La situation au Nord-Mali est plus que jamais grave et préoccupante pour l’Afrique et le reste du monde. Depuis le coup d’état du 22 mars 2012 qui a précipité l’anéantissement des institutions politiques du Mali et favorisé l’occupation du Nord par des groupes armés Touareg, la communauté internationale peine à trouver une solution viable et définitive. La volonté actuelle du gouvernement de transition, réaménagé en un semblant de gouvernement d’union nationale, consiste en une reconquête militaire du Nord avec l’aide de son principal partenaire régional, la Cedeao, dont une mission (la Micema) est en gestation. Mais cette intervention militaire est pour le moment inopportune car les conditions ne sont pas réunies, les modalités ne sont pas définies, et les conséquences seront imprévisibles.
La faiblesse de l'armée et de l'Etat malien ne favorise pas l'intervention
Tout d’abord, le Mali ne dispose ni d’une armée forte ni d’un Etat solide apte à la soutenir pour mener une telle action contre des groupes dont la capacité de résistance et l’origine du financement ne sont pas totalement connues. L’armée malienne manque cruellement d’unité et d’organisation du fait de sa scission en plusieurs factions : des fidèles du capitaine Sanogo, leader des putschistes, des partisans de l’ancien chef de l’Etat Amadou Toumani Touré dont certains continuent à faire l’objet d’arrestations, des légitimistes favorables au Président intérimaire Dioncounda Traoré, sans compter une bonne frange qui est restée neutre. Une armée aussi divisée ne saurait valablement s’engager dans une campagne de grande ampleur dans des zones aux réalités géographiques hostiles, et contre des groupes tribaux armés qui ont infiltré une partie des populations sur place et dont les ressources logistiques et financières ne sont pas encore bien évaluées.
Le gouvernement de transition, quant à lui, vient à peine d’être réaménagé après l’ultimatum de la Cedeao. La plupart des membres de l'ancienne équipe sont restés, le nouveau gouvernement s'illustrant par l’octroi de départements importants et stratégiques aux partisans du capitaine Sanogo. Ces deux aspects sont sujets à critique vue la forte réprobation dont le Premier Ministre Cheik Modibo Diarra faisait l’objet dans le pays comme dans la région d’une part, et la mise à l’écart des putschistes qui aurait dû présider à la formation de ce gouvernement d’autre part, pour ne pas encourager les changements inconstitutionnels de régime. Comme ses prédécesseurs, ce gouvernement est dans l'incapacité, tant logistique que financière, à mener une quelconque guerre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il sollicite le soutien de ses partenaires, notamment la France, l’ONU et la Cedeao, tout en posant ses conditions. Or, le refus des autorités de la transition de recevoir des troupes étrangères sur le territoire malien ne va pas dans le sens de l’atteinte d’une solution concertée aux difficultés du pays. Les responsables militaires de la Cedeao ont clairement indiqué leur intention de sécuriser les institutions de la transition et de participer à l’encadrement des forces armées maliennes. Cette divergence de point de vue dans les priorités doit être dépassée par un retour au réalisme de la part des autorités maliennes.
Précipitation des autorités maliennes et risques d’enlisement du conflit
Au regard de la faiblesse des acteurs maliens, l’option militaire n’est pas la mieux indiquée pour le moment. Le branle-bas de combat diplomatique initié par les autorités maliennes en vue de la formation d’une force d’intervention armée, qui bénéficierait d’un appui aérien provenant de la France et/ou de l’Onu, ainsi que d’un soutien logistique de la Cedeao, est tout simplement inopportun. Aucune résolution durable de la crise ne pourra se faire dans la précipitation et l’empressement. Comment veut-on mener une campagne militaire efficace avec un niveau d’organisation aussi faible, surtout lorsqu’on déclare urbi et orbi ne pas désirer la présence de troupes étrangères ? Pis, les autorités maliennes refusent toute coopération militaire régionale qui consisterait simplement, avec l’envoi de 3300 soldats de la Cedeao, en la protection des institutions de la transition et la sécurisation des territoires qui ne se trouvent pas encore sous le joug islamiste ! A quoi sert ce sentiment nationaliste lorsqu’on se trouve dans une situation aussi délicate ? Les responsables militaires de la Cedeao n’ont d’ailleurs pas montré une volonté particulière d’envoyer des troupes dans le Nord, mais souhaitent logiquement prévenir tout débordement du conflit qui pourrait se téléporter au-delà des frontières maliennes. Ce qui se comprend.
L’intervention militaire préconisée par le gouvernement malien pourrait très bien résulter en un enlisement incontrôlable du conflit. Le danger qui réside dans une telle intervention est de provoquer l’inverse de son objectif. Les groupes islamistes pourront adopter une logique de confrontation va-t-en guerre sans limite dans le temps et dans l’espace. Les Etats-Unis et leurs alliés en font les frais en Afghanistan et en Irak de manière permanente, nonobstant leur capacité d’organisation et leur puissance de feu, incomparables à celles du Mali. L’intervention militaire aurait des conséquences imprévisibles pour les populations civiles du Nord, et pour la survie du reste du territoire. De plus, même si une campagne ciblée était menée, avec des frappes chirurgicales comme celles expérimentées en Libye, les dégâts collatéraux seraient incommensurables. Les populations civiles innocentes ne doivent pas payer de leurs vies le prix de la volonté du gouvernement de libérer le Nord. En considération de tous ces risques, les autorités maliennes devraient dès lors privilégier des voies alternatives de règlement du conflit.
Propositions de sortie de crise
A court terme, priorité doit être donnée à la sécurisation des territoires non encore occupés et à la protection des autorités de la transition. A moyen terme, le renforcement des institutions étatiques et la remise sur pied de l’économie nationale constituent les principales étapes incontournables de toute résolution de la crise. L’installation de corridors humanitaires pour faire transiter des aliments et des médicaments, ou même évacuer les populations désirant échapper au joug islamiste, devrait être poursuivie par les organismes onusiens. A long terme, la recherche d’une solution politique, concertée, devrait primer sur toute autre. Si la renonciation à ces territoires est inenvisageable, l’association des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Mali à la recherche d’un consensus demeure inévitable. Il semble que les diplomates maliens ainsi que les émissaires de la Cedeao, notamment les négociateurs burkinabés, ont d’ores et déjà exploré la piste de l’Algérie, qui reste quand même concernée de manière immédiate par ce conflit qui se déroule à ses frontières, et en est partie intégrante. La Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Tchad, et le Sénégal ne doivent pas non plus être négligés. Ces deux derniers pays ont clairement exprimé leur opposition à toute participation à une campagne militaire, ainsi que d’autres le pensent tout bas, du fait des risques implicites. Les accords de défense récemment conclus par le Sénégal avec la France devraient, à défaut d’être rendus publics, comporter des dispositions pouvant servir à renforcer la sécurité régionale.
De même, l’Union Européenne, l’Union Africaine, et l’Organisation de la Coopération Islamique, devraient s’impliquer plus activement dans la recherche d’une solution politique. L’OCI en particulier, pourrait constituer un groupe d’experts pour tenter de faire entendre raison à ceux qui se réclament de l’Islam pour commettre des forfaitures de manière éhontée et injustifiable en son nom. L’Union Africaine pourrait également reprendre à son compte le leadership régional à travers son Mécanisme de prévention, de gestion, et de règlement des conflits, à l’heure d’une nouvelle gouvernance sud-africaine qui doit y démontrer toute sa capacité institutionnelle de rassemblement politique et de mobilisation de ressources financières. Sur ce dernier point notamment, le concours des partenaires occidentaux tels que l’Union Européenne et les Etats-Unis ne doit pas se faire attendre puisqu’ils demeurent concernés non seulement par les enlèvements de leurs ressortissants, mais également par tout débordement éventuel qui verrait Al Qaeda se doter durablement d’une base territoriale.
Mouhamadou Moustapha Mbengue
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belle analyse…qui met en evidence la quasi impossibilité de regler cette situation avec les moyens habituels….
Analyse belle et pertinente qui met en évidence les vraies raisons des bégaiements de la communauté internationale. Il convient avant tout de connaître les fondements des phénomènes émergeants qui sont à l'origine de l'islamisme et des ses mutations en terre africaine. J'espère que des réflexions prochaines seront convoquées à cet effet.
Tous nos encouragements Moustapha et aux responsables de Térangaweb qui nous ont permis de mieux comprendre.
merci Moustapha pour ton analyse claire et détaillée qui décrit bien l'impasse dans laquelle se trouve le gouvernement malien..
Merci à tous pour vos remarques. Des développements ultérieurs se feront sur les groupes armés.
Je ne sais pas trop que penser de cet article et certaines pistes de sortie qu'il propose.
Prenons ceci : "Les accords de défense récemment conclus par le Sénégal avec la France devraient, à défaut d’être rendus publics, comporter des dispositions pouvant servir à renforcer la sécurité régionale. "
Je trouve qu'il est consternant de lire encore aujourd'hui ce type de discours. Il faut arrêter avec ce type de posture. On voit ce qu'à donner en Côte d'Ivoire la présence de l'armée française sensée défendre les intérêts africaines, mais qui sert surtout les positions de ces représentants de ces intérêts.
La question est de savoir comment le régime de l'Azawad peut tenir si un embargo efficace se met en place. Est-ce que cette région permet un tel embargo? Quels sont les acteurs régionaux qui seraient prêts à jouer cette partition. Il sera alors possible d'identifier les brebis galeuses.
Pour le reste, l'analyse des divisions de l'armée malienne est pertinent. Et il révèle une constante déja identifiée en RDC. Les agressions extérieures les plus minimes ont de grande chance de succès contre nos états qui ne sont pas encore des nations.
La réflexion sur l'identité nationale ou sous régionale doit à mon avis prendre une place plus importante dans les projets de développement du continent. Comment vivre ensemble? Comment arrêter de faire semblant de vivre les uns à côté des autres sans avoir réellement un sentiment d'appartenance à une terre, à un espace commun?
Gangoueus, merci pour ta réaction. Je n'ai pas connaissance du contenu des accords de défense en question, mais s'ils peuvent aider à garantir la sécurité de nos frontières, alors pourquoi pas? Il est normal qu'une puissance qui conclut ce type d'accords privilégie ses intérêts à mon avis, mais c'est donnant donnant aussi. On ne peut quand même pas exiger de la France, ni de quelque autre pays, de venir assurer notre sécurité et de ne point s'occuper de ses intérêts sur place! Je suis d'accord que ça n'a pas tourné rond en Côte d'Ivoire, mais le rôle plus ou moins reconnu des forces internationales dans l'expulsion de Gbagbo est en soi bénéfique. Même si elles défendent d'abord leurs intérêts, pourquoi y rechigner?
Pour ce qui est de l'identité nationale ou sous-régionale, je pense que la nécessité de coopérer n'est plus à démontrer. On peut cependant regretter que cette intégration ait été conclue à marche forcée, et que les priorités n'aient pas été bien définies. Ce qui fait que nombre d'organisations à vocation économique sont de plus en plus amenées à intervenir sur le volet politique, et que la fluidité des frontières amène à ce type de drame qu'on vit actuellement, au Mali comme en RDC entre autres.
Bonjour Mouhamadou,
Il y a beaucoup de fatalisme et de résignation dans ton propos. Mais vu qu'on est ici dans l'Afrique des idées, essayons d'envisager un monde meilleur où l'Africain, le sénégalais n'attend pas d'une puissance extérieure d'assurer l'étanchéité de ses frontières. Raisonner ainsi, c'est abdiquer une part de notre souveraineté. Vous me direz que nous n'avons jamais de souveraineté sur le plan militaire. Je dirai ok, mais les choses peuvent changer.
Prenons, le cas malien. En appliquant ton raisonnement, on est bloqué. Comment les français pourraient ils intervenir en sachant qu'ils ont des otages entre les mains d'AQMI?
En Côte d'Ivoire, ça a été la même logique de l'entre deux. J'houspille les français, mais j'ai besoin d'eux pour me défendre des rebelles du nord. Et on n'assume pas une stratégie pour faire face à l'agression parce que papa peut toujours venir à la rescousse. Il faut qu'on change d'approche, qu'on sorte de cette mentalité de colonisé.
Ne pas confondre stp l'intervention française dans le cadre d'une sécurisation des frontières sous-régionales et celle qui vise à libérer des ressortissants, pour laquelle d'ailleurs une opération militaire est rarement privilégiée. Si tu suis bien mon raisonnement, je ne suis pas pour une intervention armée justement, mais plutôt pour qu'on fasse de la sécurisation des frontières une priorité. Et dans cette optique, toute aide est bienvenue, fût-elle celle de l'ancien occupant qui privilégies ses intérêts, tant que ce n'est pas à notre détriment. (cf mon post dans le nouvel édito sur Chaka)
🙂 Bien sur. Je suis très bien les limites de ton raisonnement. Le plus simple c'est de se mettre directement sous tutelle, d'officialiser un protectorat, ce serait mieux, non?
Votre réfléxion,Monsieur Mouhamadou, est bien claire,mais ne répond pas actuellement au souci du peuple malien et ses amis. C'est vous dire que toute récolonisation, que ne veut plus d'ailleurs la France, par des accords militaires, n'est plus de mise.Il faut que coûte que coûte l'Afrique arrive à s'émanciper du joug colonial qui y trouve son terrain favorable grâce aux divisions voulues et entretenues par certains Etats qui clament à tue-tête l'intégration africaine, mais pensent le contraire.A cause de cela, aucune politique dans le sens de rassembler,d'unir,n'arrive à se réaliser.Et tant que l'Afrique se comporte en éternelle assistée,ne comptons pas sur son émergence.Le plus régrettable réside au fait que ceux sont les intellectuels qui défendent ces idées d'un autre temps contre le vouloir ardent de nos populations Pour revenir à l'idée de l'implication de partenaires dans la résolution de la crise malienne,il faut plutôt privilégier la piste de la confrontation militaire,seule option actuelle pour le Mali de se faire entendre par ces intégristes dont le souci ferme demeure d'islamiser par la force toute la sous-région,et même tout le Monde.Et pour cela ils avancent à petits pas, mais sûrs,à chaque fois qu'ils constatent une opportunité,un rélachement,pendant que nous nous perdons en conjectures.Ils font semblant d'écouter mais en fait ils croient qu'ils sont investis du pouvoir de Dieu de soumettre tous à leur volonté,quel que soit le prix.Ainsi toute minute perdue à faire des réunions,à proposer et réproposer des plans, joue en leur faveur,car eux ils se renforcent,s'incrustent et pensent de plus en plus qu'ils ont raison de commettre les atrocités qu'ils sont entrain de faire subir à la population innocente du Mali au jour où nous sommes. Pour terminer,il faut savoir que le Peuple malien pense qu'il est victime d'une injustice liée à sa volonté de régler toujours les conflits par la voie de Dieu,la voie du dialogue.Et le plus intolérable est que ces intégristes sont originaires de Pays où la charia n'est pas appliquée,mais ont sauté plusieurs d'autres pour venir s'attaquer à lui.Enfin,tous les Maliens sont décidés à laver cet affront si tous ceux qui prétendent être leurs frères et amis leur apportent leur soutien inconditionnel selon leurs voeux Merci..
Il n'est pas question de colonisation, il est ici question de sécurité collective.Lorsque notre case en paille prend feu et que ni vous ni vos plus proches voisins(case en paille eux aussi) ne sommes en mesure d'éteindre le feu, nous ne voyons pas de mal et n'avons pas honte de demander à qui le peut, de nous venir en aide, qu'il y ait intérêt ou non. La colonisation se,présente sous d'autres formes stoppables seulement avec un africanisme vraiment actif et surtout plus pragmatique.La Cedeao s'était rendue en Sierra léone et au Libéria mais face à de nombreuses difficultés sa missions fut finalement ornée du bleu de l'Onu qui a réellement plus de moyens d'y faire face.Sa méconnaissance du terrain l'avait amené à collaborer avec des groupes rebelles dissidents pour mener sa mission.Dans ce désert déjà bien miné par ces fossoyeurs de l'Islam, imaginez la tuerie que ça serait pour les innocentes colombes de la communauté. Même les guerroyeurs américains l'ont bien compri et pas surprenants que la France ne veuille pas y mener ses hommes: un mouroir donc pour des étrangers et des nationaux divisés.
On peut lire dans le Coran ''Pas de contrainte en religion''. Et je ne comprend pas que ces individus commencent par l'application des peines avant même de faire connaître, comprendre et de faire accepter(avec la raison) aux populations les lois qu'ils veulent leur imposer. On peut aussi y lire ''qui veut croit, qui veut mécroit''. La seule chose pour laquelle tu doit te battre c'est lorsqu'on t'empêche de pratiquer ta croyance ou qu'on dise des mensonges dessus.Qu'ils prêchent donc au lieu de pécher.