La vie politique nigérienne n’a jamais été un long fleuve tranquille. Alors que l’actualité du pays est marquée par de vives tensions sur plusieurs fronts[1], l’élection présidentielle de 2021 cristallise les rivalités et les ambitions notamment au sein du parti du Président sortant, que la constitution empêche de se représenter.
Une forte implication face à une situation sécuritaire régionale sous tension …
Dans ce contexte, le positionnement du Président Mahamadou ISSOUFOU est donc particulièrement scruté et interprété.
Taxée de dérive autoritaire, sa ligne politique est actuellement critiquée pour être trop proche des occidentaux et en particulier des français et des américains. L’implantation de bases militaires sur le sol nigérien et l’autorisation de survol du pays par des drones armés américains, ainsi que l’adoption d’une loi de finance favorisant l’implantation de sociétés étrangères tout en créant dans le même temps de nouveaux impôts pour les nigériens, lui ont définitivement collé cette image et celle « d’ami de la France ».
Sans chercher à s’en défaire, au contraire le Président ISSOUFOU revendique et met en avant son rôle central face à la menace terroriste, cerné par le Mali en partie occupé par les hommes du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et de l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara), le Nigéria où sévi Boko Haram et au nord par une frontière notamment avec la Libye, très difficilement contrôlable.
A ceux qui lui reprochent de jouer le jeu du néo-colonialisme, le Président nigérien oppose la gravité de la situation et une nécessaire mobilisation internationale pour empêcher l’implantation d’un « Etat islamique au Niger ».
Rempart face au terrorisme ou relais des occidentaux, le Président nigérien n’en demeure pas moins un allié de premier plan pour la France. En attestent les relations entretenues avec Emmanuel MACRON et l’aide apportée par ce dernier pour les 23 milliards de dollars de promesses de financement, obtenus à Paris auprès des bailleurs internationaux, pour financer le « plan de renaissance » en faveur de l’industrie agroalimentaire nigérienne.
A l’échelle sous régionale, sa désignation à la tête du G5 Sahel en février 2018 pour un mandat d’un an, donne au Président ISSOUFOU une position stratégique.
Composée de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, cette organisation créée en 2014 ayant justement pour mission principale d’œuvrer en faveur de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité.
Enfin, le lancement de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECA), lors d’un Sommet Extraordinaire de l’Union Africaine (UA) à Kigali en mars 2018 est venu couronner de succès l’investissement du Président nigérien, en charge de l’ambitieux projet depuis janvier 2016.
… Au détriment d’une politique intérieure en demi-teinte ?
Seulement, si Mahamadou ISSOUFOU est courtisé sur le plan régional et international, il semble en revanche faire face à une défiance de plus en plus importante sur le plan intérieur.
Qu’elle semble lointaine sa réélection triomphale en 2016 avec 92,4% des voix. Porteur de grands espoirs lors de son arrivée au pouvoir en 2011, Mahamadou ISSOUFOU n’a manifestement pas encore fait de miracles et sorti le pays de sa situation d’extrême pauvreté.
Force est de constater qu’en 7 ans le Niger reste l’un des cinq derniers pays dans le classement mondial du PIB par habitant, que son taux de fécondité demeure le plus élevé au monde avec 7,6 enfants par femme en moyenne, que l’accès aux biens essentiels, à la santé, à l’eau, à l’électricité des nigériens reste dramatique, que le taux d’analphabétisation y est encore l’un des trois plus élevés du monde.
Alors que le Président ISSOUFOU était présenté par Paris Match en 2013 comme « Le nouveau visage de l’Afrique », son pays n’a quant à lui pas changé de visage depuis et demeure en 2018 extrêmement pauvre, fragile et oublié.
Le drame du Niger est également démographique puisque la population a quadruplé depuis les années 1960, doublé depuis 1980, pour dépasser à présent les 20 millions d’habitants. Un nigérien sur cinq à moins de 5 ans et l’espérance de vie au Niger est l’un des plus faible du monde.
L’économie quant à elle repose toujours essentiellement sur l’élevage et l’exploitation de l’Uranium.
S’il est effectivement moins affecté par l’insécurité et le terrorisme que plusieurs de ses voisins, le Niger semble également ne pas évoluer et rester bloquer avec ses mêmes maux et ses mêmes difficultés.
Certes, la croissance économique est toujours forte, mais les promesses d’embellie liées au développement des industries extractives se font toujours attendre.
Autre signe encourageant, le pays renforce ses relations de coopération avec la Turquie, l’Iran, le Maroc, la Chine ou encore l’Inde, qui investissent dans les domaines économique, touristique et culturel, ainsi que ceux de la santé, ou encore des transports.
Néanmoins les inaugurations comme celle, en grande pompe d’un nouveau centre hospitalier moderne construit par les chinois en 2016, semblent encore surtout symboliques et être l’arbre qui cache le désert. Pendant ce temps, la population s’impatiente de plus en plus.
De la difficulté de gouverner une démocratie fragile et fébrile.
Les élections présidentielles de 2021 et l’impossibilité pour le Président Mahamadou ISSOUFOU de se représenter pour un troisième mandat, font donc gonfler les spéculations, exacerbent les ambitions et renforcent le sentiment d’attente et d’exaspération.
Néanmoins, dans l’un des pays les plus jeunes du monde, où la moyenne d’âge est de 15 ans seulement, ce sont les mêmes visages qui accaparent la scène politique et s’affrontent depuis les années 1990.
En outre, les scrutins sont très marqués par l’ethnicisation des votes. Chaque candidat mobilise avant tout sa région et les siens.
Enfin, la démocratie nigérienne reste fragile, le pays ayant cette caractéristique d’avoir été frappé par quatre coups d’Etat depuis 1960, dont le dernier en 2010.
A 46 ans, après une candidature aux élections présidentielles en 2016, où il était arrivé 5ème avec 4,3%, ex Ministre des transports (2012-2013) et à présent ex Ministre des Affaires étrangères (2016-2018), Ibrahim YACOUBA fait figure de nouveau de la politique nigérienne.
Officiellement poussé vers la sortie en raison de son désaccord sur la réforme du code électorale, l’énarque nigérien, jugé « trop ambitieux » par les proches du Président a préféré annoncer sa démission avant de se la voir notifier et se positionne clairement pour la présidentielle 2021. Ancien militant altermondialiste, Ibrahim YACOUBA réussira-t-il à faire bouger les lignes d’ici là, s’appuyer sur la contestation sociale et la jeunesse, tout en prouvant qu’il en a déjà l’envergure et ainsi menacer le successeur désigné par le Président sortant ?
Alors que l’on ne connait pas encore sa position pour les prochaines échéances, Mahamadou ISSOUFOU semble affronter des manifestations et des opposants de plus en plus véhéments et prend le risque de quitter bientôt la scène politique nigérienne en laissant son pays sensiblement au moins point que celui dans lequel il l’avait trouvé en arrivant au pouvoir en 2011.
En misant sur une posture internationale intransigeante vis-à-vis de la menace terroriste, quitte à en faire sa priorité, Mahamadou ISSOUFOU peut-il prendre de la hauteur et se construire l’image de protecteur et garant de la sécurité des nigériens et ceux-là lui en seront-ils reconnaissants ?
[1] Entre autres, manifestations à répétition, l’arrestation de leaders de la société civile, d’importants mouvements étudiants, le limogeage médiatique du Ministre des Affaires étrangères, une situation sécuritaire précaire ponctuée d’attaques sporadiques par des groupes djihadistes.
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