Le 3 octobre dernier, un bateau transportant environ 500 migrants originaires de la corne de l’Afrique a fait naufrage au large de Lampedusa faisant environ 300 morts dont des femmes et des enfants. Loin d’être le dernier épisode du sinistre feuilleton qui se déroule en méditerranée, une nouvelle embarcation de migrants Syriens et Palestiniens a chaviré à quelques kilomètres de Malte causant la mort d’une trentaine de personnes. Ces deux drames illustrent les conséquences des immigrations clandestines d’origine économique et politique respectivement.
Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce qu’il se passe en méditerranée, d’autres appellent à une surveillance accrue des frontières de l’Europe. C’est ce que fait déjà Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. La mission de cette agence vient d’être renforcée par l’adoption d’un système de surveillance pan-européen (Eurosur). L’approche utilisée par Frontex consiste à signer des accords de partenariats avec les pays de départs, dont la Lybie, la Tunisie et le Maroc, pour renforcer les patrouilles des Gardes côtes.
Ainsi, la répression est davantage privilégiée par les deux parties impliquées dans la gestion de l’immigration clandestine que sont l’Europe et les Etats africains.[1] Malheureusement, elle se fait au détriment de la recherche de solutions aux causes de l’immigration clandestine. A y voir de près, les migrations de façon générale et en particulier l’immigration clandestine ne sont que la conséquence de l’accroissement des inégalités entre les pays. C’est aussi le point de vue de l’économiste Branko Milanovic de la Banque Mondiale.[2] Cet accroissement des inégalités provient de trois principales sources dont la mauvaise gouvernance économique dans les pays de départ, la mondialisation des échanges et les guerres menées dans les pays d’origine par les pays de destination.
D’abord, l’absence de croissance inclusive génératrice d’emplois pour tous est à la base des migrations clandestines en provenance de l’Afrique. Cela contraste avec les performances économiques de la plupart des pays du continent au cours de la dernière décennie. Même si aujourd’hui les victimes sont principalement des Erythréens et Somaliens, on ne peut occulter tous ces migrants Maliens et Sénégalais qui n’ont pas pu voir les îles Canaris ou l’Espagne ; certains ayant péris en mer alors que d’autres ont succombé dans le désert du Sahara. Ces vagues de migrations sont principalement liées à l’absence d’opportunités économiques dans les pays de départs ; car en dépit de la croissance économique, peu d’emplois sont créés pour les jeunes. Les drames successifs qui se produisent en méditerranée sont en réalité des appels aux Etats africains pour la mise en place d’institutions politique et économique plus inclusives.
Ensuite, la mondialisation des échanges, même si elle est globalement bénéfique ne profite pas nécessairement à tous. En général, ce sont surtout les catégories les plus défavorisées qui sont les principales perdantes. Ainsi, les contrats d’exploitation de ressources naturelles défavorables aux Etats africains, l’éviction sans contrepartie des petits commerçants par de grandes chaînes de distribution et la destruction des écosystèmes naturels à travers l’exploitation des ressources minières qui s’y trouvent sont autant d’actes qui finissent par rendre l’émigration clandestine la dernière option de survie pour ces milliers d’Africains. De ce point de vue, les récents événements viennent rappeler aux institutions internationales impliquées dans la mondialisation l’ampleur de la tâche qu’il reste à faire pour qu’elle soit bénéfique pour tous ; notamment dans les pays en voie de développement.
Enfin, l’omission de l’impact humain dans les décisions de guerres prises par certains pays Européens ou Américains au cours des dernières années est également à la base de ce flux de migrations clandestines. En bombardant la Lybie ou en entretenant la guerre civile en Syrie, ces Etats ne laissent aucune alternative aux populations en dehors de l’émigration. En témoignent l’afflux massif de Libyens et de Syriens qui arrivent chaque jour sur l’île de Lampedusa. Il revient donc à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique de prendre désormais en compte l’incidence des guerres sur les conditions de vie de populations avant toute action sur le terrain.
En définitive, le drame qui se déroule dans la méditerranée n’est que le prolongement de ce triste feuilleton qui met en scène les populations, frappées par le creusement des inégalités, face aux dangers de la navigation maritime. Face à ce drame, les Etats Africains, les Institutions internationales et les pays Européens ont chacune leur part de responsabilité. Quelles que soit les causes, seule la mise en place d’institutions politiques et économiques inclusives dans les pays d’origine peut endiguer l’expansion de ce phénomène qui n’honore personne.
Georges Vivien Houngbonon
[1] Il existe toutefois des accords de coopération économique qui visent à promouvoir le développement dans les pays d’origine. Cependant, ces accords restent très marginaux par rapport à l’ampleur des défis de développement dans les pays d’origine.
[2] Le rapport sur le développement de la Banque Mondiale en 2006 pointe aussi du doigt l’impact des inégalités sur les migrations.
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