Abasse Ndione écrit noir sur blanc le quotidien d’un Sénégal fait d’espoir et de dégénérescence. Une gangrène qui mortifierait tous les pans de la société si ce n’était la résistance d’esprits courageux et saints. Et cependant, en dépit de ces croisés, le pessimisme n’est-il pas le grand victorieux ? De la société dépeinte dans Ramata, que d’impunités d’une élite perdue dans les vices de la corruption, excès de pouvoirs, prévarications, impunités – la liste est bien trop longue – qui par le jeu des vases communicants pourrissent la société dans son ensemble.
Décidément Abasse Ndione ne se fait pas le héraut du compromis. Nous aurions pu supposer que celui-ci, homme longiligne aux allures de vieux sage musulman avec sa barbe blanche serait issu de l’intelligentsia sénégalaise qui pris de dégoût et de remords se serait mis en rupture des siens dont la soif de pouvoir est inextinguible. Ce n’aurait pas été la première fois. Et bien pas du tout : Abasse Ndione est un infirmier de brousse à la retraite qui aidé de ses stylos Bic transcrit sa lucidité. De son état, de sa modestie, il en fait part dans un interview donné au Monde le 6 septembre 2008 : « J’ai commencé par l’école coranique, comme tout le monde. Mais ensuite, c’est notre père qui nous a poussés, mes frères et moi, à aller à l’école française. Au village, sur une centaine d’enfants, nous étions une poignée à y aller. Les gens disaient « Ceux qui apprennent le Français, quand ils seront morts, ils iront en enfer ! » Moi, je voyais les vieux qui jouaient aux cartes et qui parlaient français : et eux alors, je demandais, ils iront aussi en enfer ? ».
Non, Abasse Ndione n’ira pas en enfer, du moins à ce que nous en savons, mais nous n’en dirons pas de même de Ramata et de ceux qui de gré ou de force empruntent les pas de cette déesse qui par la fatale beauté de sa croupe met à genoux tout les hommes qui croisent son chemin. Ramata, femme fatale dont la cinquantaine n’émousse aucunement sa beauté et l’écume de sa sensualité hypnotisante, est l’épouse du garde des sceaux de la République sénégalaise. Pas la dernière à user et abuser des privilèges que lui octroie son état, sa seule préoccupation est les hommes. Sa consommation de bipèdes masculins est sans fin, ce qui avouez-le peut apparaître très étonnant venant d’une femme frigide. Il est vrai qu’il faut s’attendre à tout de la gente féminine. Mais attention, Ramata est une femme de la haute société dont les victimes qui se vautrent en elle – nous y rencontrons aussi des femmes – ne sont que des objets de sa quête : pouvoir jouir au moins une fois dans sa vie !
Elle vendrait tout, sa fortune, sa famille et pourquoi pas sa raison pour pouvoir enfin connaître à cinquante ans l’orgasme que toute femme bien faite est en droit d’attendre des joutes sexuelles. Que de victimes Ramata va semer dans sa quête du Saint Graal jusqu’à la rencontre de l’élu dont la verge sera lui faire découvrir l’extase himalayenne. Mais cet étalon prodigieusement talentueux est le descendant d’un homme qui a laissé sa vie lors de sa première et unique rencontre avec Ramata il y a une vingtaine d’années. Les mécanismes d’une divinité sans pitié vont dès lors se mettre en branle pour le plus grand malheur de la mante religieuse dont la souffrance la mènera aux confins de la folie. Abasse Ndione nous offre un petit régale comme on en rencontre guère ; un régale où les plus honnêtes côtoient des vermines qui assument sans vergognes leur statut. Avec sa plume acérée, l’écrivain se fait sociologue, et ceci avec le plus grand talent. Merci Monsieur Abasse Ndione.
Hervé Ferrand
Sur le même sujet, une critique de l'adaptation cinématographique, par Lareus Gangoueus : http://terangaweb.com/ramata/
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Le livre a été adapté au cinéma et sans avoir lu le livre j'avais trouvé le film trop "mou" manquant de piquant et de personnalité. Les aspects "mantes réligieuse" de Ramata n'apparaissait pas, le film s'est cantonné à l'aspect amourette-passionné d'une quinqua avec un jeunot. Je n'ai pas vu cette "recherche de l'orgasme" de la femme frigide car le film ne l'avait pas mis en avant.
Je n'avais pas aimé le film, ce commentaire me donne envie de lire le roman. Merci Hervé