Le Sénégal vient-il d’interdire le port du voile intégral sur son territoire pour « raisons sécuritaires »? Le Président Macky Sall en a bien manifesté la volonté au début du mois de novembre lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité. Aucune interdiction officielle n’a toutefois été encore édictée, en dépit de l’information relayée récemment par plusieurs médias sénégalais et étrangers. Au vu de la recrudescence des attaques terroristes, en Afrique comme ailleurs, la question semble plus que jamais d’actualité et divise l’opinion sénégalaise.
En vérité, l’importance du débat se base surtout sur sa forte portée symbolique, et sur ce qu’il soulève d’interrogations sur la stratégie antiterroriste adoptée par Dakar. Il est clair aujourd’hui que nul pays n’est à l’abri d’une menace terroriste sans frontières et sans limites. A l’instar de ses voisins ouest-africains et en raison de son intervention sur le territoire malien et de sa position assumée d’acteur-clé de la lutte contre le terrorisme, le Sénégal est exposé aux représailles des principaux groupes djihadistes opérant dans le Sahel.
Les réponses à apporter à cette menace ont été largement débattues à l’occasion du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité, dont la deuxième édition s’est déroulée dans la capitale sénégalaise les 9 et 10 novembre derniers. Le forum de Dakar se veut un lieu de discussions informelles entre chefs d’Etat, diplomates, militaires et experts visant à réfléchir à une solution globale aux défis sécuritaires auxquels doit faire face le continent. Bien qu’il ait été primordialement pensé comme un espace d’appropriation des questions de sécurité par les dirigeants africains, le Forum a réservé lors de ses deux éditions une place de choix aux principaux partenaires occidentaux du continent en matière de défense, Paris en tête.
Est-ce cette présence privilégiée qui a cristallisé l’agacement d’une bonne partie de l’opinion sénégalaise face aux déclarations de son Président contre le port du voile intégral ? « Nous ne saurions accepter (…) qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion, (…) le port du voile intégral dans la société ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions, ni même à notre conception de l’Islam », estime le chef de l’Etat. Ainsi donc, Macky Sall voudrait, à l’instar du Tchad ou du Cameroun, interdire sur le territoire sénégalais le port du voile intégral pour des raisons sécuritaires. « Mesure prudente », reconnaissent certains ; « encore une stratégie politico-liberticide importée de l’Occident», s’exclament les autres. L’annonce des arrestations récentes de plusieurs imams, en raison de leurs liens supposés avec des organisations terroristes et de leur participation au financement desdits groupes, a sans doute participé à cette vague de mécontentement à l’encontre de Macky Sall. Aborder la question de la religion au Sénégal est un exercice particulièrement délicat, même pour un chef de l’Etat.
Bien que laïc, le pays comporte en effet plus de 95% de musulmans dont la grande majorité est adepte du soufisme, un courant de l’islam basé sur une organisation confrérique. L’influence de ces confréries et de leurs chefs religieux sur la population représenterait le meilleur rempart du pays à la propagation des idéologies extrémistes qui prolifèrent chez ses voisins. Ainsi, l’idée d’un islam soufi réputé « tolérant » et « modéré » en opposition à des courants étrangers dits « radicaux » fait largement consensus. C’est à ces courants importés des pays du Golfe que Macky Sall fait allusion lorsqu’il évoque, le 10 novembre dernier, le danger de se laisser imposer une conduite par ceux qui « financent des mosquées et des écoles » dans le pays. La progression du wahhabisme saoudien, réputé pour sa vision rigoriste et traditionaliste de l’islam, est ainsi favorisée par l’importance des investissements des pétromonarchies dans le domaine religieux au Sénégal.
Toutefois, Macky Sall, nous dit-il, s’oppose à cette progression et à l’ingérence des pays étrangers dans les affaires religieuses de son pays, malgré le soutien financier non-négligeable que représentent ces Etats. C’est tout à son honneur. Il ne faut toutefois pas oublier la décision prise par le même Président, en avril dernier, d’envoyer sur l’appel de l’Arabie Saoudite plus de 2 000 soldats sénégalais lutter contre la rébellion houti active au Yémen. Décision qui a été prise sans avoir consulté au préalable une opinion publique largement réfractaire à l’idée de s’impliquer dans une guerre qui n’est pas la sienne. Il en va de même pour l’épisode « Charlie Hebdo», où l’image du Président aux côtés de François Hollande lors des commémorations des attentats de janvier à Paris avait fait grincer les dents de nombreux sénégalais profondément offensés par les caricatures de l’hebdomadaire satirique. Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, il est certain que la France est un allié de choix pour le Sénégal et la majorité de ses voisins. Ou, dépendant du point de vue selon lequel on se place, la « guerre » française contre le terrorisme peut se faire, en Afrique, sans la coopération de ses partenaires ouest-africains.
Quoiqu’il en soit, la France ne rechigne pas à investir lourdement dans les dispositifs sécuritaires des pays de la région, en particulier dans les services de renseignement. Son soutien passe également par la formation des forces spéciales et le renforcement des systèmes d’armement. 1 A ce titre, la question de la stratégie anti-terroriste du gouvernement sénégalais et de son insertion dans le contexte régional est légitime. Comme il a été dit et répété à l’occasion du Forum de Dakar, la solution apportée aux risques sécuritaires qui pèsent sur la stabilité du continent ne peut être que globale, multilatérale, et basée sur une profonde coopération entre les secteurs politiques et militaires des Etats concernés. Dans ce cadre, la fameuse réputation de «havre de paix et de stabilité» dont jouit le Sénégal renforce ses ambitions de leader régional en matière de lutte contre le terrorisme. Son armée, réputée professionnelle et bien entrainée, et son système de sécurité performant sont autant d’éléments jouant en sa faveur. A ce titre, il est utile de rappeler que le Sénégal est le 7ème pays contributeur mondial de troupes des missions onusiennes de maintien de la paix.
Dans cette conjoncture, les propos tenus par Macky Sall sur le voile intégral et l’arrestation des imams alimentent les inquiétudes de la population sénégalaise, qui n’en est pas pour autant moins préoccupée par la menace terroriste qui pèse sur le pays. A la tension entre le respect des libertés fondamentales de ses concitoyens et l’absolue nécessité de protéger le pays, s’ajoute la volonté du Président de se positionner en tant qu’acteur incontournable de la stabilité dans la région. Cette position implique également le maintien de relations privilégiées avec ses partenaires régionaux et internationaux.
A l’heure de la surenchère belliciste et des démonstrations de force, il serait pourtant bon de rappeler que le radicalisme se nourrit avant tout de la frustration provoquée par l’absence de perspectives d’avenir et de la perte de repères. Ce sentiment-là, qui pèse sur la jeunesse sénégalaise et qui représente la plus grande faiblesse du pays face à la menace djihadiste, n’est pas le produit d’une nation étrangère et ne pourrait disparaître avec la modernisation des services de renseignement. Peut-être existe-t-il donc d’autres priorités pour un chef de l’Etat que celle de lancer un débat polémique dont l’issue, quelle qu’elle soit, n’aura aucune incidence sur la menace à laquelle son pays est exposé…
Marième Soumaré
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