Ces derniers mois ont vu la disparition de deux figures politiques du continent africain : messieurs Omar Bongo, président du Gabon, et Lansana Conté, président de la Guinée Conakry. Ces deux personnages se sont éteints au pouvoir, après des règnes présidentiels de plusieurs décennies. Les média ont amplement souligné, et à juste titre, le piètre bilan, pour utiliser un euphémisme, de ces deux hommes d’Etat. Mais ce qui retiendra notre attention est le renouvellement du pouvoir laissé vacant par ces deux décès. Dans le cas de la Guinée Conakry comme du Gabon, l’impression est que le fruit mûr du pouvoir est tombé dans l’escarcelle de celui qui a su s’en saisir le premier.
Le capitaine Dadis Camara, sous les habits de l’homme de troupe populiste et désintéressé, s’est servi du seul pouvoir réellement constitué en Guinée, l’armée, pour mener un coup de force qui lui permis, sans réelle opposition, de prendre la tête de son Etat. Les institutions démocratiques guinéennes, verni de légitimité dont s’était doté Lansana Conté plus pour plaire à l’extérieur qu’à son propre peuple, ont montré leurs limites. Alors même que le pouvoir du comité militaire de Dadis Camara est déjà complètement décrédibilisé suite au massacre du 28 septembre 2009, la contestation n’est réellement portée que par la société civile ; la classe politique, divisée, sans idées, sans réel ancrage populaire, est aux abonnés absents.
Au Gabon, le verni démocratique a tenu le coup ; un semblant de démocratie a été maintenu, Ali Bongo succédant à son père à la suite d’un scrutin électoral. Le spectacle de ces élections n’en a pas moins tourné à la mascarade : création de parti ex nihilo pour l’élection présidentielle par André Mba Obame, cacique du pouvoir en place qui arrivera deuxième du scrutin sur un programme tournant autour de sa personne dynamique et apparemment repentie ; désistement de candidats à la veille du scrutin ; bref, des élections auxquelles personne ne croyait vraiment et qui tournaient plus autour de querelles de personnes que de débats sur l’avenir d’un pays plongé dans le coma depuis plusieurs décennies. Le seul vrai suspens qui taraudait les commentateurs après le décès de papa Bongo était le suivant : qui de Pascaline ou de Ali succédera à son père ? Il s’est avéré que c’est autour du frère cadet que le clan s’est rassemblé en rang serré.
Ces deux exemples tirés de l’actualité récente caractérisent assez bien ce qui tient lieu de classe dirigeante dans les jeunes démocraties africaines, et aident à expliquer la défiance, pour ne pas dire l’animosité, que nourrissent de nombreux citoyens de différents pays africains vis-à-vis de leurs politiciens, ou de ce qui en tient lieu. Il est vrai que l’homme (ou la femme) politique, quel que soit l’hémisphère ou la latitude, n’a que rarement bonne presse : opportuniste, affairiste, cynique, sont autant d’adjectifs dépréciateurs qui lui collent à la peau. Mais les politiciens africains sont peut être les moins aimés : corrompus, politi-chiens, voleurs, parfois criminels, il est rare qu’on leur prête le sens de l’intérêt général. Vouloir faire de la politique serait vouloir se remplir les poches. Au Sénégal, les déçus du pouvoir en place n’en appellent pas à l’opposition, pareillement décriée, mais en d’hypothétiques technocrates, porteurs à leurs yeux d’un savoir technique supérieur, mais surtout d’une éthique de l’intérêt général qui ferait défaut aux politiciens. Je pense qu’une telle conception des choses est pernicieuse, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle prête aux technocrates un pouvoir qu’ils n’ont pas : celui de prendre des décisions efficaces et non-idéologiques. Or, toute décision politique est forcément idéologique, dans le sens où elle résulte de choix entre plusieurs moyens à employer et plusieurs finalités à atteindre, et que ces choix ont tous dû être motivés au regard de jugement de valeurs, de grilles de lecture du monde. C’est une victoire de la doxa néolibérale de faire croire qu’il n’existerait qu’un seul chemin vers le développement, qu’une seule sorte de développement économique et social, et que les actions politiques ne se divisent qu’en deux catégories, les « efficaces » et les « inefficaces », et, concernant les hommes politiques, entre « ceux qui ont compris comment ça marche », et « ceux qui n’ont rien compris »… Le propos n’est pas de nier ici la nécessité de maîtriser les savoirs techniques sans lesquels il n’est effectivement pas possible aujourd’hui de diriger un Etat moderne inclus dans la communauté internationale : mais c’est là avant tout le rôle de l’administration publique, qui doit être guidée par des choix qui s’inscrivent dans des dynamiques socio-politiques. De sorte que s’il me fallait faire un vœu pour l’Afrique dans l’optique de l’amélioration de sa situation, ce serait le suivant : que l’Afrique puisse compter sur ses hommes politiques.
Il faut en effet réhabiliter le politique : son rôle est essentiel dans le devenir d’une Nation, d’un Etat, d’un pays. Tout d’abord, il n’y a pas d’institution démocratique sans vrais hommes politiques. Ces derniers ont le devoir de formuler une vision du pays et de sa situation dans le monde, de répondre au « Que faire ? », d’expliciter cette réponse et la rendre compréhensible pour porter ce message à la population, la mobiliser autour de ces idées, et tenter ensuite d’accéder au pouvoir pour les mettre concrètement en œuvre. Le professeur Ghassan Salamé parlait de « démocratie sans démocrates » dans le monde arabe. Le constat est valable partout : il ne peut y avoir de démocratie sans hommes politiques démocrates qui agissent dans le sens de ces institutions. Pour que le processus démocratique arrive à maturation, il faut que les différents partis politiques africains se saisissent réellement de l’enjeu du débat d’idées. Ce n’est pourtant pas les sujets qui manquent ! Pour que l’action de l’Etat soit efficiente, il faut qu’elle soit portée par une vision claire et partagée. C’est le seul moyen de dépasser la course au pouvoir pour le pouvoir, de doter les citoyens et leurs élus d’une éthique de l’action publique, de sortir des trop nombreuses démocraties féodales du continent, de cette croyance en des hommes indispensables et providentiels.
Je ne crois pas en « l’africanisme », pot-pourri idéologique qui sert souvent de leitmotive à certains jeunes intellectuels de différents pays africains, selon lesquels il y aurait une approche politique exclusivement africaine, figée culturellement sur des valeurs et une vision du monde propre à l’Afrique, se référant pêle-mêle au panafricanisme, aux valeurs familiales africaines, se basant sur une « race commune ». Je pense que la réalité économique, sociologique et politique de la modernité s’appréhende à travers des cadres de pensée connus (libéralisme, socialisme, développementalisme, altermondialisme, conservatisme, progressisme, écologie, nationalisme, communautarisme, etc.) qu’il s’agit d’adapter à des situations et contextes particuliers, et donc de se réapproprier. Cela n’a été que rarement le cas jusqu’à aujourd’hui.
Le travail de pensée et d’action qui attend les hommes politiques de demain en Afrique est donc immense. Mais il est surtout exaltant ! Il serait dommage que les jeunes femmes et les jeunes hommes de talent du continent se détournent de ce magnifique défi parce que les politiques d’aujourd’hui ont largement décrédibiliser la mission, pourtant noble, qui est la leur.
Emmanuel Leroueil
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Je partage la majeure partie des éléments donnés dans votre article Emmanuel et je salue par la même occasion votre travail de synthèse sur un sujet aussi large que complexe.
Faut-il « Réhabilité l’homme politique en Afrique » ou habiliter l’homme politique en Afrique ? Inutile et hasardeux de s’intéresser ici aux dirigeants africains de la période précoloniale, je me focaliserai donc, si vous le voulez bien, sur l’époque contemporaine.
La décolonisation à ouvert sur l’Afrique tous les possibles dans bien des domaines : politique, économique, géopolitique, social etc. Cela dit, c’est par la voie politique et avec l’aide de l’armée qu’une grande partie de l’Afrique a gagné son indépendance. Ainsi, dans un processus d’apprentissage du fonctionnement d’institutions qui ne sont les nôtres que depuis cinquante ans en moyenne, le politique et le militaire ont une importance considérable. Là où en Occident votre réussite se mesure à votre capacité à devenir un cadre en entreprise ou à créer votre propre société, en Afrique votre réussite se mesure à votre capacité à gravir les échelons du pouvoir ; devenir chef d’Etat étant la réussite suprême (je généralise énormément à dessein).
On ne peut donc pas juger le dirigeant africain avec la matrice occidentale. Il ne s’agit pas ici de se faire l’avocat du diable et d’excuser les mauvaises gestions des dirigeants africains mais la fonction de leader, de guide et d’idéologue que doit endosser le responsable public n’est peut-être pas quelque chose de totalement acquis en Afrique. La notion de « Civil Servant » que je préfère largement à sa version française de « fonctionnaire » est très explicite : le responsable public est au service de son peuple et se dévoue pour lui. Sans être pessimiste, je ne pense pas que cette notion de « Civil Servant » soit assimilée dans toute l’Afrique bien que quelques exemples nous montrent que c’est possible. Le dirigeant africain n’est pas plus bête qu’un autre, mais c’est l’histoire récente de se continent qui crée ce conditionnement et pousse à certains comportements consistant à piller les richesses de son propre peuple pour son profit personnel.
Alors je pense qu’il faut habiliter l’homme politique en Afrique mais cela passe par un changement de mentalité général. Que les forces vives de d’une nation : artisans, commerçants, ouvriers, entendent que c’est par leur travail que leur population connaîtra la richesse. Mais ce discours ne tient la route précisément que s’il on est dans un contexte politique apaisé, une situation économique acceptable où les dirigeants travaillent avant tout pour le bien-être de leurs populations. Le serpent se mord la queue. L’histoire récente de l’Afrique montre que pour dépasser cette situation inextricable il faut s’en remettre à l’homme d’exception pour enclencher ce processus d’habilitation. Comme un Rawlings au Ghana qui par son action et son souci de la bonne direction de son pays a permis les arrivées de présidents de bonne qualité après lui : Kufuor et Atta-Mills.