Pour le lecteur fidèle de l'écrivain congolais Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire dévoilera un peu plus de l'homme et de la ville où il a grandi. Pour ceux qui souhaiteraient ouvrir là leur premier Mabanckou, préférez un autre ouvrage et revenez plus tard. Lumières de Pointe-Noire n'est pas à proprement parler une fiction, le récit est cependant trop construit pour être répertorié sous la bannière de journal intime. C'est un texte hybride, qui vaut le détour à condition d'être considéré comme le témoignage d'un écrivain expatrié, de retour dans son pays d'origine.
Entre retour au pays et pélerinage
Alain Mabanckou revient dans sa ville natale après vingt-trois ans, après des études en France, après la publication de romans salués par la critique, après une carrière de professeur de littérature francophone aux États-Unis. Bref, il est de retour après s'être accompli personnellement et professionnellement sur d'autres continents.
Pointe-Noire se révèle à fleur de page, les évolutions de la capitale économique du Congo, ses habitants et leurs habitudes sont décrits avec sympathie par un Mabanckou devenu un observateur apprécié du monde contemporain. L'enfant prodigue, invité dans sa ville par l'Institut français, retourne sur les chemins de son enfance, revoir les quatre murs qui ont été son foyer et des êtres chers qui ne l'ont pas oublié.
Entre fiction et réalité
Lumières de Pointe-Noire offre un prolongement et la visite des coulisses des romans de l'écrivain. Certains personnages de ses fictions ont bel et bien continué à vivre dans la réalité. Immanquablement, ils ont vieilli, comme Grand Poupy, le cousin expert en drague de Black Bazar qui a épousé celle dont était amoureux le petit Alain. Certains n'ont pas eu autant de chance, comme le grand frère vénéré Yaya Gaston, aujourd'hui alcoolique et vulnérable. Gilbert Moukila est mort, et Tante Hélène n'est elle aussi plus très loin de passer sa marmite à gauche. Mabanckou dresse des portraits touchants de petites gens de Pointe-Noire. Marqués du sceau de la subjectivité, ils esquissent un hommage à celle à qui il aurait aimé pouvoir rendre visite : Pauline Kengué, sa mère décédée, sans qui Pointe-Noire ne sera jamais plus vraiment Pointe-Noire pour lui.
Entre l'auteur et son lecteur
Les lecteurs de Demain j'aurai vingt ans seront sûrement contents de retrouver ces personnalités attachantes, mais ils n'avaient peut-être pas besoin de cette introspection à retardement pour apprécier l’œuvre d'Alain Mabanckou à sa juste valeur. L'écriture de Lumières de Pointe-Noire répond probablement à un besoin profond de l'auteur de mettre des mots sur ce retour aux sources. Il est clair pourtant que ce carnet de voyage atypique est destiné à la publication au moment même où il est ébauché. Le destinataire premier n'est donc pas l'écrivain lui-même, qui voudrait garder la trace de ce séjour, mais bien le public – principalement occidental – qui le lit depuis plusieurs années.
L'impression laissée par la lecture est celle d'une réponse donnée à tous ceux qui se demandaient pourquoi l'enfant de Pointe-Noire n'était pas encore revenu sur le sol congolais. La voilà livrée avec classe, sur presque 300 pages. Le lecteur n'apprendra pas pour autant les motifs profonds de ce retour tardif et furtif. Que Mabanckou vient-il véritablement chercher, maintenant, à Pointe-Noire ?
Alors que la démarche laisse espérer un témoignage sans concessions sur l'expérience du retour, Mabanckou ne s'appesantit pas sur ses impressions. On le sent chamboulé, et il fait état de sa difficulté à écrire au milieu de tous ces visages qui le mettent face à l'épreuve du temps. Mais qu'a-t-il ressenti sur les traces de son propre parcours initiatique ? Ce retour au pays est-il nécessaire, suffisant, pour faire le deuil de ses parents qu'il a longtemps caché ? Pour réaliser qu'il a du mal à trouver sa place au Congo, pour admettre qu'il a construit une vie ailleurs qui lui importe plus que ses souvenirs ? Le récit souffre de ces silences, qui font presque passer l'invitation de l'Institut français en une opportunité saisie par l'écrivain pour sortir un nouveau roman. La plume dynamique de Mabanckou et son talent de narrateur opèrent néanmoins sur le lecteur, qui est absorbé, ici par les souvenirs, là par les anecdotes de celui qui s'est fait un nom parmi les écrivains francophones contemporains.
Entre Enfant de Pointe-Noire et écrivain de la diaspora
Mabanckou livre finalement le témoignage autobiographique d'un écrivain expatrié, de retour dans sa ville d'origine et qui expérimente le décalage inévitable entre les souvenirs et la réalité. Beaucoup d'écrivains des diasporas africaines ont écrit sur ce thème. Dans Le ventre de l'Atlantique, Fatou Diome insiste par exemple sur le poids moral et financier des séjours dans son village sénégalais, où elle passe son salaire et son temps à prouver à sa famille qu'elle est restée des leurs. Mabanckou ajoute au portrait du simple expatrié la figure de l'écrivain, qui est lu et reconnu dans la ville où il a grandi en inconnu. Il semble cependant très détaché des obligations que pourraient lui imposer un tel statut social. Il est à moitié invité littéraire dans une ville familière, à moitié touriste devant les totems de son enfance, insignifiants aux yeux des ponténégrins d'aujourd'hui. Il n'ira pas au cimetière sur la tombe de ses parents, et il ne donnera de l'argent qu'à des personnes choisies, principalement aux enfants. Est-ce le statut d'enfant unique, de citadin ou de célébrité, qui lui permet cette liberté face au fardeau social décrit par Fatou Diome ? Là encore, le lecteur doit s'en remettre à ses hypothèses.
Lumières de Pointe-Noire apparaît comme une dédicace explicite d'Alain Mabanckou à la cité de son enfance. Comme beaucoup d'écrivains de la diaspora, sa terre et son peuple n'auront cessé de remplir les pages de ses futurs romans. Peut-être est-il tout simplement venu chercher à Pointe-Noire, sa « concubine », un nouveau souffle d'inspiration littéraire.
Véra Kempf
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Voici un interview de Mabanckou dans Jeune Afrique. Il revient sur différents thèmes évoqués dans ma critique, en y apportant sa réponse. Je maintiens ma position: pour ceux qui n'ont jamais lu Mabanckou, abordez un autre ouvrage en premier. On lit d'abord l'oeuvre avant de s'intéresser à ce qui l'a inspirée, le plaisir littéraire avant la biographie de l'auteur!
http://www.jeuneafrique.com/ArticlePersonnalite/JA2713p072-074.xml0/Type:Interview/alain-mabanckou-ma-place-est-peut-etre-au-congo.html
Bravo pour cet article et sa profondeur, le meilleur que j'aie lu sur ce livre …que je n'ai pas encore lu car il est introuvable ici a Pointe Noire, ou je vis en tant qu'expat.
J' etais allée aux conférences d'Alain Mabanckou en juin, et effectivement je m'étais demandée s'il n'étais pas venu pour faire naitre un livre, hypothèse vérifiée quelques mois plus tard. La rencontre entre Pointe Noire le souvenir fantasmé, et la ville réelle d'aujourd'hui, était tentante. Il etait acteur et surtout spectateur des retrouvailles.
Je suis étonnée qu'il ne parle pas ou peu de pressions familales : relate-t-il l'épisode qui s'est déroulé pendant la première conference? un homme de sa famille (yaya gaston je crois) marche vers l'estrade et l'apostrophe, lui envoyant a la figure la liste des morts de la famille depuis qu'il est parti, en particulier sa mere… c'était assez violent et en tout cas digne d'être écrit ! Son absence aux obsèques de sa mère est complètement inconcevable ici, d'autant plus qu'il n'y avait pas d'autre enfant.
Bon séjour au Congo puisqu'apparemment vous vous préparez a venir. Le peuple congolais est accueillant, et sa culture riche et passionnante.
J'aime beaucoup cette chronique littéraire et surtout le parallèle avec l'oeuvre de Fatou Diome. Même si elle nous enjoins de commencer par une autre oeuvre, cette chronique donne l'envie, à ceux qui ont déjà lu Mabanckou, de découvrir celui-là.
Tres contente de vous lire car etant en Master 1 litteratures africaines a l'universite Omar BONGO de libreville,j'ai comme projet de memoire << la contestation des normes langagieres dans Memoire de porc-epic d'Alain MABANCKOU>>. Je souhaite faire une these et devenir une specialiste de MABANCKOU. merci