Les dernières années ont vu d’importantes tensions se tisser entre la Cour Pénale Internationale et l’Union Africaine. Le soutien apporté par plusieurs pays membres de l’UA au président soudanais Omar-El-Bachir ainsi que l’opposition qu’a suscité le mandat d’arrêt de Mouammar Gaddafi avaient déjà indiqué une dégradation des relations entre l’Union Africaine et la justice internationale. Aujourd’hui, les accusations portées contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et les présidents et vice-président kenyans Uhuru Kenyatta et William Ruto ont ravivé le débat concernant l’intervention de la CPI sur le continent africain.
A-t-on raison de parler d’un acharnement ?
Lors du dernier sommet de l’UA, Haile Mariem Desalegn a été l’auteur d’un discours violent à l’encontre de la CPI. Cette sortie fut révélatrice une nouvelle fois du degré de désaccord entre la majorité des dirigeants africains et la CPI. Mais ces sorties hostiles du leadership politique africain dans son ensemble ne reflète pas une orientation générale à l’heure où l’exigence de réédition des comptes devient une notion imposée par le droit international. A ce sujet, il est nécessaire de modérer les propos tenus par l’actuel président de l’Union Africaine qui accusent la CPI de n’être qu’une justice aux trousses des dirigeants africains.
Certes, en dix ans d’existence la CPI n’a ouvert des procédures d’enquête qu’en Afrique et mis en accusations seize personnes tous issus du continent. En effet, son premier jugement rendu l’était pour Thomas Lubunga.
Il convient de noter que si l’Afrique est le continent le plus « visé » par les mesures de la CPI, elle est aussi le continent le mieux représenté au sein de l’institution.
La forte présence africaine au sein de la CPI s’explique par l’adhésion massive de nombreux pays du Continent à l’autorité du Statut de Rome :47 pays africains ont participé à l’élaboration du Statut de Rome et 30 l’ont ratifiés à ce jour:
D’initiative onusienne, l’idée de la création d’une institution supranationale pour prévenir l’impunité et juger les graves crimes de violation de droits de l’homme est une avancée remarquable. C’est une initiative intéressante et utile, et nombreux sont les pays africains qui ont adhéré au Statut de Rome par mesure de protection.
L’Union Africaine avait d’ailleurs pour objectif de faire ratifier le Statut de Rome par tous ses membres.
Au-delà des gesticulations verbales et des manipulations politiciennes, l’Afrique est bien représentée aux organes de la CPI. Ce qui prouve une participation active à ses travaux. Cela est illustré par le fait que certains des plus hauts postes (juges, procureurs notamment) de la CPI soient occupés par des ressortissants de pays africains. D’ailleurs, la gambienne Fatou Bensouda est devenue procureur à la suite de Moreno Ocampo.
Cette importante implication du continent africain conteste déjà l’idée que la CPI est une institution au service de l’hégémonie occidentale. Le rôle qu’a tenu la CPI dans des dossiers auxquels elle a eu à se pencher remet aussi en question les accusations portées par l’UA.
Il faut expliquer le mécanisme de travail de la CPI pour montrer que dans la plupart des cas elle est un organe exécuteur. La majorité si ce n’est la totalité des affaires instruites à ce jour sur le continent africain ont été initiées soit par les gouvernements du continent eux-mêmes ou par le Conseil de Sécurité.
Il est rare en effet que l’initiative sur un cas lui appartienne. A ce jour, des huit pays d’Afrique concernés par des procédures de la CPI, la moitié a été réclamée par les gouvernements de ces pays. Deux répondent à une demande du Conseil de Sécurité.
Les crises post électorales en Cote d’Ivoire et au Kenya sont les premières instructions sur initiative propre de la CPI.
Ainsi, elle est moins une institution qui répond aux ambitions néo-colonialiste de l’Occident qu’un organe dont la présence sur le continent africain demeure aujourd’hui encore nécessaire. Si certains dirigeants africains tentent encore de s’abriter derrière le statut de victimes d’une quelconque hégémonie dans le domaine juridique, c’est surtout parce qu’ils espèrent encore et toujours la possibilité d’être jugés sur le sol africain.
Les accusations portées à l’encontre de la CPI sont représentatives de l’image menaçante que conserve la justice internationale pour certaines personnalités politiques africaines. Le bruit constant suscité autour du procès Hissène Habré en dit long sur les efforts que la justice panafricaine a encore à accomplir avant de pouvoir ignorer un organe comme la CPI.
Les accusations portées à l’encontre de la CPI bien qu’elles soient mal fondées peuvent avoir un effet indésirable sur l’image de l’institution judiciaire sur le continent africain : elles contredisent aussi une majorité qui soutient le rôle de la CPI. De plus, elles s’ajoutent à une liste déjà longue de critiques à l’encontre de la CPI, ce sui remet encore plus en question l’efficacité de l’institution judiciaire et l’affaiblit en ce qu’elles trouvent de nouveaux dissidents avec de nouveaux arguments contre l’institution judiciaire. Ce n’est donc pas l’exactitude mais plutôt l’impact de ces propos qui pourront et ont déjà porté préjudice à la CPI. Toutefois en s’attaquant de la sorte à l’institution judiciaire, les dirigeants africains manquent surtout une occasion de traiter les véritables problèmes qui freinent l’efficacité de l’institution internationale. En effet, la CPI aujourd’hui rencontrent de nombreuses critiques concernant ses démarches et ses délais et les cas de Laurent Gbagbo et des chefs d’Etats kenyan auraient pu servir de base pour renforcer de telles critiques voire d’y apporter des solutions : la CPI est connu pour ses procédures qui n’aboutissent pas toujours à de résultats satisfaisants du point de vue des victimes, les délais, le manque de précisions dans les procédures : de telles caractéristiques pourraient être revues dans de nouvelles dispositions données au Statut de Rome; cependant il faut pour se faire que la CPI puisse regagner la conscience de certains dirigeants!
Il est important pour l’institution de ne pas se laisser fragiliser par de telles allégations. Les propos tenus lors du cinquantième anniversaire de l’UA ont le potentiel de mettre en cause l’utilité de la CP, elles ont servies à lancer un mouvement séparatiste qui souhaite voir les pays de l’UA quitter la CPI. Ce mouvement; bien que mineur aide à mesurer l’importance que la CPI doit accorder à de telles critiques, bien qu’elles soient mal fondées. Dans un continent ou l’impunité demeure encore aujourd’hui il est important pour la CPI de renforcer la coopération avec les acteurs politiques. Une telle coopération et une plus grande compréhension pourraient alors mener à l’élaboration d’un système de justice panafricain efficace, qui dès lors pourrait voir les dirigeants africains juger sur leur propre continent.
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Il serait interessant que les analyses n'essaient pas de masquer la réalité pour déclamer les pseudo sacro-saints principes sur lesquels se fondent les actions néocolonisatrices de l'occident.
1) La CPI n'a intenté d'actions à ce jour que contre des Africains. C'est une réalité que les principes généraux ne peuvent occulter.
2) Ce n'est pas parce qu'une poignée d'africains y ont trouvé du travail que la CPI ne demeure pas une institution à la solde des occidentaux pour aliéner les africains. L'histoire de la traite négrière et de la colonistaion nous montre qu'il y a toujours eu des collabos, exécutants noirs pour accompplir les sales besognes commanditées par les occidentaux. Occulter cette vérité c'est mettre un biais dans l'analyse.
3) Si la CPI n'est pas un instrument, comment expliquer que dans la crise ivoirienne, il n'y ait que LG qui soit devant la CPI aujourd'hui? le gouvernement actuel, qui l'a remis à la CPI pour être jugé en tant que co-auteur indrect refuse de livrer aujourd'hui les autres co-auteurs directs et indirects, fussent-ils du camp Gbagbo ou pas! Occulter cela c'est occulter les faits.
Ne serait ce qu'à cause des raisons indiquées supra, votre argumentation ne tient pas vraiment pas la route. Les lois doivent s'appliquer à TOUS!