Espoir de la littérature féminine au Togo, Marthe Faré, ancienne étudiante ès lettre de l’université de Lomé a aujourd’hui beaucoup mûri. Noun Faré est diplômée de l’Ecole Supérieure de journalisme de Lille et vis actuellement au Togo. Souvent vue comme féministe, entre ses différentes occupations professionnelles, elle trouve le temps d’écrire, d’assouvir sa passion et de mettre en mots certaines réalités.
Ecrivaine, femme de médias, enseignante, Marthe Faré a de multiples facettes. De La Sirène des bas-fonds, sa première expérience littéraire, une nouvelle, à Rivales, son premier roman, Marthe (ou Noun) Faré a pris de l’épaisseur dans son écriture. Celle qui revendique une filiation littéraire de Sami Tchak et de Calixthe Béyala semble aujourd’hui prête à relever de nouveaux défis dans le landernau littéraire, finalement très masculin, du Togo.
« J’écris à des heures impossibles »
Dans un milieu où la femme commence petit à petit par prendre l’entièreté de sa place, l’écrivaine reconnait la difficulté d’être en même temps femme et auteure. Elle nous confie d’ailleurs : « J’écris à des heures impossibles. Parfois, quand je cuisine ou quand je fais d’autres travaux domestiques, quand je suis inspirée, je n’hésite pas, je vais écrire ». Dans les sociétés africaines encore très fortement patriarcales, Noun Faré détonne par sa liberté de ton et la façon dont elle assume certaines thématiques encore « tabous » comme la sexualité ou le corps de la femme. Et si ses lecteurs tendent rapidement à l’assimiler à ses héroïnes, des femmes libres et libérées, l’auteure s’amuse de cette confusion : « Dans la sirène des bas-fonds en particulier, le premier réflexe du lecteur, c’est souvent de confondre le « je » du narrateur et le « je » de l’auteur. Moi, j’aime jouer avec ces « je » ». Elle assure, toutefois, puiser dans son expérience personnelle des éléments qui l’aident à créer la trame narrative de ses oeuvres.
La sexualité, une thématique naturelle
Chez Marthe Faré comme chez ses modèles, la sexualité n’est pas taboue. « C’est un sujet comme un autre » déclare-t-elle de façon sentencieuse et péremptoire. Chez elle, le sexe n’est pas qu’un objet de plaisir. C’est « l’origine du monde ». Plus encore, c’est l’arme avec laquelle l’auteure veut aller vers « la déconstruction des idéaux de la famille traditionnelle ». A l’instar d’un Sami Tchak dans Place des Fêtes par exemple, l’écrivaine togolaise veut aller au-delà du mythe de la famille africaine parfaite. Elle s’insurge surtout contre le silence qui est fait autour de tragédies familiales comme le viol : « Je veux attirer l’attention sur le phénomène du viol familial qui existe aussi en Afrique » tonne-t-elle. Et pour elle, cette mise à nu ne peut passer que par la libération du corps de la femme : « le corps n’est pas le seul moyen mais il permet de renverser les rapports de force », des rapports de force imposés jusque-là par la puissance des hommes et l’apathie complice des femmes, constate-t-elle.
L’écriture au service d’un engagement social
S’il y a un concept que la femme de lettres togolaise ne porte pas dans son coeur, c’est le féminisme tel qu'il est conçu aujourd'hui. Elle affirme sans hésiter : « je suis une féministe antiféministe. « Je suis féministe seulement pour les femmes qui veulent qu’on lutte pour elles ». Noun Faré fustige la résignation de ses consoeurs et prône un féminisme quasi guerrier sinon très militant : « notre féminité n’est pas un handicap alors nous devons nous battre à armes égales avec les hommes » conclut-elle. L’auteure se dit engagée avec son écriture dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie de la femme togolaise et africaine.
Par ailleurs, la réflexion sur la famille que Noun Faré mène dans cette œuvre, soulève de grande questions comme : Quelle est la définition de la famille et de ses composantes que sont le père, la mère et les enfants ? Quelle est la nature des relations qui lient la mère à la fille d’une part et la fille à la mère d’autre part ?
Il est une évidence que la notion de famille telle que la société traditionnelle la présentait, a considérablement évolué. Et les familles monoparentales sont plus nombreuses de nos jours. De facto, la vie sociale connait des métamorphoses que Noun Faré dépeint avec dextérité et sans détour dans la dialectique mère-fille qu’elle propose dans Rivales, titre assez trompeur car plus d’un pensera à une scène entre coépouses. Erreur ! C’est plutôt un glissement de sens qui révèle certains travers de la vie familiale.
Il se trouve que la mère n’a pas cessé d’être une fille dans son subconscient et voit en sa fille une concurrente donc une rivale au point de tenter de dissuader le partenaire de sa fille. « Dommage pour toi, tu es un bol homme qui traîne avec cette traîné (..). Il n’y a aucune maison du quartier où elle n’ait traîné ses fesses. Dommage pour toi. Tu racleras le fond bol… » (p.10).
Cet acte langagier de la mère fait d’elle non plus une mère mais une rivale. Aussi cette Noun Faré dit-elle notre société où les réalités parfois dépassent les réalités fictionnelles.
L’Absence du père donc de l’autorité régalienne semble être à la base de cette déchéance familiale, de ce drame qui se joue sous nos yeux et sous la plume de celle que nous espérons compter parmi les grandes auteures de demain.
La Quête de la liberté
La résignation est une mort pire que celle naturelle, semble dire Noun Faré qui oblige Leckta à chercher des formes d’exil psychologique et affectif dans ses amitiés où elle va se libérer sexuellement parlant.
Elle a fini par s’accoutumer aux injures de la mère et la narguait. Ce qui est pour elle une forme de révolte contre la violence. « Je le connaissais déjà, ce monologue de ma mère. Je pouvais même le réciter en même temps qu’elle. C’était même devenu amusant » p14-15.
« Je fis le même geste que précédemment. Toujours le même. Celui qui m’attirait des torrents d’injures. Je passai à nouveau devant elle. (…). Cette fois-ci ma mère n’avait pas réagi. Comme fatiguée elle-même de s’acharner sur moi ».
Puis elle fit sa première expérience sexuelle avec Chikita, une amie plus aguerrie avant de connaître d’autres délices avec son petit ami. Cependant, elle garde une éthique et un respect profond pour la mère puisqu’il lui arrive de lire la souffrance de sa mère en se mettant presque à sa place. Noun Faré est une auteure dont le travail est porteur et Rivales son premier roman est à lire absolument.
Komlan Toulassi Mensah, Edem Latévi
Cet article a été rédigé à six mains avec la complicité de Anas Atakora
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *