C’est une scène glaçante : au fond d’une cour de maison quelque part dans Monrovia, un cadavre abandonné. Le corps gît au sol, couché sur le ventre. On perçoit de loin l’entame du processus de putréfaction. Personne n’ose roder aux abords immédiats du cadavre. La Caméra d’Envoyé Spécial qui s’y aventure, guidée par des riverains et voisins du défunt, caractérisés par un mélange saisissant de candeur et de peur, reste à distance raisonnable. Les services mortuaires libériens débordés, n’ont pas eu le temps d’enlever le corps. Quelques jours sont passés déjà. Dans les charniers dont se couvre la ville progressivement, leurs moyens dérisoires ne peuvent offrir une couverture entière. Le défunt est soupçonné d’être mort de la fièvre Ebola. Le document télévisé montre les scènes de chaos, de panique, la déstructuration de la chaine des urgences, et in fine, le désamour que la maladie finit par instiller dans les rapports de bienveillance si historiquement ancrés en Afrique. Les seuils symboliques de morts qui peuplent les bulletins d’information, 3000 morts, 4000 malades, portent donc un visage et une terreur: celui de la mort et celle de l’impuissance.
D’une épidémie dont on parle si souvent, sans jamais en voir les réels ravages, ballotés par les chiffres, mais lointains, Envoyé Spécial a offert un premier portrait. Glauque, désarmant, particulièrement inquiétant. L’épidémie est hors de contrôle au Libéria. Ce que l’on soupçonnait s’avère triplement plus grave : Le Libéria se meurt. Principalement, de pauvreté et de désorganisation sociale. Héritées d’une guerre civile dont la nomination du reste très encourageante à la tête de l’Etat de Ellen Johnson Sirleaf ne gomme pas les stigmates, les plaies béantes du Libéria auront nourri Ebola. Le Parc sanitaire défectueux, l’absence d’automatisme des services de l’état, l’éternel mais si impardonnable manque de moyens, le type même de l’habitat ravagé et les promiscuités qu’il commande, ont fait le lit d’une maladie qui n’est pas prête de stopper sa faucheuse. L’on ressent à la vue des images, une mixture inconfortable de gêne, de colère sourde, de peine. Après la gifle des images, il faut refuser de se clore dans les perspectives immédiates et voyager aux sources de telles tragédies.
Il n’y pas de hasard dans le fait que ce soit les deux pays particulièrement fragilisés par des décennies de guerre civile, qui payent le lourd tribut des morts. Dans tous les défis urgents africains, dont l’enjeu principal sanitaire, le point décisif reste l’organisation sociale. Le Libéria et la Sierra Léone subissent le contrecoup d’un passé récent qui les a installés dans une fragilité sur le long terme, à la merci des étincelles politiques, des crises identitaires, et des aléas viraux. Le foyer de départ Guinéen paye un long chaos politique, quand le Sénégal et le Nigéria, du fait même de la nature de cas importés, offrent des gages et des dispositions qui sont indubitablement liés à la stabilité politique.
La pauvreté, éternelle absolution en toute circonstance, ne doit pas être considérée comme la cause d’un produit social dont il faut s’accommoder, en confiant au destin ses désirs de changement. La pauvreté a beaucoup de chance d’être, dans l’état des pays précités et bien d’autres du reste, le produit d’une histoire, d’une culture qui implique directement la responsabilité sociétale. L’abus de l’excuse de la pauvreté finit par « ordinariser » le problème et par impersonnaliser les responsabilités.
On ne se tire pas indemne des postulats culturels qui ont gouverné ce continent et dont on n’a pas fait l’inventaire. Ebola n’est qu’une maladie de pauvres. Elle ne frappe qu’eux, ne se nourrit que de leur faiblesse. La pitié et la propension à s’apitoyer sous de supposés décrets divins, sont des compassions qu’il faut s’éviter, car la pauvreté n’est pas une cause, c’est une conséquence : un état d’anarchie heureuse, un état d’absolution, un reposoir pour les politiques, et la gaieté ambiante des sans grades, comme d’ailleurs l’exotisation du continent, en tisse les légendes. Il faut d’une certaine manière vaincre cette forme de Providence singulière que campe la pauvreté, donc sonder l’abîme culturel.
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j'ai lu votre article avec intérêt.
Et je me demande encore qu'est ce que j'en retiens. les idées, la beauté du texte.
je reste insatiable. proposez nous une solution, une lueur d'espoir, une morale… une ressurection…
OU devrions nous mourrir, abandonnés comme votre héro
Une piste de réflexion est dégagée:
" Il faut d’une certaine manière vaincre cette forme de Providence singulière que campe la pauvreté, donc sonder l’abîme culturel." 🙂