On assiste depuis quelques années à une effervescence autour de la présence de plus en plus importante de la Chine en Afrique. Les accusations sont nombreuses, tout autant que les promesses. Du côté de l’Occident : Europe et Etats-Unis, les medias et le milieu politique s’alarment: la Chine, en offrant des prêts sans demander de contreparties en termes de démocratie ou de gouvernance, détruit des décennies de travail de la Banque Mondiale et des agences de développement. On accuse la Chine de tous les maux : voler de la terre aux pauvres paysans, commercer avec des régimes ‘’parias’’ (Zimbabwe, Soudan…). En Chine, on se défend de toute mauvaise intention. Pendant ce temps, la voix des africains se fait peu entendre. Les coeurs balancent. D’un côté, l’approche dynamique de la Chine en Afrique est revigorante et change des processus lents et bureaucratisés des bailleurs de fonds traditionnels (France, Royaume-Uni, Etats-Unis). De l’autre côté, les frictions économiques et sociales causées par l’arrivée en masse d’entreprises et de travailleurs chinois inquiètent les populations locales. Il est donc essentiel de décortiquer les dynamiques à l’oeuvre, afin de donner à nos lecteurs les outils nécessaires à une prise de décision éclairée. Il s’agit aussi de dissiper les malentendus sur la question afin d’avancer vers une meilleure compréhension mutuelle des différents acteurs. Dans cette perspective, cet article est le premier d’une longue série portant sur les relations entre la Chine et l’Afrique, qui aborderont des questions tant économiques que politiques et sociales.
Chine-Afrique: Le discours de Beijing
Quelles sont les raisons qui expliquent l’intérêt accru de la Chine pour l’Afrique depuis quelques années? Portrait général de la relation.
Le caractère indéniable de l’importance de l’Afrique pour la Chine est primordial afin de comprendre l’approche de l’Afrique qu'ont les dirigeants chinois. En effet, ces derniers du plus haut niveau, de Zhou Enlai à Hu Jintao et maintenant Xi Jinping, ont tous effectué des voyages très réguliers dans un grand nombre de pays d’Afrique. De plus, ces visites ne se sont jamais limité aux pays riches en ressources naturelles. lI est important de le souligner, car au-delà des ressources naturelles, ce que cherche la Chine, c’est développer son image au plan international et tisser un réseau d’amis qui lui apportent du soutien dans ses confrontations avec l’Occident ou avec Taiwan. Ces visites sont d’autant plus représentatives de l’intérêt que la Chine porte à l’Afrique si l’on prend en compte l’importance de la symbolique dans la culture chinoise. Celle-ci indique que si quelqu’un vous rend visite, et non le contraire, c’est qu’il vous accorde beaucoup d’importance. Vu le nombre de visites de dirigeants chinois en Afrique, nous pouvons donc en déduire que la Chine considère l’Afrique comme un des enjeux essentiels de sa politique étrangère au 21e siècle.
Le discours officiel de la Chine met en avant le caractère ancien et continu de la présence chinoise en Afrique. Plus particulièrement, les diplomates chinois s’attachent à citer l’implication de la Chine en Afrique depuis les années 1950. En effet, dès la naissance de la République Populaire de Chine, les dirigeants de la Chine, inspirés par des idées socialistes et motivés par la recherche de reconnaissance pour leur nouvel Etat, se sont tournés vers l’Afrique. Les chercheurs chinois proches du pouvoir, tels que He Wenping, de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales, et Li Anshan, de l’Université de Pékin, insistent sur l’ancienneté de cette relation. En effet, depuis la naissance de la République Populaire de Chine, la relation sino-africaine autant dans le domaine des infrastructures que dans celui de la santé et de l’éducation, a été continue bien qu’irrégulière (notamment pendant les périodes de tumultes internes en Chine).
D’autre part, la Chine insiste sur le caractère nouveau de son approche par rapport à celle des acteurs habituels du développement en Afrique. Tout d’abord, la Chine se positionne en tant que leader des pays en développement. Elle est le plus grand et le plus peuplé des pays en voie de développement. Depuis 1950, la taille de l’économie chinoise a été multipliée par 40, sortant plusieurs centaines de millions de chinois de la pauvreté extrême. Les dirigeants chinois qui vont en Afrique disent comprendre les défis que rencontrent les populations et les dirigeants africains. Toutefois, ils insistent sur le fait qu’ils ne se posent pas en donneurs de leçons, contrairement à l’Occident. Plutôt, ils mettent en avant le principe de non-ingérance dans les affaires internes des Etats africains. Ceci implique que les accords passés avec la Chine et les entreprises chinoises sont uniquement commerciaux et ne contiennent pas de contreparties politiques (bonne gouvernance, transparence…). Finalement, la Chine se présente comme offrant des partenariats gagnant-gagnant à ses partenaires africains, selon les principes confucéens prônés par Zhongnanhai (l’équivalent de l’Elysée) d’harmonie des civilisations et de développement pacifique de la Chine.
Ainsi se structure le discours de Beijing sur son implication en Afrique. Notre prochain article présentera les raisons qui expliquent cette implication, tout en décortiquant la stratégie mise en place par la Chine.
Babacar SECK
Crédit photo: come4news.com
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Très bonne analyse au-delà de ce discours bien conçu se basant sur des principes de partenariat "sino-africain" qui semblent, a priori, justes et équitables. Cependant on doit toujours prendre ces discours avec plus ou moins de réserve. en effet même si la Chine est présente en Afrique depuis 1950, cela ne veut pas forcement dire que ses relations avec les pays africains sont restées les mêmes, encore moins que les celles qui s'entretiendront après son ancrage suivront ses même principes. Par ailleurs, de notre coté, il ne doit absolument pas s'agir d'un changement de bourreau ni d'un passage de relais entre "Occidentaux" et chinois, il faut que ce "gagnant-gagnant" continue sur le long terme au PROFIT DE TOUS CEUX DONT LE QUOTIDIEN CONSTITUE UNE LUTTE PERMANENTE POUR LA SURVIE.
Merci pour cet article très intéressant, qui fait un bon tour d'horizon des relations sino-africaines.
Les pays africains ne gagneraient-ils pas à mieux s'organiser, afin de tirer profit de cette relation? En mettant en place des structures de contrôle de ces fonds, cela nous éviterait de retrouver ces financements entre les mains dedirigeants peu scrupuleux. A méditer…
Analyse très intéressante Babacar. On a tendance à toujours commencer par donner plein de chiffres en parlant de la présence chinoise en Afrique, alors que c'est fort judicieux de commencer par situer les choses en termes de "discours" porté par la Chine. Nous attendons la suite avec impatience et intérêt!
Très bonne analyse, moi c'est surtout l'aspect purement commercial de cette relation qui m'inquiète. C'est vrai, la chine est ce qu'elle est et comme toute puissance elle a des intérêts à défendre. La chine c'est les milliards, les infrastructures, bref l'extravagance économique pour épater l'affamé africain. Elle est aussi de facto, une sorte de caution pour les dirigeants corrompus, ces milliards "sans conditions", ne vous en déplaise, nourrissent la corruption, la mal-gouvernance… Cependant, comme vous l'avez si bien fait remarquer, cela n'enlève en rien l'utilité pour l'Afrique de cette relation. Mais finalement, où est la place des relations sociales, amicales, culturelles… Ne sont-elles pas la base de tout partenariat? On ignore, en Afrique, la culture et la langue chinoises et il est évident que tant que rien ne sera fait en ce sens, il nous sera impossible de décortiquer le "discours chinois", ce qui n'enlève en rien l'intérêt de votre travail que je salue.
En effet, Papa M. Diouf, cette implication de la Chine ne doit pas se transformer en une exploitation. C'est la raison pour laquelle il est important de comprendre non seulement ce que font les Chinois en Afrique, mais aussi ce qu'ils disent, et surtout, quels sont les grands axes de leur stratégie. Mon objectif principal à travers cette série d'articles est de donner au lecteur une vision complète de la question, et de dessiner cette relation à travers ses dynamiques autant diplomatiques qu'économiques ou humaines. Mais par-dessus tout, je pense que si cette relation tend à ne pas être un partenariat gagnant-gagnant sous certains de ses aspects, c'est justement le rôle de tout Africain de travailler à rééquilibrer la relation. Pour cela, il nous faut comprendre le partenaire et son mode de pensée, et être solidaires dans nos prises de décisions.
Simel: la suite arrive très bientôt, merci!
Younousse Sambou: un des risques de l'approche de la Chine est bien sûr la corruption qui pourrait découler des investissements massifs et sans contreparties dans des pays où l'équilibre entre les différents pouvoirs n'est encore qu'une utopie. Néanmoins, à ce sujet, Deborah Brautigam, une professeure à American University nous propose une analyse très fine de la situation. Ce qu'elle explique c'est que les sommes énormes apportées par la Chine ne transitent que très rarement par le gouvernement du pays receveur, et sont directement payées à l'entreprise Chinoise ou nationale qui est responsable des projets sponsorisés. Cela réduit grandement les risques de corruption en les déplaçant au niveau de la compétition pour les contrats d'infrastructures, qui sont en général plus transparents. Il faut donc garder un oeil sur la transparence de ces appels de projets, qui est maintenant plus importante que jamais.
En ce qui concerne les échanges culturels, contrairement à ce que tu penses, la Chine possède une politique culturelle très sophistiquée à l'encontre de l'Afrique. Celle-ci comprend notamment les centres Confucius, qui enseignent la culture chinoise en Afrique, il y en a déjà 17 répartis sur le continent. Par ailleurs les Africains forment la plus grande population étudiante en Chine, grâce aux bourses du gouvernement Chinois qui paie leurs frais de scolarité ainsi que le logement et les frais de vie! Tu pourras trouver les réponses à tes interrogations dès le prochain article, qui justement aborde les réalités de la politique Africaine de la Chine
« Toutefois, ils insistent sur le fait qu’ils ne se posent pas en donneurs de leçons, contrairement à l’Occident. Plutôt, ils mettent en avant le principe de non-ingérance dans les affaires internes des Etats africains. »
Vrai. Toujours est-il que~et je ne dis pas que les pays occidentaux sont des enfants de choeur~ l’éthique du monstre économique Chinois est à questionner. Le cas du lait tourné ou encore celui des médicaments contrefaconnés pour ne citer que ceux la sont des indicateurs d’une froideur qui dépasse les limites lorsqu’il s’agit d’échanges économiques. Bien sur, on me dira que ces compagnies étaient privées mais elles ont opéré pendant des années sans être inquiétées et par ricochet le gouvernement Chinois est tout aussi responsable. Ces produits bien sur seront écoulés sur des marchés du tiers monde, l’Afrique la plupart du temps. Considérant le relatif taux d’analphabétisme et tout simplement de naïveté en Afrique, je pense que cet aspect mérite d’être discuté. L’éthique dans les relations Sino-Africaines.
PS: ça faisait longtemps que je n’avais pas écris en Français et peut-être que je n’ai pas exprimé certaines de les idées le plus clairement possible. Je suis sur que vous me pardonnerez 🙂