Par Pr David Luke, directeur stratégique à l’Institut Firoz Lalji pour l’Afrique de la London School of Economics (LSE).
Les pays du continent africain disposent de solides options pour créer davantage de valeur autour de production de minerais critiques pour la transition énergétique. Plus de la moitié du cuivre, du nickel et du plomb produits en Afrique font déjà l’objet d’une première transformation (fonte ou affinage) sur place. Un étude récente de l’ONG Publish What You Pay, menée par mon collègue William Davis, chercheur invité à la LSE, suggère que les pays africains pourraient accroître considérablement cette production s’ils parvenaient à attirer des investissements directs étrangers (IED), renforcés de transferts de technologie et de savoir-faire.
Mais la concrétisation de telles retombées positives pour le développement du continent exige un cadre de politique industrielle véritablement compréhensif et méthodique. Les sujets clés vont des partenariats transfrontaliers à la facilitation des échanges commerciaux, aux accords de financements et d’investissements. Ce cadre devra veiller aussi bien à la composition du mix énergétique (coût, part du renouvelable…) qu’aux corridors de transport et d’approvisionnement. La disponibilité sur le marché domestique des services et de l’expertise technique nécessaires, intrants nationaux, la prise en compte des impératifs d’économie politique aux niveaux national et régional nécessaires pour créer le consensus et l’adhésion des parties prenantes, sont aussi des questions importantes pour la réussite d’une telle politique industrielle. S’il n’existe pas un modèle unique applicable partout, plusieurs des ces éléments semblent réunis dans l’initiative du corridor minier, industriel et logistique de Lobito en Afrique australe.
Insertion sur les chaînes de valeur
Outre ces points cruciaux pour toute politique industrielle, les pays africains, en particulier, doivent veiller sur trois éléments clés.
Le premier consiste à faire preuve de sens stratégique dans leur insertion au sein des chaînes de valeur des minerais critiques pour la transition écologique. Sur certains segments de ces chaînes, les pays africains se retrouveront en concurrence avec des producteurs industriels très compétitifs – souvent subventionnés par leurs gouvernements – ce qui a considérablement compressés les marges réalisables sur ces branches. Plutôt qu’une approche visant à “remonter la chaîne de valeur”, de façon indifférenciée, les pays africains devraient se concentrer sur l’identification de segments spécifiques sur ces chaînes de valeur où ils peuvent monter en puissance à la fois de manière rentable et sur le long terme. Avoir un sous-sol contenant ces minéraux critiques ne suffit pas.
Et compte tenu du caractère limité des ressources techniques et financières disponibles, les pays africains devraient se concentrer sur les industries qui apporteraient les plus grands avantages économiques et sociaux – même si ces industries se trouvent en dehors du champ de la transition énergétique.
Il peut également être judicieux de commencer par la fin de la chaîne de valeur, c’est-à-dire la fourniture sur les marchés africains de biens utilisant des intrants importés, plutôt que d’essayer d’ajouter de la valeur aux minerais que l’Afrique produit elle-même.
Les batteries LFP (lithium-fer-phosphate) en sont une illustration. L’expérience de l’Inde suggère l’existence d’un marché africain important pour les petits véhicules électriques utilisant ce type de batteries. Les pays africains pourraient commencer par assembler des batteries pour ces véhicules à partir d’intrants importés et remonter progressivement les étapes antécédentes de la chaîne de valeur au fur et à mesure que cela devient possible. L’Afrique du Sud assemble déjà des batteries à partir de composants importés.
Transformation structurelle
Le deuxième élément clé pour les pays africains est de se concentrer sur les solutions à portée de main (“low hanging fruits” en anglais). Cela pourrait passer notamment par l’expansion d’activités industrielles déjà pratiquées sur le continent, telles que les premières étapes du traitement des minerais ou la production de fils de cuivre. Cela peut s’avérer plus réalisable à court terme tout en permettant d’accroître le PIB du continent de dizaines de milliards de dollars et de créer des millions d’emplois.
De même, la fourniture de biens et de services aux sociétés minières (« contenu local ») peut renforcer la contribution de l’exploitation minière au développement économique autant que la transformation des minerais. Par exemple, l’Afrique a importé pour environ 7 milliards de dollars d’équipements miniers en 2022.
Économies régionales
Le troisième élément clé pour les pays africain est la coopération régionale. L’initiative du corridor de Lobito en est un bon exemple. Pour produire des technologies nécessaires à la transition énergétique, les pays africains devront probablement mettre en commun leurs ressources, car peu d’entre eux possèdent tous les minéraux nécessaires pour une production à grande échelle. Pour réaliser des économies d’échelle, les pays africains ont plus de chances de réussir s’ils augmentent la production au niveau régional.
Cela ne signifie pas nécessairement que le pays où se trouvent les unités de production en conservera seul tous les bénéfices. D’autres pays peuvent fournir des intrants pour alimenter ces installations de production. Les recherches que nous avons menées suggèrent en effet que les pays africains peuvent y parvenir le long des chaînes de valeur des minerais critiques. Par exemple, la RDC et la Zambie travaillent sur le partage des bénéfices de leur complexe commun de traitement des minerais dans le cadre de leur future ligne de production de batteries de véhicules électriques.
Cela remet en question l’un des instruments de politique économique utilisés actuellement par nombre de pays africains : l’interdiction des exportations de minerais bruts. Nos recherches suggèrent que cette approche – censée encourager la création de valeur ajoutée locale – est généralement inefficace et peut décourager l’investissement dans l’exploitation minière. L’interdiction des exportations vers d’autres pays africains peut être particulièrement préjudiciable si elle empêche la réalisation d’économies d’échelle sur le continent.
Distortions commerciales
La coopération intra-africaine sera également nécessaire pour répondre à la course mondiale aux subventions dans les énergies propres, qui est source de distorsions. En accordant des subventions à la production plutôt qu’à la consommation, ou en soutenant financièrement la production tout en insistant pour qu’elle ait lieu sur leur territoire, les pays riches et la Chine tentent de détourner à leur profit les chaînes d’approvisionnement mondiales dans les énergies propres.
Cette situation n’est pas seulement injuste pour les pays à faible revenu qui aspirent à participer à ces chaînes d’approvisionnement et qui n’ont pas les moyens de rivaliser avec ces subventions. Elle est également inefficace, car la production peut ainsi se concentrer là où les subventions sont les plus importantes, et non là où elle peut être réalisée de la manière la plus compétitive. Enfin, elle est nocive pour l’environnement, car elle pourrait réduire l’offre de minerais critiques pour la transition énergétique en diminuant les avantages perçus par les pays miniers (c’est la principale préoccupation des sociétés minières).
Pour y remédier, nous devons mener des négociations multilatérales sur la localisation de ces chaînes de valeur, afin d’éviter une course aux subventions qui fausserait la concurrence et pour soutenir les aspirations des pays en développement riches en ressources à tirer davantage de valeur de leurs minerais de transition, lorsque cela est économiquement possible.
Toutefois, il n’est pas certain qu’accorder une plus grande marge de manœuvre générale en matière de subventions soit dans l’intérêt de l’Afrique, étant donné que les pays riches disposent d’une plus grande puissance de feu financière pour déployer de telles mesures. Nous l’avons vu dans l’agriculture.
Il serait peut-être préférable d’imposer certaines limites à la marge de manœuvre des pays riches, afin de s’assurer que ces subventions sont conçues pour stimuler la productivité et non pour simplement distordre les échanges commerciaux. Cela permettrait notamment de s’assurer qu’à l’échelle mondiale les bénéfices de ces décisions l’emportent sur les coûts.
Spécialiste de la politique commerciale africaine et des négociations commerciales, le professeur David Luke est directeur stratégique à l’Institut Firoz Lalji pour l’Afrique de la London School of Economics et professeur extraordinaire à l’université North-West en Afrique du Sud
Traduit et adapté par Joël Té-Léssia Assoko pour l’Afrique des Idées
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