L’accès à l’énergie à moindre coût pour les consommateurs occupe une place importante dans le débat politico-économique dans les pays africains. Tout récemment dans son discours de politique générale, Madame le Premier Ministre du Sénégal a annoncé une série de mesures visant à assurer la production d’électricité à un prix raisonnable pour les 13,7 millions d’habitants que compte le Sénégal. Sa vision est d’arriver à fournir au peuple sénégalais l’un des services sociaux les plus importants mais aussi de réduire voir supprimer la ligne budgétaire destinée aux subventions à la Société Nationale d’Electricité (Senelec). Cette logique sénégalaise est la même dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne qui dépensent par an des millions d’euros non pas pour assurer la production, ni l’extension, ni le renouvellement du système de production ; mais pour couvrir en partie les pertes générées par les sociétés nationales d’électricité.
Dans un article précédent, il a été démontré que ces subventions profitent davantage aux plus riches. Cependant, cet argument ne pourrait justifier à lui seul l’abandon ni la réduction des subventions. Avant d’arriver à de telles conclusions, il est important de déterminer de façon précise l’impact qu’aurait une augmentation des prix de l’énergie dans un contexte d’absence de subvention. Coady et al. (2012) ont réalisé à cet effet une étude, qui indique qu’une augmentation de 0.25 USD du prix du carburant en Afrique Sub-saharienne résulterait en une baisse moyenne d’environ 6% du pouvoir d’achat des 40% de ménages les plus pauvres. Cette perte de pouvoir d’achat se ferait surtout de façon indirecte. En fait, une augmentation du prix du carburant impactera à la hausse les prix des produits alimentaires et du transport ; ceci compte-tenu de l’importance du carburant dans la production.
L’impact global de l’augmentation semble similaire dans tous les groupes de revenus, on constate une variation assez impressionnante suivant le type de produits. L’impact direct d’une hausse du prix de l’essence est plus marqué chez les ménages les plus riches alors qu’une hausse du prix du kérosène impact plus durement les ménages les plus pauvres. La perte de bien-être suite à une hausse des prix de l’essence semble progressive (suivant les quintiles). L’impact serait d’autant plus important si les dépenses de consommation d’électricité étaient ajustées en tenant compte des inégalités d’accès à l’électricité. En supposant un accès équitable pour tous les ménages, le coût de l’électricité pour les ménages à faibles revenus augmente considérablement. Les auteurs de l’étude ont identifié dans le cas du Burkina Faso que dans ces conditions, la dépense en consommation d’électricité pour les 40% des ménages les plus pauvres, représenterait environ 4% de leur dépense totale (à mettre en rapport avec les 0,4% dans le cas d’un accès non régularisé).
Il parait alors évident que, même si les subventions profitent essentiellement aux plus riches, elles permettent de maintenir le pouvoir d’achat des plus pauvres. Leur maintien semble opportun dans un contexte où la portée des politiques économiques actuelles en Afrique est à caractère social, même si économiquement, les subventions sont moins bonnes pour la performance. Toutefois, une attention plus particulière devra être accordé à ces mesures afin d’assurer un bon ciblage des plus vulnérables.
La subvention ne pourrait cependant pas être directe et encore moins évidente sur les carburants. Dans le secteur de l’électricité où le ciblage est plus ou moins possible, il pourrait s’agir de faire payer aux plus riches une partie de la consommation des plus pauvres, en adoptant une ligne tarifaire plus discriminante. On pourrait ainsi dégager une marge de manœuvre dans l’allocation des subventions pour financer des investissements dans le secteur. Il faudrait par ailleurs, tout en adoptant des politiques visant à réduire et à réorienter les subventions, assurer le développement du secteur énergétique pour réduire les coûts de production et de facto, de réduire les prix du kWh. La difficulté réside dans le fait même que l’application de subvention empêche l’investissement dans ce secteur. C’est un travail sur le long terme qui nécessitera l’implication du secteur privé et des réformes structurelles. Le Sénégal envisage, par exemple, de relever la production en s’appuyant sur un mix énergétique comprenant charbon et gaz naturel. D’autres pays comme le Kenya et l’Uganda ont mis en place des autorités de régulation du secteur, en plus d’un cadre réglementaire régissant l’activité de production d’électricité. Sur le court terme, les prix peuvent rapidement atteindre des niveaux impressionnants mais permettront au moins, sur le long terme de stabiliser les prix à des niveaux soutenables sans introduction de subventions et indexable aux fluctuations du cours du pétrole.
Somme toute, il n’est pas souhaitable d’instruire une suppression radicale des subventions à l’énergie. Cependant, à terme, cette suppression est nécessaire compte tenu des effets négatifs des subventions sur la production et les investissements dans le secteur de l’énergie. Ceci étant, il est impératif de s’orienter vers la suppression de ces subventions, en passant à une tarification ciblée et en définissant une stratégie de développement du secteur énergétique qui vise à réduire les prix dans le moyen terme.
Foly Ananou
Arze del Granado, Coady, and Gillingham (2012), "The Unequal Benefits of Fuel Subsidies: A Review of Evidence from Developing World". World Development, vol. 40 (11)
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *
Merci bien pour la suite du billet, qui apporte des éclaircissements considérables. Toutefois, j'ai quelques questions et je reste sur quelques doutes:
1. Quel lien faites vous entre diesel/pauvre & essence/riche? Je n'ai pas du tout compris ce passage, ou du moins, cette corrélation? Pour moi, c'est plutôt le contraire, et cela dépend fortement de la région, et de la dotation énergétique.
2. Quand vous parlez d'inégalité d'accès et accès équitable pour tous les ménages ? Est ce là la prise en compte des zones rurales ou non électrifiées ? Car pour moi, en parlant du taux de déserte ou du taux d'électrification, je ne vois pas ou l'accès équitable intervient.
3. D'autre part, quelle relation fait on entre subvention investissement de long terme?
Merci bien
Je commence par la 3ème question. L'idée c'est de dire que les subventions empêchent le financement d'investissement structurant dans le secteur de l'énergie. Quand on analyse les budgets (FMI), on se rend compte que les dépenses d'investissement sont moins importants et le secteur énergétique capte une masse importante … alors on s'imagine bien que ces fonds si utilisés pour financer de l'investissement dans ce secteur peut radicalement changer les prix pratiqués dans ce secteur …
Concernant la deuxième question, il s'agit simplement de la prise en compte des zones non électrifiés. Un des problèmes majeur est la diffculté d'extension du réseau électrique. De facto, la déserte se limite aux zones urbaines. Dans l'étude mentionnée, les auteurs ont supposé une couverture totale, peu importe le milieu de résidence …
La 1ere inquiétude est simplement relative au produit le plus utilisé par le quintile concerné … selon l'enquête menée par les auteurs, les plus pauvres seraient plus enclin à utiliser le diesel alors que les plus riches sont plus demandeurs d'essence.
Merci pour les éclaircissements.
1.Pour suivre ta chronologie, je viens d'avoir une donnée qui indique que la Banque Mondiale recommande 4% du PNB pour soutenir pleinement la couverture d'énergie électrique. Or très peu de pays y investissent 1%. De ce fait, quand on parle de subventions (restons centré sur l'énergie électrique), ce qui m'embête, c'est la non distinction de la structure et de la conjoncture de production: Dans un pays comme le Ghana où l'hydraulique est tiré à plus de 60% en base, avec le cout de production est le plus faible (je crois entre 5 et 15FCFA:kWh pour Akossombo), la pénétration n'est pas du tout la même que pour la Cote d'Ivoire où il existe un organisme de régulation avec un concessionnaire entouré de producteurs indépendants (qui turbine de l' hydro ou du thermique), ou encore moins du Bénin qui est un gros importateur net ( à plus de 90%).
2.l'électricité rurale est tout un dilemme car l'extension demeurre très onéreuse. Et économiquement, je ne pense pas du tout qu'elle soit viable. Justement, pluisieurs études travaillent sur quel type d'électrification rurale privilégiée (centrale hybride pv-groupe, ou pv-hydro, etc.) Je sais qu'au Bénin par exemple, au delà de 20km du réseau, on passe en site isolé. Alors, dans ce cas, n'y a t'il pas une nuance à faire entre le taux d' électrification, et les taux de déserte pour la mesure de l'inégalité?
3.Enfin, pour la dernière à nouveau, je pense que j'irais plutôt voir du côté de l'étude. Je me laissais plutôt pensé, que le diesel est synonyme de groupe à forte puissance et des 4*4 donc pour les riches, et l'essence, concerne les petits groupes, et les motos donc pour les moins aisés… Donc à voir.
En tout cas, merci pour tes réponses pour ce sujet de coeur, raison de tous ces éclaircissements.
ceci serait un honneur et une première occasion pour moi de solliciter un avis d’un économiste réputé… !
A présent, ma préoccupation est la suivante: quelles sont les bonnes mesures compensatoires suite à l’abandon des subventions des produits pétroliers ?
enfin, comment pourrait-on réduire l’inflation suite aux fluctuations des prix des produits pétroliers ?
Merci cordialement.
Efirilo, Préoccupation I : Il n'y a pas de solutions toutefaites sur la question. Si les prix sont élevés, nécessitant des subventions, c'est avant tout parce que la demande est plus forte que l'offre d'une part et parce que la production d'électricité est suffisamment onéreuse dans les pays Africains. Ceci, on l'explique par des défaillances dans la gestion du secteur de l'énergie en Afrique. De notre avis, il faudrait donc revoir la gestion dans la secteur de sorte à accroître durablement la production pour faire baisser les prix, tout en assurant une fourniture efficace. Le défi est collossale. Comment y arriver ? C'est l'une des questions que nous continuer de discuter à l'Afrique des Idées. Je vous invite à lire cet article qui fournit quelques points d'éclaircissement. Préoccupation II : La chute du prix du baril n'entraine pas une hausse de l'inflation. C'est plutôt le contraire. Notamment dans les pays africains où l'inflation est importée parce que très fortement dépendante des importations. La chute du prix du Baril (sauf pour les pays fortement exportateurs) n'est que favorable. Le pétrole, principal input, dans la production d'énergie, elle même pilier de toute production, étant en baisse ; induit une baisse génralisée des prix. Les pays africains qui eux aussi dépendent de ces produits voient ainsi leur inflation diminuer. L'inquiétude porte sur ce ralentissement de l'inflation, parce qu'un niveau de prix très bas, n'est pas forcément bon pour l'économie. Il faut plutôt penser à faire relever les prix. Dans ce contexte, la politique monétaire devrait servir mais quand vu que l'inflation est d'origine importée ; il n'y a presque rien que les pays pourront faire. C'est bien pour cela que le débat aujourd'hui est à la transformation des économies africaines : leur industrialisation pour une production domestique. Vous pourrez consulter cet article, qui fait un focus sur les pays dépendants de leur exportations de but.