Dans un récent article sur le potentiel de croissance du secteur des télécoms en Afrique, nous expliquions que celui-ci était encore élevé, du fait principalement de la structure de la population : 40% des africains ont moins de 15 ans et cette tranche de population fournit chaque année environ 30 millions de nouveaux clients potentiels. De plus, le taux de pénétration réel des télécoms en Afrique (pourcentage d'utilisateurs de téléphonie mobile) est de 67%, laissant encore des perspectives d'évolution. Enfin, du fait du déficit d'infrastructures de base, la gamme des usages de la téléphonie mobile est encore largement inexploitée.
Toutefois, la diversité des pays africains implique que non seulement l’ampleur de la demande potentielle, mais également ses déterminants ne devraient pas être les mêmes d’un pays à un autre. Cet article se propose donc de mettre en évidence ces différences à partir d’une typologie des pays africains en fonction de l’importance de chacun des trois leviers (structures de la population, taux de pénétration et déficit d'infrastructures). Il en résulte que le potentiel de croissance de la téléphonie mobile est plus élevé dans les pays d’Afrique tropicale et que les usages substituables aux infrastructures routières tels que les transferts d’argent sont d’importants leviers de croissance dans les pays à faible densité de la population.
Un point sur la méthodologie
Ces résultats proviennent de la position des pays sur le graphique ci-dessous. Celui-ci présente les pays en fonctions de l’importance de chacun des trois leviers de croissance, notamment le taux de pénétration du mobile, la structure de la population et le déficit en infrastructures. Le taux de pénétration est mesuré par la part des personnes de plus de 15 ans ayant souscrit à un abonnement mobile et la structure de la population est mesurée par la part de la population de moins de 15 ans. En ce qui concerne le déficit en infrastructure, il est abordé sous l’angle des infrastructures sanitaires, bancaires et routières. Il est donc mesuré à la fois par le taux de mortalité infantile, la part de la population disposant d’un compte bancaire (dépôt et crédit), et le nombre de kilomètres de route par superficie de 100 km².[2] En général, plus un pays se trouve à droite et/ou en haut sur le graphique, plus son potentiel de croissance est élevé. Ainsi, ce graphique montre qu’on peut distinguer deux catégories de pays selon l’ampleur et le levier de la croissance.[3]
Figure: Position des pays selon le potentiel de croissance de leur marché des télécoms
Sources : Propres calculs utilisant les données provenant de la Banque Mondiale.
Tableau: Quelques indicateurs sur les deux groupes de pays
L’Afrique tropicale : une zone où le potentiel de croissance est le plus élevé[4]
L’Afrique tropicale constitue une zone singulière où le développement de la téléphonie mobile devrait connaître une croissance significative dans les prochaines années. Comme le montre le graphique ci-dessous, les pays à droite de l’axe vertical sont principalement situés dans la bande tropicale de l’Afrique. Il s’agit principalement de tous les pays africains à l’exception de ceux du Maghreb et de l’Afrique australe. Dans ces pays, la croissance du marché du mobile viendra surtout du segment de la population en âge de travailler qui ne dispose pas encore d’une souscription à la téléphonie mobile, de la vague de nouveaux clients jeunes qui arrivera chaque année sur le marché, et du développement de nouveaux usages notamment dans le mobile-finance et le e-health. Typiquement, dans ces pays d’Afrique tropicale, seulement 50 personnes sur mille ont accès aux crédits contre une moyenne de 125 pour mille pour l’ensemble de l’Afrique. Cette différence subsiste pour l’ensemble des autres indicateurs à l’exception du déficit en infrastructures routières (voir tableau).
Dans les autres pays : les usages substituables aux infrastructures routières
Par ailleurs, il existe un groupe constitué de pays comme la Guinée Equatoriale, le Gabon ou la Lybie, où les nouveaux usages sur les transferts d’argent ou d’informations financières entre les différentes régions du pays vont constituer un levier important de la croissance de l’industrie. Dans ces pays situés dans la partie supérieure du graphique (au dessus de l’axe horizontale), il y a plus de deux fois moins de routes par unité de surface que dans l’ensemble de l’Afrique (voir tableau). Ce manque d’infrastructures de transport est un frein aux transactions économiques et financières. Par exemple, un paysan de Mongomo en Guinée-Equatoriale qui aurait du mal à écouler ses récoltes sur les marchés de Bata pourra davantage le faire sans se déplacer s’il existait un système d’informations et de paiement par réseau mobile. Il en est de même pour les transferts d’argent à l’intérieur d’un même pays.
Un rôle pour l’Etat ?
Il ressort de cette description que le potentiel de croissance des communications sur le réseau mobile, même s’il est globalement fort en Afrique, diffère significativement d’un pays à un autre. Cependant, la faiblesse des revenus et la règlementation bancaire sont les deux principaux obstacles susceptibles de limiter la traduction de cette demande potentielle en une demande effective adressée aux opérateurs. Dans le premier cas, l’Etat n’a pas un moyen d’action direct en dehors des politiques de croissance et de réduction de la pauvreté. Celles-ci devraient à moyen terme augmenter le niveau de vie des populations et par conséquent accroître leur propension à consommer les services de télécommunications mobiles. C’est plutôt dans le second cas que le rôle de l’Etat sera le plus déterminant. En effet, les règlementations en matière de transferts d’argents et de paiements monétaires ne permettent pas nécessairement aux opérateurs de téléphonie mobile de proposer des gammes de services variés aux clients. Un prochain article devrait déterminer en quoi ces règlementations peuvent être des freins au développement des activités monétaires et financières sur les réseaux de communications.
Georges Vivien Houngbonon
[1] L’article précédent n’avait pas mentionné les perspectives de croissance économique en Afrique qui sont aussi un indicateur important du potentiel de croissance. Toutefois, la croissance dépend en elle-même du potentiel de croissance de la téléphonie mobile. Il serait donc fallacieux de faire de cette association une causalité.
[2] Il s’agit là d’indicateurs mis en place par les chercheurs de la Banque Mondiale pour mesurer ces différentes variables.
[4] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de potentiel de croissance dans les autres pays. Il s’agit d’une appréciation relative basée sur la comparaison entre les pays de cette zone et les autres.
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