La Chine est devenue la locomotive de l’économie mondiale. De fait, le marché chinois est important et offre des opportunités : elle représente un marché de 1,4 milliard de consommateurs avec une richesse globale de 9,5 milliards USD. Ces dernières années a vu les relations entre l’Afrique et la Chine s’intensifier, une opportunité certaine pour l’Afrique. Plusieurs pays africains n’ont d’ailleurs pas hésité à saisir cette opportunité.
Les marchés à l’exportation des pays africains se sont ainsi déplacés (sans se diversifiés) de l’Europe vers l’empire du milieu. Les flux financiers au titre des IDE et de prêts affluent, avec des conditionnalités bien plus souples (démocratie, droits de l’homme, etc. ne sont pas des questions qui intéressent particulièrement les investisseurs et les autorités chinoises). Alors que les anciens partenaires (occidentaux) considèrent cette situation comme une certaine prédation économique chinoise en Afrique, les pays évoquent la nécessité de diversifier leur portefeuille de partenaires afin d’accélérer leur développement, pour davantage s’impliquer économiquement avec la Chine.
Sauf qu’aujourd’hui la Chine n’est pas un partenaire dans le pool de partenaires, il est de loin le principal partenaire du continent. Cependant, comme William le soulevait : l’Afrique n’est pas le plus important des partenaires de la Chine ; ce sont plutôt l’Union Européenne, les Etats Unis ou le Japon. et c’est bien cela qui paraît inquiétant mais qui justifie aussi l’attitude africaine vis-à-vis des craintes qui sont formulées à l’égard de la présence chinoise en Afrique.
Paradoxalement, alors que le ralentissement en Chine inquiète (du fait qu’il est l’un des principaux acheteurs du monde), les pays africains se montrent sereins (très peu de débats sur la question). Une sérénité qui s’explique ou tout simplement l’impuissance d’un habitant d’une maison préfabriquée qui voit venir l’orage ?
La Chine, c’est 17% des importations africaines en 2014 contre 8% en 2005 et 14% des exportations africaines en 2014 (6% en 2005) alors que l’Afrique représentait en 2014 un peu plus de 3% des exportations chinoises et à peine 5% des importations chinoises. La dépendance de l’Afrique vis-à-vis de la Chine est plus qu’une évidence et elle s’explique. La majorité des pays africains ont toujours été les fournisseurs des « ateliers » du monde.
Ils vendent à ceux qui ont des industries. Les industries occidentales s’étant délocalisées en Chine pour la plupart et l’émergence d’une industrie propre chinoise créent un nouveau marché à l’exportation de matières premières pour les pays africains ; les entrées de devises étant nécessaires pour assurer le « service de la dette ». La Chine produit beaucoup, vite et moins chère (même si la qualité des produits peut être remise en cause) et ses produits, qui s’adaptent à tous les types de bourses sont parfaits pour les consommateurs africains dont le pouvoir d’achat est faible.
Les commerçants africains l’ont compris. Le Gucci et le Versace sont hors de prix pour les Africains, même le wax ou woodin, tissus prisés par une bonne partie des populations d’Afrique subsaharienne (fabriqués en Hollande) ; pourtant ils veulent bien en porter. La solution, la Chine l’offre. Un maillot floqué « Idadis» (à la place d’Adidas) ou une réplique du wax en nylon, c’est presque la même chose (il faut bien être un spécialiste de la matière pour différencier) et est financière abordable. Les produits chinois inondent le marché africain, les motos « Yamaha », « Mate » ou « Honda » sont rapidement remplacées par des engins de fabrication chinoise (dont la résistance ne dure que le temps d’un accident).
La Chine s’est rapprochée de l’Afrique et répond à ses besoins les plus urgents. Elle s’est d’ailleurs mise à son niveau, certainement pour mieux le pousser vers le haut. Elle prend tout ce qu’elle peut et offre ce que les dirigeants africains exigent tant que cela permet à ces entreprises d’obtenir les ressources nécessaires pour maintenir les performances du secteur industriel, qui puise sa puissance du marché intérieur chinois mais aussi occidental. Elle dame le pion aux partenaires classiques et financent par des prêts dont les conditions sont jugées peu favorables (ils sont quand même semi-concessionnels, il faut le signaler), les infrastructures dont les pays africains ont tant besoin, sans regarder la « note » socio-politique.
Les pays africains sont peu regardants sur la façon (marchés directement accordés à des entreprises chinoises, qui n’emploient pas ou peu la main d’œuvre locale). Tant que l’infrastructure est en place, c’est l’essentiel. Il y a des contraintes électorales à tenir, même si ce n’est pas bien nécessaire pour gagner une élection (mais il faut bien justifier les intentions de se maintenir au pouvoir avec quelques réalisations en matière d’infrastructures).
Le partenariat avec la Chine paraît tellement lucratif qu’on n’en oublie qu’il peut être porteur de risques. A termes la croissance change de régime ainsi que ses moteurs. La Chine a aujourd’hui développé son industrie, par voie de conséquence les conditions de vie s’améliorent, les populations exigent ou exigeront plus. Pour les chinois, il faut bien penser à renouveler les moteurs de la croissance et c’est bien de cela qu’il s’agit actuellement. La Chine prépare l’avenir. Elle veut miser plus sur son marché intérieur. Dans ce changement, ses anciens partenaires, notamment ses fournisseurs, et donc l’Afrique, seront fortement impactés – à des degrés différents.
Certains pourront bénéficier d’impacts positifs, notamment ceux qui ont mis en place les conditions (main d’œuvre qualifiée, infrastructures, énergie, condition de travail souple, etc.) pour prendre le relais en tant que « ateliers du monde » ; ce qui ne semblent pas être le cas pour l’Afrique dont le marché du travail est jugé très rigide et pas du tout intéressant pour attirer les investissements chinois ou dont les infrastructures et le capital humain sont encore insuffisants.
Pourquoi ? La réponse paraît évidente ! Tous les ingrédients sont déjà dans la sauce : la Chine nous vend ce dont on a besoin, nous prête de l’argent (qu’elle ramène chez elle à travers ses entreprises et qu’on devra rembourser quand même) et ne nous a rien enseigné. Nos exportations déjà très faibles dans les exportations chinoises vont se réduire alors que nos importations en provenance de ce pays vont augmenter, la balance commerciale au profit de la Chine va se creuser et par voie de conséquence, les entrées de devises seront moindres. Les pays africains auront plus de mal à tenir leur engagements financiers[1], cette fois pas seulement envers des partenaires « nationaux » mais envers des banques. Les conséquences de cette dépendance est déjà visible. La baisse de la demande chinoise a entrainé la chute du prix du baril et les gros exportateurs de brut en Afrique voient déjà leurs perspectives économiques se dégrader.
Catastrophe ? Pas tout à fait ! Si le partenariat avec l’empire du milieu est mis à profit pour faire du continent une zone économiquement attractive, les changements de politique économique en Chine n’auraient que des effets limités sur le continent. 6 ou 7% de croissance en Chine demeure quand même robuste et les opportunités pour l’Afrique sont certaines mais moindres ; les occidentaux s’inquiètent surtout parce qu’ils estiment que le pouvoir d’achat en Chine risque de se stabiliser et qu’ils ne pourront faire croître leurs ventes dans ce pays.
Une inquiétude qui serait d’ailleurs vite résolue, à la mesure où ils disposent d’un marché intérieur dynamique et capable d’absorber la production ; ce dont ne peut se prévaloir les pays africains, qui importent systématiquement l’essentiel de leurs consommations internes. Ces inquiétudes, sans pour autant être considérées comme une source de pressions supplémentaires pour les pays africains qui ont déjà assez de difficultés à tenir les pressions internes, devraient toutefois alerter les pays africains pour lesquels les enjeux du ralentissement de la croissance chinoise semblent assez importants.
Le risque pour l’Afrique est fort. Cependant, pendant qu’ils le peuvent encore, il faudrait que les pays africains accélèrent leur transformation vers une économie industrielle. A défaut, le tassement de la croissance chinoise va créer un « tremblement économique » en Afrique qui va remettre en cause les belles perspectives économiques du continent et les efforts réalisés ces dernières années en matière d’amélioration des conditions de vie. L’inaction constitue aussi une solution. Ce sera un bond de 10 ans, en arrière, avec de nouvelles initiatives d’allègement de la dette[2]. Peut-être qu’avec ce « reset », la politique économique des pays africains sera davantage plus prudente et permettra de positionner le continent comme futur « atelier » du monde.
[1] Conséquence de la baisse de la demande chinoise, les cours des matières premières vont chuter et la croissance africaine portée par les exportations de ces produits sera plus molle, ce qui se traduirait par une baisse des recettes pour les Etats
[2] en renforçant son partenariat avec le continent, dans les conditions, la Chine s’expose elle-même et devra se préparer à faire une initiative d’allègement de dette au profit des pays africains.
Foly Ananou
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