Le capital-investissement ou Private equity en anglais – cette activité qui consiste pour des investisseurs à entrer au capital de sociétés demandeuses de capitaux et non cotées en bourse – est en nette croissance en Afrique même si elle y reste encore modeste en comparaison avec les pays émergents . C’est ce qu’indique une récente étude de l’Emerging Markets Private Equity Association (EMPEA) qui en décrit les derniers développements de même que les défis.
En effet, les levées de fonds ont atteint 6 milliards de dollars entre 2006 et 2008 contre 2 milliards de dollars entre 2000 et 2005. L’Afrique subsaharienne a accueilli moins de 4 % des 159 milliards de dollars levés pour l’ensemble des marchés émergents entre 2006 et 2008, et moins de 0,5 % des 1 400 milliards de dollars levés dans le monde. En 2010, l’Afrique subsaharienne a atteint un record absolu de 6 % du total des capitaux levés pour les marchés émergents et cette tendance devrait se poursuivre.
Le principe du capital-investissement est en réalité assez simple. Il consiste à devenir l’actionnaire principal d’une entreprise et à vendre ses parts quelques années plus tard, étape appelée dans le jargon financier « la sortie ». Le fonds de capital-investissement apporte donc non seulement des capitaux mais est également un actionnariat professionnel qui peut améliorer la capacité de gestion de l'entreprise cible. L’achat des parts se finance en partie grâce à de la dette et les plus-values sont réalisées au moment de la « sortie » qui a lieu en général 3 à 10 ans après l'entrée au capital.
En Afrique, le développement du capital-investissement ne profite pas seulement aux entreprises qui y trouvent des sources de capitaux et la possibilité de s’agrandir et de se diversifier. Elle constitue aussi un excellent instrument pour investir l’épargne, élément souvent abondant sur le continent et dont la fructification est source de casse-têtes. Chaque jour en Afrique, de nombreux projets de création ou de développement d’entreprises sont élaborés mais ne voient pas le jour du fait du manque de capitaux. Chaque jour en Afrique, de l’épargne est dirigée faute de mieux vers l’achat d’actifs immobiliers, la consommation ou les dépôts bancaires à terme. Le capital-investissement pourrait résorber cette inefficience et contribuer à la croissance et au développement. Il offre une solution à des institutions qui auraient pu investir directement dans des entreprises mais en sont dissuadés par l’opacité des marchés.
L’Afrique attire désormais une plus grande diversité d’investisseurs. Alors que les institutions financières de développement étaient les soutiens traditionnels du capital-investissement dans la région, la majorité des fonds sont aujourd’hui apportés par d’autres investisseurs. C’est ce qu’on remarque par exemple chez Helios Investment Partners, le plus grand fonds panafricain de Private equity, l’un des rares à être financé et géré par des africains, dont 70% des 900 millions de dollars levés mi 2011 sont venus d’investisseurs autres que les institutions de développement.
Le capital-investissement permet également des opérations sur des actifs qui sortent du cadre des extractions minières et du secteur bancaire, secteurs qui couvrent à eux seuls la quasi-totalité du marché des actions en Afrique. Même s’ils occupent – logiquement- une place importante dans le capital-investissement, en 2010, plus de la moitié des opérations ont été réalisées dans d’autres secteurs comme l’agroalimentaire (par exemple Dewcrisp et Foodcorp en Afrique du Sud), la santé (clinique Snapper Hill au Liberia et hôpital pour femmes à Nairobi) et les médias et télécommunications (Wananchi Group au Kenya) . Comme on peut le voir, l’activité reste concentrée sur une poignée de marchés essentiellement en Afrique anglophone (Afrique du Sud, Kenya, Nigéria). Si on retrouve le différentiel de croissance et d’émergence entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone, on note au cours des dix-huit derniers mois une nette diversification géographique avec des sociétés soutenues par des investisseurs en capital au Bénin, au Congo, au Ghana, au Liberia, à Madagascar et en Tanzanie.
Si d’après une étude réalisée par l’EMPEA, 67% des gestionnaires de fonds interrogés considèrent l’Afrique attractive en 2011 et 39% y prévoient des investissements, certains facteurs minent encore le développement du Capital-investissement sur le continent africain, le principal étant le manque de main d’œuvre qualifiée. « Selon les gérants de fonds, le déficit de capital humain – les professionnels capables de développer, sélectionner, structurer et exécuter les opérations – pèse sur leur capacité à saisir les opportunités qui se présentent. Le vivier de cadres qualifiés travaillant dans les sociétés en portefeuille reste modeste, en particulier en ce qui concerne les directeurs financiers. De plus, l’absence d’un solide réseau d’intermédiaires – conseillers, banquiers, courtiers et analystes – génère un important travail de recherche et d’évaluation », rapporte Jennifer Choi, responsable des activités extérieures, des relations publiques et des partenariats institutionnels d’EMPEA. Le nombre de gérants de fonds actifs africains a quintuplé au cours de la dernière décennie mais il reste faible. Il s’agit certainement d’une opportunité à saisir pour les cadres africains compétents dans le domaine, à l’heure où des textes comme la Circulaire Guéant en France ou d’autres en Angleterre et ailleurs compliquent les conditions d'accès au travail de la diaspora africaine.
Le risque politique et les conditions de sortie difficiles du fait de la taille modeste du marché sont deux autres obstacles majeurs à l'essor du capital investissement en Afrique. Mais, les prix d’entrée proposés sont réellement compétitifs et les rendements importants. Les taux de rentabilité interne nets sont de plus de 20 % sur dix ans, contre environ 13 % au Royaume-Uni et 8 % aux États-Unis (RisCura et SAVCA, 2011). L'on est donc en droit d'être optimistes en la matière et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde : les sociétés africaines en recherche de capital relativement bon marché, les investisseurs africains en quête de placements intéressants pour leur épargne et les autres investisseurs qui souhaitent diversifier et donc « hedger » leur exposition aux marchés.
Tite Yokossi
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Sujet très intéressant. Comme tu l'expliques, le secteur est en plein boom, l'Afrique présentant un retour sur investissement supérieur à la plupart des pays développés, mais jusqu'à présent seulement dans certains secteurs et pays limités. Pour peu qu'il y ait l'accompagnement nécessaire (climat des affaires, normes, capital humain), le private-équity devrait s'imposer rapidement comme un levier important de développement économique. J'espère que les jeunes africains formés en finance s'orienteront prioritairement dans ce secteur, à la place des activités spéculatives sur les marchés financiers internationaux. A bon entendeur !
Je partage ton optimisme, le couple rendement/risque est attractif, et de plus en plus de sociétés de private equity se tournent vers l'Afrique. Concernant le déficit en capital humain dont tu parles, il faut en effet espérer qu'il sera comblé par des financiers africains et non par les ex banquiers européens en mal de bonus.
Un sujet très intéressant. On considère souvent l'attrait des investisseurs et capitaux étrangers comme une condition de développement. Et la naissance de plusieurs fonds d'investissement à destination de l'Afrique montre bien que le continent noir suscite des convoitises…
On pourrait penser que tout le monde y gagne… Mais très souvent, les investisseurs comme les marché ont une vision court terme. Comment s'assurer que l'investissement en Afrique ne se fasse au détriment des entreprises locales, des contraintes environnementales etc. Que faire si ces capitaux décident brusquement de repartir et provoquent une crise comme celle qu'a connue l'Argentine?
Comme toujours, il est nécessaire de se préparer en amont et de fixer le cadre réglementaire nécessaire afin d'éviter que les investisseurs ne dictent leur loi et que les populations soient réellement gagnantes sur le long terme.
@Lirashe, plutôt que de faire du private equity, que les jeunes étudiants africains dréent des entreprises 😉
Ted, merci pour ton commentaire. Je te rejoins quand tu dis qu'il faut mettre en place un cadre règlementaire pour tirer le meilleur parti de ces investissements.
Maintenant je ne pense pas qu'il y ait une paranoïa à avoir par rapport à une fuite soudaine des capitaux. Les investisseurs qui vont aujourd'hui sur le marché africain sont justement ceux qui n'ont pas une vision trop court termiste car malgré tout les risques y sont encore importants. Au contraire, moi je pense que les capitaux vont affluer en plus grande quantité dans l'avenir avec l'organisation des marchés et des institutions qui est en train de prendre, au moins dans les pays anglophones (Kenya, Ghana, Nigéria, Afrique du Sud etc.)
L'autre point important, c'est que la part des investissements réalisés par des africains est de plus en plus importante. Et c'est bien là une bonne nouvelle. Peut être que les comptes en Suisse ne sont plus la seule alternative pour les riches africains…
Pa rapport au commentaire de Lirashe, il faut, certes, que les jeunes africains créent des entreprises et que d'autres jeunes les appuient avec du capital et de l'actionnariat professionnel, bref en faisant du private equity.
Je partage pleinement le commentaire de TITE concernant le fait que les capitaux ne devraient pas repartir brusquement. Sur cet aspect il faut que les africains parviennent à conclure de vrais contrats qui garantissent l'aboutissement heureux de l'opération de sortie de l'investisseur. Par ailleurs la justice en afrique se doit de se professionnaliser pour eviter que les investisseurs étrangers continuent de faire des pots de vins au magistrats afin de gagner illégalement des procès.
Article très interressant à mon avis aussi. mais je comprends les inquiétudes de M. Ted. j'avais déjà dit dans un commentaire récent que l'histoire nous a déjà montré qu'en économie, une situation dans laquelle tout le monde y gagne ne dure généralement pas. avec l'hypothèse de Cétéris paribus, on pourrait penser comme Tite qu'il n'y a pas de raison se s'inquièter à une fuite soudaine des capitaux. pourtant, récemment avec la crise de 2008, nous avions connu dèjà sur le continent africain un phénomène similaire que les investisseurs ont appellé "la fuite vers la qualité". Selon le FMI, les flux de capitaux qui étaient en nette augmentation en 2007 et meme 2006 ont brutalement fléchi, passant de 48 milliards de dollars en 2008, à 30,3 en 2009 et à 32,6 en 2010. la bourse au Nigeria était tombée de 60% ; au Kenya de 40% en septembre 2008. Le problème justement était que les capitaux ont commencé à se retirer. les investisseurs s'étaient repliés vers la "qualité". or cette crise est née d'une situation où tous les intervenants y gagnaient, la crise des subprimes… comment donc nous assurer de l'efficacité et de la durabilité de ce nouveau système qui s'éclore en Afrique sans des institutions juridiques et règlementaires assez fortes et indépendantes, seules gages d'un bon controle de ce qui se passe sur ce marché? il s'agit pas de tuer l'oeuf dans le ventre de la maman, mais je pense qu'on a besoin comme l'a dit Ted d'une bonne dose de règlementation sur ce marché, avec bien entendu une transparence adéquate.
par ailleurs, si j'ai bien compris comment fonctionne le capital-investissement, je crois l'assimiler à un des éléments de l'IDE puisque l'investisseur prends position ou controle dans l'entreprise sur 3 à 10 ans avant de sortir. la bonne nouvelle à ce niveau, c'est que les IDE sont réputés comme générablement plus stables que les investissements de portefeuilles et autres. le private equity doit donc en théorie etre plus stable à court terme… tant mieux alors pour nous car comme le disait Keynes, à long terme, nous seront déjà tous morts.
Bonjour
Je vous rejoins dans tout ce que vous dites aussi bien Mr Ted,Mr Jim,Mr Lirashe.Cet article est très intéressant et je regrette de l'avoir lu que 18 mois plus tard.En effet les capitaux étrangers doivent etre surveillés de près.Des cadres réglementaires doivent etre instaurés si ce n'est renforcés pour le bien etre des populations locales et des entreprises locales.
De plus en plus de fonds de ce type s'intéresse à l'Afrique,par exemple au Cameroun Actis fortement au rachat du plus grand fournisseur d'éléctricité au Cameroun AES Sonel sans parler des ooportunités dans les actifs immobiliers.
Mr Ted a raison les jeunes africains à défaut de commencer leurs carrières dans le private equity pourraient à moyen terme créer leur propre entreprise.Seuls les batisseurs changent le devenir des choses.Etre financier permet d'apporter du capital mais rien n'est plus intéressant et constructeur que de batir.L'idée comme vous l'avez tous soulignez 🙂 est de combiner l'apport des capitaux par les jeunes financiers aux jeunes entrepeneurs.
C'est à nous de faire avancer les choses
Bonjour à tous,
Ce sujet est toujours aussi intéressant, 3 ans plus tard ! Avant tout, je tiens à dire avec optimisme que je vois aussi, dans le Capital investissement, une opportunité d'attirer les capitaux en Afrique et d'en faire profiter les économies Africaines. Aussi, quel bilan pouvons-nous faire de ces dernières années de Capital investissement en Afrique ? Quelle part de création d'emplois et de suppressions d'emplois (cas de fusions d'entreprises avec licenciements financées par des capital-investisseurs) ? Quels impacts socio-économiques des fonds investissant en Afrique dans l’agriculture et l’agro-industrie, les Infrastructures de bases (eau, électricité etc.) et les nouvelles Technologies d'Information et de Communication (accès favorisé pour Internet et les services Mobile tel le Mobile Banking, Insurance, etc) ? Aussi, quelle part de bénéfices générés ne sont pas réinvestis dans les économies africaines et s'enfuit du continent : Africain. Enfin, quelles avancées en matière de libéralisation du secteur versus les barrières à l'entrée que sont le climat des affaires, les réglementations/lois peu souples (limitant les entrées et les sorties d'investissements), les risques pays, la faible protection des capitaux investis …? Quel bilan ?
Bonjour Tite,
J'ai viens de lire votre article avec beaucoup d'intérêt et voudrais vous remercier pour la qualité de votre analyse.
Je crois profondement que l'Afrique est le continent de demain et que c'est maintenant qu'il faille en poser les jalons si nous ne voulons pas que les autres viennent nous souffler le gateau sous le nez !
C'est pourquoi, je souhaiterais si possible approndir cette discusion avec vous et sur mon e-mail personnel accompagnent ce commentaire.
A bientôt
Merci pour le commentaire. Je pense qu'il est toujours possible d'aller plus loin dans la discussion sur cet espace dédié à cet effet.
Bonjour,
Si l'émergence et le développement du Capital-investissement en Afrique est un sujet qui vous intrigue et vous parle et que vous aimeriez en savoir un peu plus, Persis Essono Ondo, le porte parole de Jean Ping pour la France donne une conférence à 16h ce Samedi 18 Février à la Halle Tony Garnier de Lyon.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site officiel de la conférence internationale pour l'Afrique :
http://conference-internationale-afrique.fr