Le pouvoir de certains grands groupes industriels sur les décisions politiques et sur la marche de l'Afrique a été depuis longtemps reconnu et combattu. Pourtant, alors que la promotion du secteur privé et de l'intégration régionale devient un leitmotiv accepté par tous, qui protègent les consommateurs africains? Face aux risques de collusion, de constitution de cartel et de fusion anticoncurrentiel, les pays africains ont besoin d'autorités de la concurrence.
Alors que la promotion du secteur privé et de l’intégration régionale est considérée comme instrumentale dans le développement des Etats Africains, très peu d’accent est mis sur l’importance d’un cadre règlementaire africaine de la concurrence. Même si certains pays envisage d'instaurer un droit de la concurrence, très peu de pays Africain dont l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, le Zimbabwe et le Malawi dispose aujourd'hui d’une autorité de la concurrence.[1] On en sait alors très peu sur les éventuelles cas de collusion, de cartel ou de fusion anticoncurrentielle qui imposent des prix élevés aux consommateurs et génèrent des pertes de bien-être à la société. De même, les cas d’abus de position dominante qui excluent l’entrée de nouvelles entreprises sur les marchés sont méconnus. Or, tout en garantissant la création de bien-être maximal à la société, la politique de la concurrence est bénéfique à la société à telle enseigne que la mise en place d’autorité en charge de sa conduite est primordiale.
La nécessité de mettre en place des autorités de la concurrence en Afrique
Sur la base des observations empiriques du cas des Etats-Unis et de l’Union Européenne (UE), les effets d’une mise en œuvre effective de la politique de la concurrence se situent à la fois à l’échelle nationale et régionale. A l’échelle nationale, ils se caractérisent par la baisse des prix, l’innovation et la croissance. Ces résultats, à priori théoriques, sont confirmés par les performances des Etats-Unis où le Département de la Justice joue le rôle d’une autorité de la concurrence et où l’innovation et la croissance sont plus importantes que dans des régions comparables comme l’Europe.[2]
A l’échelle régionale, la mise en place d’une autorité de la concurrence au sein de chaque communauté économique régionale servira de base à la consolidation de l’intégration économique en Afrique. A titre d’exemple, la construction de l’UE montre que le droit de la concurrence peut être source d’intégration économique régionale. En effet, cette construction a commencé depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) dont le fonctionnement reposait sur l’application du droit de la concurrence afin de prévenir les abus de position dominante surtout de la part des industries allemandes. C’est l’application effective de ce cadre règlementaire qui a conduit à l’union des Etats européens pour aboutir aujourd’hui à l’Union Européenne. Actuellement, le droit communautaire de la concurrence constitue l’épine dorsale de la construction d’un marché commun et unique de biens et services dans l’UE.
En suivant l’exemple de l’UE, il faut d’abord commencer par mettre en place des autorités nationales de la concurrence qui seront ensuite placées sous la tutelle d’une autorité régionale de la concurrence. Cette approche, similaire à celle qui est déjà en œuvre au sein de la COMESA, permettra d’harmoniser les textes règlementaires de la concurrence ; gage d’un environnement plus favorable aux investissements.[3] Cependant, il faudra d’abord lever les obstacles qui ont jusqu’ici entraver la mise en œuvre effective du droit de la concurrence dans les pays Africains.
Quelques obstacles à la mise en place des autorités de la concurrence en Afrique
Compte tenu de son incidence sur le bien-être des consommateurs, le profit des entreprises et les recettes de l’Etat, la mise en place d’un cadre règlementaire de la concurrence pilotée par une autorité administrative indépendante (autorité de la concurrence) nécessite qu’au moins l’un d’entre eux dispose d’un pouvoir de lobbying important. Toutefois, l’exercice de ce pouvoir dépend de l’incidence de la concurrence sur les intérêts de l’agent économique (consommateurs, entreprises, Etat). Elle est en général positive pour le consommateur et l’Etat, mais peut être soit positive ou négative pour l’entreprise en fonction de sa taille et de la nature des pratiques anticoncurrentielles en vigueur sur son marché.[4]
Ainsi, l’échec de coordination entre les consommateurs constituent un facteur clé à l’origine de l’absence des autorités de la concurrence. Dans ces conditions, l’intérêt des consommateurs dans les échanges de biens et de services n’est pas prise en compte par les entreprises ni par l’Etat. Or, même si cette situation n’engendre pas des pertes de profits pour l’entreprise, elle entraîne un manque à gagner très significatif pour la société entière du fait de la restriction de quantités qu’imposent des prix élevés.
Ces effets sont en général plus importants dans les secteurs à forte intensité en capital comme les télécommunications, les transports (aériens, ferroviaires, maritimes et routières), la banque, l’énergie, etc. La mise en place des autorités de régulations des télécommunications participent à la mise en œuvre sectorielle du droit de la concurrence. Cependant, ce sont surtout les intérêts de l’Etat (taxes et recettes d’attribution de fréquences) qui ont motivé leur installation. Par ailleurs, la corruption représente également un frein à la mise en œuvre effective du droit de la concurrence en Afrique. Typiquement, elle est à l’origine du manque de ressources humaines qualifiées dans les commissions de la concurrence existantes. Le passage à une échelle régionale permettra de se passer des réseaux de corruption, plus efficaces à l’échelle nationale.
Au niveau des entreprises, c’est surtout la faible représentation des entreprises locales dans le tissu industriel national qui constitue un obstacle à l’effectivité du droit de la concurrence en Afrique.[5] Elle ne leur confère pas suffisamment de pouvoir de lobbying pour inciter les Etats à renforcer l’indépendance et la capacité de fonctionnement des organismes en charge de la régulation de la concurrence. L’adoption de la loi « Sherman » aux Etats-Unis suite aux pratiques anticoncurrentielles de l’ex Standard Oil Company constitue un exemple emblématique de l’influence des entreprises locales sur l’effectivité du droit de la concurrence. C’est probablement l’émergence de nouvelles entreprises en Afrique suite à la croissance économique élevée de ces dernières années qui explique l’adoption d’un cadre réglementaire de la concurrence par la COMESA et la mise en place d’une autorité de la concurrence dans ce marché commun.
Il ressort donc qu’il existe deux solutions qui peuvent concourir à la mise en place des autorités de la concurrence en Afrique. Soit, la croissance économique reste élevée et permet l’entrée de nouvelles entreprises locales qui vont renforcer le pouvoir de lobbying des entreprises. Autrement, l’Etat rend effective l’application du droit de la concurrence à travers la lutte contre les réseaux de corruption qui profitent de la rente générée par son absence.
Georges Vivien HOUNGBONON
[1] Voir la liste des autorités de concurrence dans le monde. Les commissions de la concurrence présentes dans les ministères du commerce ne sont pas considérées comme des autorités de la concurrence en raison de leur lien étroit avec l’exécutif. Ce lien est de nature à biaiser l’analyse des cas de pratiques anti-concurrentielles en raison de sa nature juridique et économique. Voir aussi le blog suivant sur l'actualité du droit de la concurrence en Afrique.
[2] Les travaux théoriques et empiriques de Aghion et al. montrent que la concurrence engendre l’innovation et la croissance sur le long terme jusqu’à un certain seuil.
[3] COMESA : Common Market for East and Southern Africa
[4] Notons que l’absence de concurrence peut être source de rentes pour des fonctionnaires de l’Etat en présence de corruption.
[5] Les multinationales se fondent sur les règlent de l’OMC pour entrer sur les marchés nationaux, dépourvus de cadre de concurrence.
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