L’entrepreneuriat est l’un des moteurs de l’économie. Son incidence sur l’innovation, l’investissement ainsi que l’insertion professionnelle des jeunes et la création d’emplois n’est plus un secret en Occident. Au Sénégal, avec une population de jeunes en pleine croissance et un taux de chômage important, l’entrepreneuriat offre de nouvelles perspectives. Quelle est la place de l’entrepreneuriat à l’université ? C’est ce que je vous propose de découvrir à travers mon expérience de « toubab »[1] au Sénégal.
Les défis de l'université publique Sénégalaise
Selon le Plan de Développement de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche au Sénégal[2], le nombre de nouveaux bacheliers devraient devrait doubler entre 2012 et 2017. Pour répondre à cette demande croissante d’inscriptions, réduire les inégalités d’accès et sensibiliser les jeunes aux nouvelles technologies, le gouvernement a créé il y a deux ans la première université numérique et publique du Sénégal, l’Université Virtuelle du Sénégal. Bien que la mise en place des cours en ligne et le suivi soient encore à revoir selon certains étudiants, cette initiative s’inscrit dans une dynamique de changement numérique prônée par la ville de Dakar[3].
Aux difficultés internes du système s’ajoutent un problème d’orientation des étudiants. C’est le cas de Youssou, 22 ans et étudiant en philosophie à l’UCAD. Il va certainement devenir professeur de philosophie mais il explique pourtant que le bricolage est sa véritable passion et que « tous ses copains le trouvent doué pour ça ». Il pourrait certainement développer ses prédispositions manuelles et se professionnaliser. Mais jamais, dans son environnement éducatif et universitaire, il n’a été informé du Fab Lab[4] de Dakar, Ker Thiossane, ou de l’existence d’autres initiatives en dehors de son cursus.
L’offre de formation proposée à l’université est concentrée autour des sciences humaines et sociales et des lettres au détriment des formations scientifiques[5]. Les programmes ne proposent pas de cursus croisés entre départements et restent inadaptés aux besoins économiques du pays. Ainsi, l’inefficacité du l’enseignement supérieur se répercute à travers un chômage massif des diplômés (31% en 2011 contre 16% en 2005[6]).
Comment faire de la place à l’entrepreneuriat dans l’université
Au Sénégal, certaines écoles privées telle que l’Institut Africain de Management (IAM) encouragent l’entrepreneuriat à travers la création d’un incubateur et du SenseCampus lancé en partenariat avec MakeSense pour 2016. L’objectif de ce programme est de favoriser l’innovation et la création de projets d’entreprises sociales[7] en s’attaquant à des problèmes sociaux non résolus par l'Etat ou le secteur privé. A l’inverse de cette institution privée, aujourd’hui aucune université publique ne propose une formation diplômante en entrepreneuriat au Sénégal.
Ces formations seraient pourtant nécessaires à la population. L’esprit de débrouillardise des Sénégalais est bien connu mais peu d’initiatives deviennent de véritables entreprises. Par exemple, en zone rurale beaucoup de femmes cultivent et transforment manuellement des céréales et font pourtant face à l’insuffisance alimentaire. Rares sont celles qui sont capables de faire passer leur activité à l’échelle supérieure, par manque d'outils et de compétences adaptés. Pour combattre la malnutrition et aider ces femmes à développer une culture d’entreprises, l’entreprise sociale Sen Women Up les accompagne à travers une activité de transformation de fonio[8] à Kédougou. Il s’avère nécessaire de changer profondément les mentalités d’où l’importance de la sensibilisation des étudiants à l’université. Certaines actions peuvent facilement être initiées telles que la visite d’entrepreneurs, la diffusion des réussites…
Ainsi dès janvier 2016, un réseau de Fab labs[9] va être créé au sein de trois écoles d’ingénieurs au Sénégal. Ces laboratoires d’ingéniosité seront mis à la disposition de tous (étudiants, artisans, designer, groupes/startups etc) pour démocratiser l’accès aux outils innovants et débrider la créativité de la population. La BICIS (filiale du groupe BNP) propose de sensibiliser les Dakarois à ce mouvement de « makers[10] » et d’entrepreneurs sociaux avec l’exposition Wave (du 7 au 15 novembre 2015 à l’IFAN). Afin de diffuser ces courants et initiatives auprès des néophytes, l’université doit devenir un véritable relai de communication.
Pour passer à l’action, l’analyse des besoins, le prototypage et la gestion des ressources sont des éléments très importants à connaitre. C’est pourquoi, à défaut de les apprendre dans l’enseignement supérieur, des entités privées organisent des workshops. L’entreprise Baobab Entrepreneurship a créé l’incubateur virtuel CONCREE et propose chaque mois deux jours de formation au modèle de création « lean startup ». Des outils sont transmis aux entrepreneurs pour tester leur idée avant sa mise en place. MakeSense[11] organise également de nombreux ateliers de brainstorming gratuits pour résoudre les problématiques rencontrées par les entrepreneurs sociaux. Afin de démocratiser l’accès à ces outils, l’université pourrait s’impliquer en proposant, par exemple, des cours de comptabilité et d’Excel ciblant les problématiques financières des startups.
En conclusion…
Au Sénégal, les TPE opèrent parfois dans des conditions de forte précarité (Abdoul Alpha Dia, 2011). Quant aux grandes entreprises, essentiellement des filiales de groupes étrangers, elles ne peuvent répondre seules aux attentes grandissantes du marché du travail.
Universités et entrepreneurs sénégalais peuvent jouer un rôle de premier plan en matière de développement et de croissance économique. Des mesures comme la mise en place du PSE-J[12] permettant une formation professionnalisante destinée aux jeunes diplômés porteurs de projets ou encore l’allègement des procédures lors de création d’entreprises[13] donnent l’impulsion. Des initiatives, qui si elles se concrétisent et se multiplient, permettront de faire de Dakar une métropole de l’entrepreneuriat. A nous de jouer !
Sophie ANDRE
Références
Dia Abdoul Alpha, « L'Université sénégalaise face à la problématique de l'entrepreneuriat », Revue de l'Entrepreneuriat, 2011/1 Vol. 10, p. 9-32.
[1] Toubab : mot wolof signifiant “européen”
[2] Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche du Sénégal, 2013, PDESR 2013 – 2017, Sénégal.
[3] Dakar nommée ville créative par l’UNESCO. Ville de Dakar (2015), La Ville de Dakar vient d’être désignée membre du Réseau des villes créatives de l’UNESCO dans la catégorie des arts numériques [Online], Disponible : http://bit.ly/1OTxKc3 [21 oct 2015].
[4] Fab lab : contraction pour « fabrication laboratory » en anglais, signifiant laboratoire de fabrication
[5] 80% des programmes selon le PSE. République du Sénégal, 2014, Plan Sénégal Emergent (PSE), Sénégal.
[6] République du Sénégal (2014) Diagnostic sur l'emploi des jeunes au Sénégal, Sénégal
[7] L’entrepreneuriat social consiste à créer une activité économique viable pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux (santé, logement, environnement, chômage de longue durée, etc.) – Mouves, Qu’est-ce que l’entrepreneuriat social [Online], Disponible : http://bit.ly/YMVBUH
[8] Fonio : céréale d’Afrique de l’Ouest pauvre en gluten
[9] Fab lab : contraction pour « fabrication laboratory » en anglais, signifiant laboratoire de fabrication
[10] Un « maker » utilise la technologie de manière innovante pour créer des objets.
[11] Rejoignez la communauté MakeSense de l’Afrique de l’Ouest sur Facebook : http://on.fb.me/1hV5SHq.
[12] Programme Sénégalais pour l’Entreprenariat des Jeunes (PSE-J) http://bit.ly/1LG5gyb
[13] Le Sénégal fait un grand bond en avant dans le classement en passant de la 133ème place en 2014 au 90ème rang en 2015. Groupe de la Banque Mondiale (2015), Doing Business [Online], Disponible : http://bit.ly/1GqwPym
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