Les Editions Sépia ont une nouvelle fois eu la bonne initiative de publier des nouvelles – ici quatre – d’écrivains de la grande île, auteurs qui pour la plupart sont très peu connus du lectorat ; pour certains il s’agit de leur première publication. Quelle excellente manière de pénétrer la multitude des facettes de Madagascar – si tant est que cela soit possible -, et de leur donner corps en accordant voix au chapitre à ses nouvellistes de talent ; car, il s’agit bien d’auteurs de qualité dont il est question ici avec une préférence avouée pour Hery Mahavanora et sa nouvelle, Au Nom du Père, et Johary Ravaloson, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux. Chroniques de vies ordinaires. Sépia permet à ces auteurs francophones de se faire entendre dans une nation où écrire dans notre langue est l’exception : aucune institution locale favorisant l’expression française n’y est encouragée pour des raisons à la fois culturelle et historique. A noter l’excellente préface de Dominique Ranaivoson, un modèle d’introduction pressant le lecteur à se perdre dans des réalités insulaires certes parfois dramatiques mais toujours d’une grande richesse.
Pour la première nouvelle, celle de Hery Mahavanora, l’introspection douloureuse d’un homme d’âge mur qui par hasard dans les rubriques nécrologiques de son quotidien apprend enfin l’identité de son géniteur ; lui dont la bâtardise et l’ignorance de son père l’a tant fait souffrir dans une société puritaine ; une plaie douloureuse qui l’a amené sans cesse à se surpasser – exigence de la réussite dans les études – et fuir cette île, aller loin, très loin, en France, et y trouver l’anonymat, la paix.
« Mais la véritable libération est venue avec ma rencontre de Krouri, plusieurs années plus tard, quand toutes ces humiliations et ces états d’âme n’étaient plus que de mauvais souvenirs, et que ma rage de réussir m’avait permis d’accéder à une position sociale enviable. Sacré Krouri ! Bâtard comme moi, mais fier de l’être et transcendant son état comme un don du ciel. Je le revois me dire que les bâtards étaient meilleurs que les autres car confrontés aux difficultés qu’ils devaient surmonter. (…) Merci à Krouri ! Je lui dois ma sérénité et ma fierté retrouvées. Gloire aux bâtards ! Ceux qui ont souffert le martyr pour remplir des fiches de renseignements dans leur enfance et qui ont essuyés les sarcasmes et humiliation de la part de leurs compagnons de jeu à cause de cette anomalie. Ceux qui ont cherché en vain un réconfort paternel dans les moments difficiles. Ceux qui ont sombré, à court d’arguments et de ressources morales, et n’ont pas résisté. Ceux qui ont transcendé cette humiliation, transmutation à la manière de la pierre philosophale. Gloire à vous… mes frères et sœurs dans l’adversité. Je mesure aujourd’hui seulement le chemin parcouru. », pp. 18 et 19.
Dans la seconde nouvelle – excellente ! -, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux (…), l’auteur déroule le fil narratif à partir d’un taxi de la capitale et va de client en client (putes, vahazas et autres) pris dans les méandres de leurs réflexions et de leur solitude ; il en va ainsi du conducteur, faim au ventre, se devant absolument de rentrer avec quelques monnaies pour payer la location du taxi et attendant nuitamment sur une des collines cerclant la ville avec le vague à l’âme dans sa contemplation.
« Une nuit d’avance. Je me réveillai tenaillé par la faim. Les étoiles d’Antananarivo luisaient dans la pleine endormie. Je cherchais à deviner ses aspérités qui la caractérisaient en me repérant aux artères de lumières. Elle s’étendait maintenant sur des kilomètres et, si on confondait par temps clair ses lumières avec celles des astres à l’horizon, on discernait aussi des trous noirs qui pouvaient tout aussi bien correspondre à des terrains boisés, marécageux ou ésidus de rizières échappant encore aux tentacules de la construction qu’à des uartiers cachés par une butte ou tout simplement subissant un délestage de la JIRAMA, la compagnie nationale d’électricité. », p. 41.
La nouvelle de Désiré RazaFinjato, Tahiry, De Madagascar au Djebel algérien, nous emmène loin : un autre continent, une autre époque, la guerre d’Algérie. Appelé sous le drapeau français à combattre le FLN, Tahiry le malgache, personnage torturé, a en mémoire les événements révolutionnaires malgaches de 1947 – environ 80 000 des siens sont tués sur ordre de l’Etat Français. Impossible de déshonorer les morts ; unique chemin de recours, jouer double jeu, guerroyer de facto pour l’indépendance de l’Algérie. Mais à son retour, comment faire comprendre à sa famille honteuse d’avoir un fils venant de l’armée impérialiste qu’il était bien au contraire un résistant, un combattant des indépendances ! Impossible… le départ solitaire et infortuné du village vers la ville.
La solitude est un des fils conducteurs des trois précédents récits, triste fatalité que rompt la dernière nouvelle, Doublement un, de Cyprienne Toazara. A la tonalité résolument optimiste de ce conte naît l’union maritale d’un Malgache, le colonisé, revenant de France après la guerre à une vazaha (Blanche) française : surprise de la famille et des villageois d’autant plus que le
couple a décidé de s’installer au village. Une seule ombre au tableau, mais de taille, aucun enfant après des mois d’union. Dès lors, aux arts religieux et autres pratiques magiques pour réparer ce tort qui ne peut venir que de la femme (!) ; le fruit de la réconciliation des peuples, la naissance de l’enfant métisse, ne semble cependant rien devoir aux ancêtres bien aimés….
Vous avez dit conte ?!
Ce recueil de nouvelles ne tombe pas dans les clichés miséreux que pourrait colporter une certaine littérature de compassion : la tristesse, la solitude et le sentiment de fatalité n’empêchent pas l’ensemble des acteurs à se battre et vivre dignement. Autre point à souligner, la permanence du jugement familial – voire du village : toute action individuelle est pesée et soupesée à la lumière des intérêts et de la réputation de la famille, entité indivisible ; une autorité communautaire à laquelle il n’est possible d’échapper qu’en partant pour la ville, Antanarivo, la Babylone malgache, ou pour les plus « chanceux » à l’étranger. Que dire de plus pour encourager le lecteur à s’embarquer pour la grande île de l’océan Indien si ce n’est de se munir de chacun des recueils de cette collection qui a le grand mérite d’embrasser au plus près de son corps Madagascar. Et tant pis si quelques maladresses d’écriture s’y glissent.
Nouvelles Chroniques de Madagascar, Sélectionnées et présentées par
Dominique Ranaivoson, Editions Sepia, 2009, 146 p.
Hervé Ferrand, article initialement paru sur son blog
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