Un régime tout nouveau émergera sans doute du second tour des élections présidentielles au Sénégal. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous décrivons les grands défis macroéconomiques auxquels le nouveau gouvernement devra faire face à court mais aussi à moyen terme.
La croissance
Au cours des dix dernières années la croissance du Sénégal a été en moyenne de 4% par an ; chiffre relativement faible comparé à d’autres pays de la sous région aux structures socio-économiques similaires. Le Sénégal tout comme les pays de la zone UEMOA, malgré une plus grande maitrise de l’inflation, a fait moins bien que l’Afrique Subsaharienne qui le dépasse de deux points de croissance moyenne annuelle au cours de la même période. Ce faible taux de croissance est loin des objectifs de 7 à 8% déclinés dans la Stratégie de Croissance Accélérée, document élaboré en 2004 par le gouvernement du Sénégal en accord avec le secteur privé, la société civile et les partenaires au développement, dont l’objectif était de placer le Sénégal sur la trajectoire de l’émergence et de réduire la pauvreté absolue de moitié à horizon 2015 à travers une accélération de la croissance conformément aux Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Nous pensons que ce document stratégique ne devra pas être jeté aux oubliettes, Toutefois ses priorités doivent être redéfinies pour une croissance soutenue partagée et génératrice d’emplois et de revenus. Une plus grande importance devra être accordée au secteur de l’industrie qui a stagné aussi bien au Sénégal que dans la plupart des pays d’Afrique au cours des deux décennies de mise en œuvre des Politiques d’Ajustement Structurel. Pour cela, La densification du tissu productif industriel, la diversification de la structure économique dominée actuellement par l’agriculture, la pèche et les services, la promotion du sous secteur manufacturier, une plus grande diversification sectorielle et géographique des exportations concentrées autour des produits primaires de base sont autant d’enjeux pour redynamiser ce secteur. Ainsi, une industrie à très forte intensité de main d’œuvre est aujourd’hui la clé de voûte pour les pays d’Afrique (et pour le Sénégal en particulier) à forte croissance démographique (3% environ par an pour le Sénégal) afin de mobiliser un vaste réservoir de main-d’œuvre à bas coût. A court terme, les difficultés des poumons industriels du pays que sont les ICS (Industries Chimiques du Sénégal) et la SAR (Société Africaine de Raffinage) devront être vite levées afin que le pays redevienne un moteur industriel de l’Afrique de l’Ouest qui emporte dans son élan la Côte d’ivoire récemment sortie de dix ans de conflits.
La sécurité alimentaire
Le prochain président du Sénégal, qu’il se nomme Sall ou Wade, devra résoudre le problème de l’alimentation . La flambée en 2007-2008 des prix mondiaux des denrées alimentaires dont le Sénégal est un grand importateur (le Sénégal importe 80% de son riz), et les fortes pressions inflationnistes (6% d’inflation en 2008) ainsi que le creusement du déficit de la balance courante (-14% en 2008) qui en ont résulté montrent qu’il faudra porter une attention toute particulière à la sécurité alimentaire et à la très grande vulnérabilité du pays aux chocs extérieurs. Dans cette visée La GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance) lancée en Avril 2008 par le Président Wade dans le but d’atteindre à très court terme la sécurité alimentaire par la fixation d’objectifs de productions agricoles quantitatives n’a toujours pas eu l’effet escompté.
L'énergie
Sur le plan énergétique, les sénégalais ont eu des promesses de toutes sortes sur la fin des délestages et coupures de courant. Malgré une croissance de la demande énergétique de 8% par an, le secteur de l’Energie, qui affiche en 2011 un déficit de production de 50%, est miné par la vétusté des infrastructures énergétiques, et les problèmes financiers de la Société Nationale de production et de distribution de l’électricité. Les coupures intempestives ont couté 1,4 points de croissance en 2010 selon la DPEE (Direction de la Prévision et des Etudes Economiques). Le nouveau régime devra s’atteler rapidement à résoudre ce problème et mobiliser de manière plus efficiente le financement déjà disponible du plan d’urgence de restructuration de ce sous secteur de l’Energie Takkal.
Les infrastructures
Les réformes énergétiques doivent être soutenues par la création d’infrastructures notamment routières et la poursuite des grands travaux étendus à l’intérieur du pays avec toutefois un amoindrissement des coûts par une plus grande implication du secteur privé et des bailleurs de fonds par exemple. Bien que le sénégalais moyen ne ressent pas forcément à court terme les bienfaits d’infrastructures routières comme en attestent des plaintes récurrentes du genre « les routes ne nous donnent pas à manger », ces investissements qu’on vient de voir sont nécessaires pour établir un climat sain des affaires, réduire les coûts pour les entrepreneurs privés locaux et attirer les investissements directs étrangers. Leur prolongement à l’intérieur du pays dans les zones carrefours permettra de lever l' obstacle majeur au développement des échanges intra-régionaux (dont les chiffres officiels montrent qu’ils sont anormalement bas comparés à d’autres régions du monde) qu’est la médiocrité des infrastructures routières transfrontalières.
Le soutien à l'activité
Les entrepreneurs et ménages doivent aussi avoir accès aux financement. Dès lors, le développement du secteur financier et un plus grand accès des PME et des ménages (surtout en zone rurale) aux services financiers devront aussi constituer des axes prioritaires. Les obstacles à l’intermédiation bancaire et les sources du rationnement du crédit ont pourtant été largement identifiées. On peut citer, entre autres facteurs, le manque d’information sur la solvabilité des emprunteurs, une demande de financement de projets rarement bancables, les coûts élevés de recouvrement des créances et l’inefficience des mécanismes d’enregistrement des droits de propriété. Il appartient au futur gouvernement d’entreprendre les réformes institutionnelles nécessaires, en partenariat avec le secteur privé et le secteur bancaire, pour relevé ce défi. Le retour des banques de développement comme la toute récente Banque Nationale de Développement du Sénégal BNDS (qui ont été toutes démantelées à l’initiative de la réforme du secteur bancaire des années 80 dans le cadre des programmes d’ajustements structurels), s’il est accompagné de la mise en pratique de règles prudentielles strictes, peut être une solution pour le financement des PME et des ménages en zone rurales. Dans son rapport Competitiveness 2011, la Banque Mondiale identifie le problème d’accès aux financements comme l’obstacle majeur des affaires au Sénégal, devant la corruption, la pauvreté des infrastructures routières et énergétiques et les lourdeurs bureaucratiques.
A plus long terme un défi qui est de taille est la formalisation des activités du secteur informel qui concentre la plus part des créations d’emploi et représente un coût d’opportunité énorme en termes de ressources budgétaires et de gains en productivité. Des mesures incitatives fortes devront être entreprises pour réduire les coûts associés à la formalisation des petits commerces et aider les petites entreprises à grandir et gagner en productivité afin de répondre au problème structurel du « chaînon manquant » entre les petites et les grandes entreprises. En outre, le code du travail devra être réformé tout en veillant à la sécurité de l’emploi et à la protection des travailleurs afin que soient résolus les problèmes liés à la rigidité du marché du travail et aux coûts relativement élevés d’embauche, de licenciement et de démarrage d’activité qui nuisent à la compétitivité des entreprises ainsi qu’à l’environnement des affaires, soient résolus.
Le budget de l'Etat
Mais tout ceci peut-il être entrepris sans creuser le déficit public ? Malgré un taux d’endettement encore faible et acceptable suite à l’annulation de moitié de la dette extérieure du Sénégal sous l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endéttés), les finances publiques ont pris une trajectoire inquiétante à cause des grands travaux et de la pression à la baisse de la crise économique internationale sur les recettes fiscales. Le prochain gouvernement devra maitriser les déficits publics par une réduction des dépenses courantes au profit de l’investissement public productif sans altérer le financement des programmes sociaux d’éducation et de santé nécessaires pour atteindre les objectifs OMD.
Dans le contexte actuel de crise dans les pays partenaires au développement du Sénégal et d’un éventuel repli des flux d’aide au développement, les efforts pour une plus grande mobilisation des ressources intérieures devront être poursuivis (même si le Sénégal à l’un des niveaux de pression fiscale les plus élevés de la sous région) en élargissant l’assiette fiscale par exemple, sans engendrer de fortes distorsions économiques ; en continuant les réformes de l’administration fiscale et du système fiscale pour rendre plus simple et prévisible la taxation et l’imposition pour les contribuables. Une plus grande mobilisation des ressources intérieures offrira une plus grande marge de manœuvre dans l’élaboration des stratégies de développement, l’appropriation du programme de développement. Elle offrira également une moindre dépendance aux flux d’aide extérieurs instables qui sont souvent adossés aux intérêts des donateurs et qui entrent en conflit avec les objectifs nationaux de développement.
Nous ne pouvons finir sans formuler nos vœux de réussite au prochain régime face à ces nombreux défis. Nous espérons qu’une transition démocratique réussie renforcera l’attractivité économique du Sénégal (forgée sur son avantage comparatif de pays relativement stable et démocratique) légèrement écornée par les troubles pré-électoraux. Nous espérons aussi que le gouvernement qui émergera des élections aura la force, la légitimité et l’autonomie nécessaires pour propulser le Sénégal vers le développement durable.
Abdoulaye Ndiaye et Amaye Sy
Sources :
http://www.dpee.sn/IMG/pdf/situation_economique_et_financiere_2011_et_perspectives_2012.pdf http://www3.weforum.org/docs/WEF_GCR_Africa_Report_2011.pdf
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Bravo pour cette esquisse des grands défis macroéconomiques qui se poseront au prochain gouvernement.
Sur l'énergie et les infrastructures, deux domaines absolument fondamentaux, je pense qu'au delà des réponses ponctuelles à court terme, il est nécessaire de réfléchir et d'agir à l'échelle sous-régionale, celle de l'UEMOA par exemple. Ce sont des domaines très capitalistiques et les investissements à l'échelle d'un pays ne sont souvent ni pertinents ni efficaces. Il faudra donc travailler à mutualiser…
Enfin, tous ces chantiers, au-delà de leur aspect économique, ne porteront du fruit que s'il y a un fort volontarisme politique comme celui observé depuis 10 dans un pays comme le Maroc par exemple avec les plans "Emergence" dans l'industrie, "Maroc vert" dans l'agriculture, "Vision 2010" puis "Vision 2020" dans le tourisme…
Belle analyse des défis qui attendent le prochain gouvernement sénégalais. Juste un point sur l'image du Sénégal: elle n'est pas légèrement écornée, elle l'est assez sérieusement. Il y a, pour moi, eu un vrai recul démocratique au Sénégal ces dernières années. J'espère au moins – mais j'ai du mal à le croire – que ce 2ème tour sera transparent.
Une analyse claire nette et précise !! Mais avant de s'attaquer a ces différents points, le nouveau président (Macky je l'espère) devra d'abord d'une part restaurer la confiance des investisseurs étrangers et d'autre part organiser un audit des finances publiques et de celui de touts les hommes qui ont eu à gérer de grosse sommes d'argent. Je précise qu'il ne s'agirait pas de faire la chasse à la sorcière mais juste de montrer que le temps de la gabegie est terminée et de rendre le système le plus transparent possible comme le dit Tite.
J’ajouterai juste que hormis l’énergie, l’agriculture doit être l’autre secteur clé pour la relance de notre économie. En effet, le grand problème du pays est que nous ne consommons pas locale du fait que nous ne produisons pas assez et ne transformons pas les maigres produit de notre agriculture. Investir dans cette branche nous permettra au bout de 5 à 10 ans d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, de diminuer la vulnérabilité du monde rurale, de créer des emplois avec les usines de transformations, de diminuer significativement la déficience de notre balance commerciale (essentiellement du au fait que nous importons la quasi-totalité des denrées de premières nécessitée), de récupérer l’argent devant être alloués aux subventions de ces denrées de premières nécessité afin de l’injecter dans d’autres secteur porteur comme l'éducation, les infrastructures ou encore le tourisme.
Article intéressant, très belle analyse. Espérons que le prochain gouvernement fasse des points que vous avez énumérés des priorités.
belle analyse, étude profonde de certains secteurs qui connaissent beaucoup de difficultés.
A mon humble avis, il me semble que vous n'avait pas brossé le secteur de l'éducation qui depuis
le début de l'alternance ne cesse de connaitre des remous.
je pense le nouveau gouvernement des mois à venir devrait en faire une priorité pour redonner à
l'éducation ces lettres de noblesses
Merci pour vos commentaires complémentaires et intéressants. Je suis d'accord avec toi Tite, on n'a pas besoin d'euphémismes pour qualifier notre recul en matière de démocratie.
@ Ibou: cet article fait la synthèse d'enjeux macroéconomiques auxquels le gouvernement sénégalais devra faire face. L'éducation mobilisant beaucoup de biens publiques (notamment par les bourses qui à mon avis méritent une meilleure suivie), est comptabilisé dans le budget de l'Etat pour lequel on a donné quelques recommandations. Bien entendu, au-delà des grandes questions macroéconomiques que se devront se poser le ministre de l'économie et de la finance, il y a bien des améliorations à faire au niveau micro dans le domaine de l'éducation, de la santé, du logement et de l'autonomisation des femmes.