Un article précédent faisait un panorama général des différents instruments de financement innovant pour le développement. Il s’agit, dans cet article qui fait partie d’une plus longue série, d’examiner de plus près l’un de ces systèmes, mis en place en 2009, l’African Carbon Asset Development Facility (ACAD). C’est un partenariat public-privé, dont le dispositif est issu du protocole de Kyoto, dans la catégorie des mécanismes de développement propre[1] (MDP). Il répond à deux objectifs complémentaires : atteindre les objectifs de réduction de carbone pour les pays industrialisés et bénéficier d’investissements et de transferts technologiques pour les pays en développement.
Son principe est clair puisque l’action de l’ACAD se décline en trois offres pour stimuler le marché des crédits carbone africain. Premièrement, c’est un partage des coûts et des risques avec les banques partenaires sur les prêts accordés aux entrepreneurs choisis – à l’instar d’un fonds de garantie classique – pour des initiatives ayant un impact sur le développement durable. Deuxièmement, c’est une assistance technique aux porteurs de projets pour les aider à les mener à bien, à la fois sur le marché que sur la validation comme projet de MDP. Dernièrement, c’est une formation et un accompagnement sur les spécificités de la finance carbone pour les institutions financières.
Le dispositif rentre bien dans la catégorie des financements innovants puisqu’il correspond aux critères énoncés par le Groupe Pilote sur les financements innovants[2]. Il repose sur une ressource relativement stable et prévisible (les revenus tirés des entreprises accompagnées); est complémentaire de l’aide publique au développement traditionnelle et fait partie des mécanismes de garantie d’emprunt. Enfin, il met en place des partenariats nouveaux entre bailleurs internationaux (UNEP, Initiative internationale pour le climat du gouvernement allemand), institutions financières (Standard Bank) et entrepreneurs.
L’ACAD a le mérite de répondre à des besoins cruciaux en Afrique puisque le continent connait un fort déséquilibre dans la répartition des certificats de réduction d’émission avec seulement 2% environ des certificats mondiaux[3]. De plus, en s’appuyant sur des projets locaux, ce système pallie le manque d’infrastructures en Afrique, ce problème entravant avec acuité la mise en œuvre et la maintenance de mécanismes de développement propres classiques. De même, il remédie au problème d’accès au financement : les coûts de MDP sont prohibitifs et empêchent l’éclosion de nombreux projets en Afrique. Les entreprises suivies sont soutenues financièrement à leur phase de lancement[4], ainsi que pour faire face aux coûts élevés de sélection (validation, évaluation d’impact). Enfin, tandis que les MDP sont peu connus en Afrique, ce programme permet de sensibiliser la société civile aux enjeux du développement durable tout en offrant des opportunités d’emplois et de croissance.
L’ACAD offre ainsi plusieurs atouts pour le continent. D’une part, il stimule un marché des crédits carbone en améliorant la capacité des banques partenaires à identifier et actionner des opportunités de crédits carbone. D’autre part, il réduit les coûts de développement de projets et d’investissement en construisant un portefeuille de projets viables et donc à même d’être répliqués en Afrique. Ce faisant, il facilite l’intégration régionale en déverrouillant des barrières de marché par des actions de sensibilisation d’échelle (forum, réseaux d’investisseurs). Le succès est au rendez-vous avec quatorze projets accompagnés dans neuf pays à ce jour. L’ACAD a accompagné des initiatives entrepreneuriales telles que « Nafa Naana » au Burkina Faso[5], pour améliorer des poêles économes en énergie ou bien des projets de plus grande envergure, comme le soutien à la certification de la plus grande zone d’éoliennes en Afrique (au lac Turkana au Kenya).
Le projet se révèle être intéressant pour le continent à court et à long termes. Aujourd’hui, il accorde une formation solide sur l’identification des projets de MDP pour les banques mais aussi pour les personnes travaillant dans l’entreprise accompagnée. D’ici quelques années, l’ambition est de stimuler un marché dynamique des crédits carbone en Afrique, d’intégrer les compétences liées à ce tissu industriel dans le secteur financier africain et de devenir un instrument de référence. Ces aspirations vont de pair avec des priorités stratégiques accroissant l’échelle de l’ACAD. L’objectif est de collaborer avec de nouvelles institutions bancaires partenaires, de créer de nouveaux mécanismes de financement (tels qu’un régime de garantie de crédits carbone prépayés), de disposer de moyens innovants de formation et de réseautage (e-learning, annuaire de marché) et de s’allier avec d’autres initiatives comparables dans le domaine du développement durable.
Toutefois, certaines limites peuvent être esquissées, en particulier en raison de la nature très discutable du marché des crédits carbone. En effet, comme cet instrument s’intègre dans ce marché, cette appartenance implique de devoir quantifier précisément les avantages réels des projets financés du point de vue du réchauffement climatique. Or, sur ce point, les données manquent. Cette absence d’information se retrouve d’une part quant à l’additionnalité financière (liée à la vente de crédits carbone), critère requis pour qualifier un MDP selon le protocole de Kyoto, et d’autre part quant aux certifications attribuées aux projets. En outre, auréolé de bonnes intentions, le marché carbone est pourtant l’arène de nombreux « carbon cow-boys » aux aspirations plus lucratives qu’écologiques, qui spéculent sur ces crédits alors assimilés à une valeur boursière lambda[6].
Il faut également souligner une certaine contradiction sur le présupposé même de cet instrument : la très faible demande énergétique en Afrique. Si la demande est faible, il en va alors de même pour les opportunités d'investissement. Il semble alambiqué de vouloir substituer à une demande quasi nulle des certificats de réduction d'émission. Néanmoins, la conjoncture actuelle suivie par l’Afrique annonce une hausse de la demande et il est possible de rétorquer à cette critique que la demande n’est pas forcément celle entrevue par la lorgnette occidentale. Le projet burkinabé cité plus haut atteste bien du potentiel de développement et des besoins de soutien d’un projet a priori dépourvu d’opportunité d’investissement.
Enfin, concernant la mise en œuvre même du projet, un point est critiquable : il semble que l’objectif de transfert de technologie, propre aux MDP, soit incertain, puisque les projets recourent principalement à des technologies locales. Cette considération peut être vue soit par le verre à moitié plein – exploitation et développement de ressources locales, soit à moitié vide – aucun transfert technologique.
Cependant, pour ne pas finir sur une sombre note, soulignons que ce projet fait primer les bénéfices socio-économiques induits par les projets portés sur la quantité économisée de carbone. Est ainsi privilégié le « comment » au « combien », somme toute selon une bonne vieille logique de développement et de création de richesse.
Pauline Deschryver
[1] L’article 12 du protocole de Kyoto
[2] http://www.leadinggroup.org/rubrique332.html
[3] https://cdm.unfccc.int
[4] Ce soutien financier s’élève jusqu’à 125 000 dollars de subvention par projet
[5] http://www.wehavethepower2030.org
[6] Aurélien Bernier, « Augustin Fragnière, 2009, La compensation carbone : illusion ou solution ? PUF, 208 p. »
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