Utilisé essentiellement comme instrument de motivation, l'abus des per diem est devenu dans certains pays d’Afrique la règle plutôt que l'exception, faussant l'impact des efforts de développement et constituant un poids supplémentaire pour les finances publiques. Le sujet mérite d’être analysé dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières en dons et les faibles performances fiscales des pays africains. Cet article propose une analyse du système de paiement de per-diem en Afrique et de son impact[1].
Avant toute chose, il convient de préciser que le per diem[2] est une somme d'argent qu’une organisation donne à une personne par jour, pour couvrir les dépenses liées à une mission dans le cadre de travaux effectués loin de son domicile. Cette indemnité journalière élimine la nécessité pour les employés de présenter des rapports de notes de frais. Au lieu de cela les employeurs versent aux employés un taux journalier normal, sans égard du montant effectivement dépensé par l'employé, simplifiant ainsi les formalités administratives en éliminant les contrôles nécessaires dans un système de remboursement de notes de frais.
La pratique du per diem en Afrique
En Afrique, le versement des per diem est apparue dans les années 70-80, pratiquement au même moment que l’aide publique au développement et concomitamment à l’accroissement de la mise en œuvre des projets de coopération internationale. Un observateur critique des programmes d’aide au développement des années 1980 décrivait la manière dont l’arrivée massive de l’aide et des per-diem pouvait provoquer une « new epidemic in Africa : Fat Aids ».
Les taux sont déterminés par voie de négociation entre le gouvernement et les bailleurs de fonds et en fonction de l’activité (ou de la mission) en ce qui concerne les projets financés sur ressources financières extérieures ou de façon discrétionnaire par l’Etat pour des activités financés sur ressources intérieures. Il existe donc des différences considérables du taux de per-diem entre les projets, même lorsque les sources de financement sont les mêmes. Généralement, les per-diem accordés par les donateurs sont plus élevés que ceux accordé par l’état. Au Mali Par exemple, le taux de per-diem du gouvernement est compris entre 4000 et 7500 FCFA, contre 15 000 FCFA pour les projets financés sur dons (Bergamaschi et al, 2007).
L’absence d’un bon système statistique ne permet pas vraiment d’apprécier globalement ces dépenses. Dans certains pays, l'ampleur des sommes dépensées au titre de per diem est telle que les gouvernements préfèrent ne pas les communiquer. Des rapports récents ont tentés de fournir des données budgétaires sur les indemnités journalières de deux pays : la Tanzanie et le Malawi.
En Tanzanie, un document de politique préparé par le Forum des politiques en 2009 a indiqué qu’entre 2001 et 2006, les sommes allouées au per diem ont augmentés de plus de trois fois. Au cours de l'exercice 2008/2009, la Tanzanie a budgétisé près de 390 MUSD pour les per diem. Un montant équivalent au salaire de base annuel de 109 000 enseignants (soit plus des 2/3 de tous les enseignants du pays). En 2009/2010, le montant alloué aux allocations représentait 59% de la masse salariale. Une étude de Soreide et al. (2012) pour l'Agence norvégienne de coopération pour le développement a révélé que 16,2% de la masse salariale (soit près de 32% du budget national en 2011) étaient affectés au paiement des indemnités journalières.
Au Malawi, une étude de Peprah et Mangani (2010) a révélé que les allocations liées aux voyages constituent l'essentiel des indemnités et représentent 76% de toutes les indemnités versées en 2010. En proportion des salaires, le paiement des indemnités en général représentait 29%, et celles liées aux voyages spécifiquement représentaient 21,9%. Au cours de la période 2006/2007-2010/2011, le budget « voyage » (la somme des déplacements à l’intérieur et à l’étranger) représentait en moyenne 11,4% du budget national.
Les deux exemples ci-dessus, bien que non représentatifs de la réalité dans tous les pays du continent, donnent une idée de l'ampleur des dépenses en per-diem.
Un système devenu une source complémentaire de revenu
Le paiement des per diem est dans bien de cas justifié, mais force est de constater que les montants sont bien au-delà des frais réels liés à la mission. Un tel système de quotas crée des possibilités d’abus. C’est d’ailleurs ce qu’observe la BAD. Dans certains pays, les per diem sont devenus un complément des salaires, amenant les fonctionnaires à définir des stratégies afin d’en bénéficier. Ce système renforce la pratique de la corruption et affecte négativement l’efficacité de services publics
Les ajustements structurels qu’ont subis la plupart des pays africains dans les années 90, ont affecté à la baisse des salaires dans le secteur public. Depuis lors, le salaire du fonctionnaire est resté relativement faible. Ces bas salaires, dans le contexte actuel de renchérissement du coût de la vie, incitent ces-derniers à accepter les pots de vin ou à détourner des ressources publiques. Pour faire face à cette situation, les gouvernements ont mis en place une variété de récompenses autres que les salaires de base, telles que des indemnités de déplacement, les droits à pension, le logement, les allocations de santé, éducation, etc. Les indemnités paraissent particulièrement intéressantes pour les fonctionnaires. C’est en effet un moyen légal et non répréhensible d’augmenter le revenu mensuel. Ainsi assiste-t-on à une course au per-diem (per diem hunting) qu’un auteur burundais qualifie de « sport national » ou « gagne,qui peut » avec des stratégies de capture. L’objectif est donc pour les « perdiemists » de multiplier leur présence au plus grand nombre possible de formations, ateliers et réunions proposant des per diem, parfois même au cours de la même journée ; développant ainsi un véritable « frog-leap », qui se réalise dans la pratique répandue du saut de grenouille. Cette stratégie consiste à signer les feuilles de présence de plusieurs réunions au cours d’une même journée sans y assister réellement. Pour mieux profiter de ce système, des formations, ateliers ou sommets inutiles sont organisés. Cette pratique est ironiquement dénommer « trainingism » ou « workshop symdrom » par les anglophones. Des fois, la même formation est organisée plusieurs fois pour les mêmes participants qui sont pour la plupart du temps absents ou qui passent juste avant la pause café. Certains services publics se trouvent ainsi vider de leur personnel, réduisant par voie de conséquence la performance des services publics.
Si bien souvent la pratique des per diem est justifiée, ce système laisse des marges à bien des abus. Ses abus ont un impact négatif sur les dépenses publiques, les projets de développement et ne facilitent pas forcément l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés pour 2015. Ils participent au maintien du statu quo, à entretenir un ordre négocié et des relations de clientélisme et de pouvoir discrétionnaire. Dans un prochain article, nous allons explorer les pistes pour un système de per diem plus efficace.
Arnold ANGLO
Sources :
Guy Blaise NKAMLEU and Bernadette Dia KAMGNIA (Février 2014). Use and abuse of Per-diem in Africa : A political economy of travel allowances. Working paper serie n° 196, African Development Bank
Valéry Ridde, « Réflexions sur les per-diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l'APAD [En ligne], 34-36 | 2012 URL : http://apad.revues.org/4111
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Merci Arnold pour ce sujet qui est une réalité de nos économies. En fait, c'est la fin de l'article qui m'intéresse; en ce qui concerne le faible niveau des grilles salariales dans la fonction publique qui justifie une course vers les sources de revenus complémentaires. Toutefois, il y a un point ommi et que je trouve important: Avec le réenchérissement du coût de la vie, et du fait ques les per-diem sont fixés en fonction du poste/du grade et du lieu de destination, il arrive certaines fois que les tarifs nationaux soient très inférieurs au coût de vie du pays de déplacement. Comment gère t'on cet aléa?