Quand commence le roman, une communauté enclavée et repliée sur elle-même vient de faire l’objet d’une brutale attaque. Un incendie a embrasé de nombreuses cases, servant de diversion pour le rapt de plusieurs jeunes de ce clan. Une fois l’effroi retombé, le constat de la disparition d’une douzaine d’initiés va plonger les mulongo dans une torpeur et remettre en cause l’organisation sociale de ce groupe. La première réaction du clan est de bannir les mères des disparus et de les mettre en quarantaine…
Comment le clan réagit-il à cette attaque sournoise dont il n’est même pas capable de fournir une ébauche d’explication, une tentative d’identification des assaillants? Un peu comme dans L’intérieur de la nuit, le roman qui l’a révélé au grand public, la communauté que Miano vit en vase clos, ne maintenant des contacts pacifiques qu’avec les bwélés.
Pour développer son projet, l’écrivaine déploie des personnages intéressants sur lesquels on pourrait s'étendre. Des hommes. Des femmes. A découvrir. L’intelligence et la réussite du texte de Léonora Miano est de montrer comment le commerce relatif à la traite Atlantique s’est abattu sur des communautés naïves et repliées sur elles-mêmes. Elle balaie d’une certaine façon l’idée que la collaboration constatée ou le marchandage des hommes repose sur un fondement intrinsèque. Même si le livre a une thèse, la romancière camerounaise a l’intelligence de faire avancer le lecteur au même rythme que ses personnages dans la découverte de ce qui se trame derrière ses disparitions. Les alliances anciennes volent en éclats, les rivalités ancestrales sont remises au goût du jour en raison de la redistribution des cartes que les négriers offrent aux Côtiers. L’apparition de communautés créoles qui font penser aux prémices de la Sierra Léone et qui, si on y réfléchit bien, représente avec les premiers pas de nos communautés urbaines actuelles faites d’un melting pot, d’une superposition d’ethnies et de croyances multiples. Ici, les habitants de Bebayedi, village sur pilotis, ont réussi à s’extraire de la déportation annoncée, protégées par des marécages.
On ne se pose pas assez la question de l’impact sur les populations africaines de cette traite redoutable, où les seuls prisonniers de guerres factices ne suffisaient pas à satisfaire l’appetit vorace des cales de négriers.
Ce roman revient sur une préoccupation importante de la romancière camerounaise, déjà présente dans son roman Les aubes écarlates : Quelle sépulture pour ceux qui n’ont pas traversé le pays de l’eau ? Dans un texte où les croyances sont constamment questionnées de manière subliminale ou parfois de façon plus frontale, cette dimension obsédante dans une terre où justement on ne peut faire le deuil tant que mort n’a pas été actée, ces vies arrachées ont laissé des plaies béantes.
L’introduction poussive du roman peut traduire le malaise. Etrangement, Léonora Miano choisit de faire la femme le bouc émissaire, celles par qui le malheur arrive [en première lecture] comme si la puissance du patriarcat découlerait du dysfonctionnement qu’a imposé la Traite sur ces communautés.
Certains auraient voulu formuler des accusations. Révéler des manquements à l’égard des ancêtres, des maloba, et de Nyambe lui-même. Quelle autre explication devant un tel drame ? Les mécontents ont ravalé leurs protestations
[première lecture. classique. actuelle]
Mutango entend ce qui échappe habituellement à l’humain : les conversations d’une colonne de fourmis, la ponte de scarabée, la poussée de minuscules touffes d’herbe. IL sent . pas seulement la brise qui hoquette à travers l’épais feuillage des arbresn, ni la très lente reptation de la terre sous son postérieur, ses cuisses qui reposent à plat sur le sol. Il y a aussi l’ombre, cette ombre qui n’est pas la nuit, qui frémit au cœur de l’obscurité nocturne. Elle est glacée. Tout est vivant en ce lieu. Tout, excepté cette ombre. Ceux qui la composent, czr elle charrie une légion, appartiennent désormais à une autre dimension. Ils content une aventure dont Mutango écoute attentivement le récit, découvrant qu’il ne se destine pas uniquement à lui. En cet instant précis, il est possible que d’autres reçoivent ces propos. L’homme accorde toute son attention à ceux qui se disent désormais prisonniers du pays de l’eau.
P. 87
Les paroles de Mutango mettent en scène la dimension mystique qui relie ces individus à l’au-delà. Certains parleront de télépathie, d’autres de fantastique africain ou encore de sornettes dans lesquelles se bercent les subsahariens pour reprendre l’expression globalisante de Léonora Miano. Peu importe, Mutango est le personnage qui draine le plus cette philosophie. Il est aussi la figure aussi sur laquelle la romancière porte le regard le plus critique et dont la tragédie, pour peu que le terme soit adéquat, car sa faillite interpelle forcément sur ses croyances et cette mystique lorsque son objet est le service d’un projet personnel.
Dialectique sur la femme
Njanjo se lève. C’est une femme menue, mais il émane d’elle une autorité que nul ne songe à remettre en cause. Elle arbore une coiffe perlée qui lui enserre le visage,, se noue sous le menton. D’un geste de la main, elle ordonne que son homologue mulongo et ceux de sa suite soient débarrassés de leurs liens. Mukano, dit-elle, sois le bienvenu.
P.103
La question de la position de la femme est naturellement présente dans le travail de Miano. Mais, il est important d’observer toutes ses descriptions pour se faire une idée globale. Ce roman est porté par le discours et le parcours de femme qui toutes aboutissent d’une manière ou d’une autre. C’est assez subtil et brillant comme narration. Aussi, si la première phase du roman est lourde voire pénible dans l’entame du lecteur, il est important de voir dans l’écriture de l’écrivaine comme une volonté d’arrêter sur l’image de ce bannissement puéril des femmes, porte-malheur attitré, bouc-émissaire parfait du pouvoir patriarcal incapable d’interpréter les événements qui s’abattent sur la communauté.
Le texte ci-dessus montre des femmes dans une position différente dans la communauté bwellé. La position de la femme est valorisée et elle même dominante, au cœur du pouvoir, dans une structure ouverte sur le monde et ses grandes transactions. Là, la question de la fiction et de la vérité historique peut revenir chez le lecteur un poil machiste, d’autant qu’il y a une vraie dimension matriarcale dans cette exercice du pouvoir. Il peut paraître intéressant d’imaginer dans l’écriture de Miano, l’exercice de ce pouvoir matriarcal par une forme d’écrasement et de destruction des hommes détenteurs d’une quelconque parcelle d’exercice de la tyrannie phallocrate. C’est au lecteur de se faire une idée, en bouclant cette lecture.
Je terminerai mon propos en indiquant que nous sommes face à un roman brillant, exigent et qui n’est pas simple d’abord, jusqu’à ce Léonora Miano lâche ses personnages au-delà de leurs limites.
Titulaire d'un Master Recherche en Mécanique des Matériaux (Université Montpellier II, 2000) et d'un MBA en Marketing et Commerce sur Internet (promotion part-time 2014-2015, ILV Paris), Lareus est actuellement consultant MOA sur des projets informatiques. Il anime depuis 2007 le blog littéraire Chez Gangoueus et il initie et anime des émissions littéraires sur Sud Plateau TV : Les lectures de Gangoueus et 5 questions idéales à un écrivain.
Il observe avec intérêt les opportunités qu'offrent le web pour la diffusion de la culture africaine.
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *