Nous vivons des temps révolutionnaires (sur le plan technologique). Les différentes révolutions industrielles constituent une manifestation d’un désir profond, caractéristique du genre humain : multiplier les quantités et les vitesses qui sont deux facteurs clés de la civilisation humaine. Un homme qui aurait fait une longue sieste entre 1890 et 1990 ne reconnaîtrait pas le monde dans lequel il s’éveillerait. La troisième révolution industrielle c’est-à-dire la révolution numérique – les historiens de la technique récusent l’existence d’une quatrième révolution industrielle- a complètement bouleversé les genres de vie. Le fait majeur de la révolution digitale est : les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. De ce fait, découle une pléthore de conséquences qui peuvent constituer une (petite) théorie de l’économie numérique pouvant guider l’action stratégique.
Que reste-t-il au travailleur si les tâches répétitives et systématiques sont automatisées ? Il lui reste les tâches non répétitives faisant appel à la créativité, à l’initiative, au discernement. L’ouvrier du 21ème siècle ne travaille plus avec sa “main” mais avec son “cerveau”. Comme le dit fort bien l’économiste Michel Volle, avec la révolution numérique, on passe de la main d’œuvre au cerveau d’œuvre. Le premier étage de notre théorie est le suivant: l’économie numérique est une économie de la compétence. L’économie digitale redéfinit les attributs des êtres humains et appelle de nouvelles compétences. Des ingénieurs en microélectronique, des développeurs informatiques, des ingénieurs d’affaires, des responsables de service après-vente, des directeurs de systèmes d’information, des analystes de données, etc… tant de compétences nécessaires à l’informatisation des sociétés africaines. Ces compétences représentent un savoir-faire ; ce qui pose la question de la nécessité de réformer le système éducatif en Afrique. Le système éducatif africain, hérité essentiellement de la colonisation, est celui qui produit des concepts théoriques, éduque à l’abstraction et la logique. Il a permis de former d’éminents hommes d’État, chefs d’entreprises et dirigeants jusqu’à la fin du 20ème siècle. Mais il doit être réformé, car il ne s’agit plus de “remplir des cerveaux” mais de produire des connaissances orientées vers l’action. Dit autrement, l’Afrique a besoin d’un système éducatif qui produit des compétences et pas seulement des connaissances. Par exemple, Il y a environ sept cent mille développeurs informatiques sur l’ensemble du continent, dont la moitié est concentrée sur cinq pays (Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Nigeria, Kenya) ; ce qui est relativement peu au regard du milliard de personnes vivant sur le continent.
J’ai rappelé que le fait majeur de la révolution digitale est : les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. Une des conséquences découlant de ce fait est que le coût marginal de la production est insignifiant par rapport à l’investissement initial. Le deuxième étage de notre théorie est donc le suivant: l’économie numérique est une économie à coût marginal nul. Il y a deux ans, en collaboration avec un ami, j’ai créé une entreprise pour proposer une solution digitale de gestion des notes des élèves dans les établissements scolaires au Bénin. Pour le développement de la première version du logiciel, nous avons dépensé quasiment tout notre capital financier initial (achat de licences informatiques, recrutement de développeurs informatiques, etc.). Une fois le logiciel mis au point, il peut être déployé dans n’importe quel établissement scolaire à coût nul. Concrètement, il y a un coût de distribution (les frais de transport pour aller sur le site de nos clients). Mais, il est très faible en regard du coût de développement du logiciel. Le coût de production est quasiment indépendant de la quantité produite ; c’est une spécificité de l’économie numérique. Le rendement d’échelle est croissant diront les économistes. L’économie numérique est une économie à coût fixe. Par conséquent, les sunk cost (les coûts irrécupérables) sont une des caractéristiques principales des entreprises de l’économie numérique. Quand une boulangerie tombe en faillite, l’on a la possibilité de vendre le four à pain, l’armoire à levain, le pétrin mélangeur, la trancheuse de pain ou tout autre équipement. En revanche, quand une entreprise de logiciel échoue, elle n’a plus rien à vendre. Le code du logiciel n’a très probablement plus aucune valeur. L’investissement initial est complètement perdu. D’où l’on peut tirer deux conclusions en matière de financement de l’entreprenariat numérique : (1) la dette est un mauvais instrument de financement de l’économie numérique, (2) le capital-investissement est le bon instrument.
Le troisième (et dernier) étage de notre (petite) théorie est que l’économie numérique est une économie à régime de marché de type concurrence monopolistique. Ceci est une conséquence logique du deuxième étage de notre théorie. Le coût marginal de production d’un système d’exploitation par exemple est nul (en première approximation). Si on applique le principe de la tarification au coût marginal, Microsoft par exemple aurait fait faillite quelques mois après sa création. Le régime de marché ne peut être celui de la concurrence pure et parfaite pour qu’une économie informatisée parvienne à une allocation des ressources efficace. Cela signifie donc que le rôle du régulateur change dans une économie informatisée. Puisque la nature de l’économie digitale ne se prête pas au régime de concurrence parfaite, le régulateur doit surveiller la durée des situations de monopole. Il faut que le monopole que détient une entreprise soit temporaire afin qu’elle évite de s’endormir sur ses lauriers, afin de ne pas pénaliser en fin de parcours le consommateur.
Si vous voulez aller plus loin dans la compréhension de l’économie numérique, je vous suggère de vous procurer mon ouvrage : Le digital au secours de l’Afrique.
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