Le hasard d'une vague qui porte le grand surfeur du WEB 2.0 que je suis, peut me conduire à des rencontres surprenantes. L'une d'elles m'a conduite sur bladi.net, un portail du Maroc sur la Toile. Mes centres d'intérêt m'ont tout de suite poussé à fureter dans la chronique désormais classique "Que lisez vous en ce moment?" du forum dédié à la culture. Le pain nu de Mohamed Choukri était régulièrement cité. Sûrement, me suis-je dit, une bonne introduction à la littérature marocaine.
Je viens donc de finir la lecture de ce récit autobiographique de Mohamed Choukri. L'écrivain marocain dont l'itinéraire est si singulier et qui n'a connu les joies de la lecture et de l'écriture qu'à l'âge de 20 ans, évoque sa jeunesse – dans les années 40 – très mouvementée au sein d'une famille berbère, la famine dans les montagnes du Rif, l'exode vers Tanger, la violence aveugle d'un père tyrannique, le meurtre de son frère par ce dernier, la protection de sa mère, les fugues, la vie d'un enfant de la rue faite de vols, de rixes, de fouilles des poubelles, de nuits à la belle étoile dans un cimetière -seul endroit où il avait peu de chance d'être agressé pendant son sommeil -, son éducation sexuelle dans les bordels de la ville.
Comme le dit si bien Tahar Ben Jelloun auteur de la traduction de l'arabe en français, le texte est nu, les mots sont crus, chargés de leur violence, de leur passion, de la haine, du désir de survivre. Fioriture et modération ne font pas partie du vocabulaire de Mohamed Choukri.
Le lecteur est happé par la haine de ce fils à l'endroit de son père, par la construction de la personnalité de Mohamed sur des fondements branlants, gêné par la crudité de certaines descriptions, spectateur de ses beuveries. L'histoire de Choukri est tout sauf un conte de fée, comme c'est le cas de beaucoup d'enfants des rues africaines dormant dans les cimetières la nuit pour ne point subir ni viols, ni autres infamies. Il faut croire que la grande littérature se nourrit de ces tristes misères de l'humanité.
Quelques extraits :
Un jour avant notre départ j'ai revu la jeune fille qui m'avait libéré de la prison et donné une galette. Je lui annonçai notre départ pour Tétouan. Elle me prit par la main et m'emmena chez elle. Elle mangeai du pain complet trempé dans du beurre et du miel, puis elle m'offrit une belle pomme rouge et une poignée d'amandes. Mieux, elle me lava le visage et les membres. Etais-je son petit frère ou son jeune fils? Elle me peigna les cheveux. Je sentais ses mains douces sur mon front et mon visage. Elle me parfuma et me mit en face d'un miroir. J'y ai beaucoup plus regardé son visage que je ne m'y suis vu. Elle prit ma tête entre ses mains avec délicatesse, comme moi
quand je prends un moineau entre mes doigts. Ne pas faire mal. Elle m'embrassa sur la joue puis sur la bouche. J'ai pensé à elle comme à une soeur qui ne sera jamais la fille de ma mère.Le jour de notre départ j'ai pensé à tombe de mon frère. Une tombe qui restera quelconque, anonyme, sans sépulture. Une tombe qui sera effacé par le temps petite chose perdue parmi un amas de grandes choses…
Le pain nu, page 27
De temps en temps, mon père s'absentait un jour ou deux. Quand il revenait, il se disputait avec ma mère et souvent il la battait. Cependant la nuit je les entendais rire. Ils devaient s'amuser durant leurs ébats. Enfin, je compris ce qu'ils faisaient. ils dormaient nus et s'enlaçaient. C'était donc ça qui les unissait : le désir et la jouissance des corps. Moi aussi quand je serai grand, j'aurai une femme. Le jour je la battrai. La nuit je la couvrirai de baisers et de tendresse. C'est un jeu et un passe-temps amusant entre l'homme et la femme.
Un roman à lire.
Mohamed Choukri, Le pain nu
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