La Négritude est de nos jours trop vite évacuée quand on ne finit pas de reprocher aux écrivains qui en furent les pionniers d’avoir écrit en français. Pourquoi les poètes de la Négritude ont-ils écrit en français? Fut-ce-t-elle un classique, cette question semble la plus à même de laisser transparaitre en l’occurrence l’actualité de la Négritude dont elle révèle d’ailleurs la quintessence.
Léopold Sédar SENGHOR lui-même répondait à cette question dans la postface d’Ethiopiques[1]
Voici (et on y reviendra) ce qu’en dit le poète de la Négritude et non moins futur membre de la prestigieuse Académie française : « Mais on me posera la question : pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français? – Parce que nous sommes des métis culturels… ».
Cette question n’a pas non plus laissé indifférent le philosophe français Jean Paul SARTRE. Il convient à ce propos de rappeler que SARTRE est sans doute le philosophe occidental qui a le plus flirté avec le mouvement de la Négritude. C’est lui qui écrit en 1948, à la demande de SENGHOR et de Alioune DIOP, la préface devenue ô combien célèbre de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française [2]. C’est surtout en s’appuyant sur cette envolée préfacière baptisée Orphée noir , beaucoup plus « que ce qu’en disaient les Nègres eux-mêmes » [3], qu’on va discuter la Négritude.
Pour SARTRE, le décalage entre la langue française et l’être africain a pu constituer une explication. En effet la Négritude a été un phénomène, au sens étymologique du terme, surtout (pas seulement) poétique. Or que n’a-t-on appris de Mallarmé et des surréalistes au sujet de la poésie si ce n’est que celle-ci trouve sa profondeur dans l’écart entre le langage et ce que le poète veut exprimer ? Or encore, écart ne saurait être plus grand que celui qui sépare a priori la langue française par exemple, celle du colon, de la réalité africaine que les poètes colonisés célébraient. L’explication de SARTRE parait ingénieuse et littérairement pertinente, encore faudrait-il que les poètes de la Négritude y aient pensé en écrivant en français.
Mais SARTRE dit aussi autre chose que met particulièrement en lumière l’analyse du philosophe sénégalais Souleymane Bachir DIAGNE[4]. C’est que les poètes négro-africains ont vécu dans la dispersion au sens physique i.e. géographique du terme. Et de ce fait comme le mentionne Souleymane Bachir DIAGNE en résumant en substance SARTRE, « l’africanité, parce qu’elle est exilée de soi et dispersée, se constituera dans la (langue) francophone en exigeant ainsi que la langue qui parle naturellement l’universel la reçoive. »
Reste que SARTRE se trompe manifestement car l’africanité, aux antipodes d’un exil est, comme l’a toujours professé SENGHOR, un Royaume d’enfance d’une part et d’autre part surtout car le recours à la langue française ne s’est guère faite par défaut. Bien au contraire, peut-être paradoxalement aussi, mais sans doute de toute évidence pour un SENGHOR, cela allait de soi : écrire dans une langue occidentale, le français en l’occurrence, résidait dans la quintessence de la Négritude.
En effet si la Négritude est ce que les Africains anglophones ont appelé « The african personnality », elle est aussi et surtout « l’affirmation de soi comme acteur potentiel d’un dialogue. » SENGHOR l’a dit : la Négritude est un humanisme qui participe de la civilisation de l’universel qui est elle-même pour l’essentiel dialogue des cultures. Pour les négro-africains, quel moyen de dialogue avec la culture occidentale serait plus judicieux que de lui emprunter sa langue pour lui exprimer l’expérience négro-africaine ? C’est sans doute là l’une des formes de métissage les plus abouties d’autant plus que la Négritude est au plus haut point métissage. Et c’est parce qu’elle est métissage qu’elle existera tant que les africains seront à la surface de la terre. La Négritude n’est pas “ghettoïsation”, c’est plutôt l’affirmation d’une présence africaine en mouvement i.e. qui va vers l’autre en vue d’un métissage : une expérience et un état d’esprit dira-t-on.
Dès lors on perçoit mieux son actualité qui fait qu’elle dépasse le cadre conjoncturel et historiquement limité de la lutte contre la colonisation pour s’inscrire dans un processus jamais abouti et toujours renouvelé.
C’est bien cette Négritude qui nous interpelle vivement !
Nicolas Simel Ndiaye
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