Le roman du coup d’état monté en mars 2012 par quelques officiers subalternes, sous-officiers et hommes de rang des forces armées maliennes et qui aboutit à la destitution du Président Amadou Toumani Touré est bâti sur l’idée que les hommes en armes se seraient révoltés contre l’incurie, la mollesse et l’incompétence du pouvoir politique, ATT en tête. L’idée étant que les armes, les minutions et le soutien aérien dont les FAM auraient eu besoin pour repousser les avancées du MNLA auraient été bloqués à Bamako, par la faiblesse du gouvernement.
Or, les câbles de l'ambassade américaine à Bamako révélés par Wikileaks montrent que dès 2008 désertions, exactions et dénonciations (puis exécutions) de militaires maliens étaient phénomènes déjà connus. L'administration ATT présentée par la Junte militaire malienne comme apathique et désintéressée, s'est démenée – ces mêmes cables l'attestent – pour obtenir l'installation du commandement militaire intégré des forces américaines en Afrique au Mali et a rejoint, dans les premiers moments, la force de lutte contre le terrorisme installée par les Etats-Unis dans la région.
Depuis trois semaines qu'elle a pris le pouvoir à Bamako, les réponses proposées par la junte militaire, sont des plus confuses et la théorie censée guider sa stratégie militaire est illisible. Il a d'abord été question de contention : les forces armées maliennes se retiraient, selon la junte, pour constituer des points forts et imprenables. C'était avant la perte de Kidal. Par la suite, le Capitaine Sanogo faisait appel à l'intervention des forces occidentales – si l'OTAN est intervenu en Libye, elle peut bien intervenir au Mali. La fin de non-recevoir opposée par le Quai d'Orsay à cette proposition déclenchait presque aussitôt, les débuts d'une mobilisation de 3000 hommes par la CEDEAO. Deux semaines après cette mobilisation, la junte militaire refuse l'intervention de troupes étrangères. Entre temps, elle a perdu Gao et Tombouctou, deux bases aériennes et le contrôle de la moitié du pays, la république de l'Azawad a été proclamée par le MNLA et le drapeau noir du Djihad est imposé à Tombouctou. Et contrairement aux premières infos reçus, la junte militaire menée par le Capitaine Sanogo n'a pas cherché à "arrêter" Amadou Toumani Touré. Les tirs d'artillerie lourde qui visaient le palais présidentiel et menèrent à la fuite d'ATT n'étaient pas des tirs de sommation… Même quand elle semble préparer sa sortie – avec l'adhésion au plan de sortie de crise proposé par la CEDEAO – la junte militaire au pouvoir en Mali reste indécise : elle se garde le droit d'intervenir à l'issue des 40 jours d'intérim qu'assurera le Président de l'Assemblée Nationale. On en viendrait à croire que rien n'effraie plus les officiers du CNRDR que de devoir retourner au front.
Doit-on rappeler que les "redoutables" forces rebelles qui contrôlent la moitié du Mali ne comptent que 3000 hommes?
Joël Té-Léssia
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Ce capitaine Sanogo est un rigolo, mais j'en veux aux autorités maliennes de s'être laissées désarçonner par de tels personnages. Comme il l'a été dit dans l'article, les militaires maliens ont trouvé plus facile de retourner les armes contre leur propre Etat souverain plutôt que d'affronter les forces armées rebelles, ce qui est déplorable. Quand bien même ils ont pensé bien faire et partaient de bonnes intentions (ce dont on peut également douter), leur amateurisme et leur bêtise a favoriser l'avancée fulgurante du MNLA.
Il est temps qu'il y ait des gens qui fassent preuve de responsabilité, au Mali et dans la CEDEAO, et qui se saisissent de cette question qui est une menace à l'ordre de l'ensemble de la sous-région.
Et apparemment l'armée malienne n'était pas armée alors que le gouvernement malien a permis aux touregs de retour de Libye de rentrer dans le pays avec des armes lourdes…
N'oubliez pas le contexte de ces évènements et le jeu de 3 protagonistes (France, Algérie, Mauritanie). Le Mali n'ayant aucune frontière avec la Libye, comment ces rebelles ont ils pu atteindre le territoire malien avec armes, bagages et surtout armement lourd ? Comment depuis le début des combats sont ils ravitaillés en carburant (si important dans cette lutte dans le désert), en munitions et où se repliaient ils pour soigner leurs blessés ? Comment expliquer l'insistance mise à exiger un "règlement" politique dans l'état actuel du rapport de forces et le refus de toute intervention "étrangère"? Il faut également évoquer la légèreté incroyable du Président ATT qui sous la pression de l'Algérie a accepté de démilitariser le nord du pays, laissant le champ libre aux rebelles et aux trafiquants, et qui a été accusé par la même Algérie d'être le "maillon faible".
@ Djibril Semega Les rôles respectifs joués par la France, l'Algérie et la Libye dans la crise malienne – et les positions des autres acteurs (Niger, Mauritanie, CEDEAO, UA, etc.) seront analysés dans un article à venir.
Le plus important ici était de souligner le malaise qu'on ressent devant les tergiversations du CNRDR. Si le but du coup d'état était de s'assurer qu'un pouvoir fort et plus décisif serait installé de façon à ce que la reconquête de l'intégrité territoriale se fasse, et si les mutins étaient vraiment décidés à en découdre avec la rébellion, la junte au pouvoir aurait accepté l'offre de soutien de la CEDEAO, rétabli rapidement le pouvoir civil et organisé la reprise des combats. Il se trouve que rien de cela n'a été fait.
Soit le CNRDR admet que les forces armées maliennes en l'état actuel n'ont pas les capacités qu'il faut pour reconquérir le pays (ce qui était, à la base leur devoir et leur raison d'être) et elles acceptent la solution politico-militaire proposée par la CEDEAO, retourne dans ses casernes, receptionne le soutien logistique promis par la communauté internationale et attend les ordres de redéploiement.
Soit les militaires maliens, au pouvoir aujourd'hui, montrent la même détermination à affronter la rébellion qu'ils ont mis à attaquer la présidence de la république.
Le CNRDR agit actuellement moins comme un état-major que comme un organe politique : gagner du temps, couvrir ses arrières, consolider son pouvoir, ménager des portes de sortie à ses protégés.
Serait-il possible qu'en plus d'avoir été de mauvais soldats, les membres de ce comité se révèlent bons politiciens?