manière de gérer l’entreprise et également son succès. Il serait nécessaire de sensibiliser les ménages sur les opportunités offertes par l’entrepreneuriat afin de faciliter le chemin aux porteurs de projets.
Sophie ANDRE
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