Mercredi 02 octobre 2019. L’Afrique des Idées, bureau de Paris a eu l’immense honneur de recevoir M. Nicolas NORMAND, ancien diplomate français, normalien et énarque et enseignant à Sciences Po et à l’ENA. Il a été ambassadeur de France au Mali, au Congo, au Sénégal et en Gambie. Fort de son expérience et de sa fine connaissance de l’Afrique, il a partagé avec l’assistance sa vision de la monnaie FCFA en renchérissant l’agenda pour une réforme du FCFA proposé par L’Afrique des Idées. La « Rencontr’Afrique » débuta par une présentation des travaux du think tank sur la monnaie du FCFA puis s’ensuivit l’intervention de M. Nicolas NORMAND.
Agenda pour une réforme du FCFA
Le débat sur la pertinence du FCFA a eu une résonance très forte ces dernières années. Notre think tank s’est donc permis d’apporter sa contribution au débat à travers une analyse technique de la monnaie FCFA (analyse téléchargeable ici). Les résultats de cette étude ont permis d’élucider les caractéristiques de la zone franc et des économies des pays qui en font partie. En effet:
- L’inflation est nettement maîtrisée dans les pays de la zone franc comparativement aux autres économies d’Afrique sub-saharienne, une performance non négligeable dans des pays pauvres où la réduction de l’incertitude afin d’attirer les investisseurs, couplée au maintien et à l’amélioration du pouvoir d’achat des populations sont essentiels ;
- Le niveau des crédits à l’économie reste sous-optimal en dépit d’un taux de couverture de l’émission monétaire largement supérieur au minimum de 20% requis, mais il l’est aussi dans les économies situées en dehors de la zone ;
- Les balances commerciales sont déficitaires en raison d’un manque de diversification des économies imputable à la faiblesse des structures et à l’absence d’une vision à moyen ou long terme.
Toutefois, le système de la zone franc ne constitue pas une panacée. En effet, les risques d’une radicalisation de la contestation populaire, voire d’une désintégration de la zone monétaire sont très probables pour deux raisons essentielles :
- Les impacts sociaux de la stabilité monétaire (bonnes performances d’inflation) ne sont pas encore effectifs, un demi-siècle après l’introduction de la monnaie commune compte-tenu de l’insuffisance des performances d ’une croissance économique soutenue ;
- La remise en cause de la « souveraineté monétaire » des États membres de la zone est réelle et exceptionnelle même si l’architecture institutionnelle du système de la zone franc telle que présentée ne suppose une quelconque domination de la France dans les décisions de politique monétaire.
Pour se prémunir de ces risques politiques, l’étude propose deux scénarios de réformes cumulables en mettant en exergue le rôle central des États et des politiques budgétaires. Le premier vise uniquement à maximiser les avantages du système monétaire actuel et envisage une révision des aspects de la monnaie commune qui ne nécessitent pas une remise en question de la convention de coopération entre la France et les États membres. Le deuxième scénario propose une évolution des dispositions actuelles de la convention de coopération qui remettent en cause la souveraineté monétaire des États membres. Plus spécifiquement, le premier scénario propose de :
- Accroître le financement de l’intégration régionale en utilisant une partie des recettes générées par les réserves monétaires et les opérations d’open-market pour financer des infrastructures régionales, ou pour servir de garantie à des prêts ;
- Ne plus faire fabriquer la monnaie par la Banque de France, mais par un prestataire choisi à l’issue d’un appel d’offre. Idéalement, le lieu de fabrication devra être externe à la zone franc pour éviter les risques de conflits politiques ;
- Renommer la monnaie commune de manière à lui enlever toute connotation coloniale.
Le second scenario consisterait à :
- Remplacer le compte des opérations par un compte d’avances auprès de la Banque de France ;
- Mettre en place une commission d’experts incluant des représentants français, en lieu et place de leur présence au sein du conseil d’administration et du comité de politique monétaire des banques centrales.
Au-delà de ces réformes, les États ont un rôle essentiel à jouer afin d’optimiser les effets de la politique monétaire. Ils devront :
- Accroître le financement du secteur privé à travers le déploiement de solutions innovantes de gestion des risques de crédits et d’assurance ;
- Faire de la diversification économique une priorité en se focalisant sur la production locale de produits de première nécessité tels que le riz, le blé, le lait et la volaille ;
- Approfondir l’intégration régionale en accélérant la normalisation des réglementations et en donnant davantage de moyens à la Banque Ouest Africaine de Développement pour financer la convergence des économies de la sous-région.
Intervention de M. Nicolas Normand
L’ancien diplomate français a commencé son discours avec beaucoup de pédagogie sur la question monétaire. En effet, la monnaie, rappelle-t-il, est un instrument qui remplit trois fonctions essentielles :
- La monnaie comme unité de compte. Elle permet d’exprimer la valeur de tous les biens et services dans une unité commune et de faire des choix en conséquence. Elle rend ainsi possible l’allocation des ressources selon leur usage optimal.
- La monnaie comme instrument d’échange. Elle facilite les transactions entre les agents économiques. Elle rend possible des échanges qui seraient beaucoup trop complexes dans une économie de troc.
- La monnaie comme réserve de valeur. Elle permet de transférer du pouvoir d’achat. Elle rend possible l’accumulation du capital via l’épargne. Il faut pour cela que la monnaie soit stable, c’est à dire qu’il soit possible d’épargner sans craindre que la monnaie perdra en valeur à un degré imprévisible.
En plus de ces 3 fonctions sus-citées, la monnaie présente aussi une dimension politique, insiste-t-il. En effet, la monnaie est outil de souveraineté nationale d’un pays et, d’un point de vue anthropologique, un facteur de lien social, de cohésion, de rapprochement entre membres d’une même communauté. M. Normand aborde ensuite les caractéristiques du FCFA.
Il précise en effet, que le franc FCFA a bien rempli ses fonctions économiques notamment celle de réserve de valeur. L’inflation dans la zone franc est totalement maitrisée (0,8% en 2017) générant ainsi de la confiance en l’avenir et permettant d’attirer les investisseurs. La zone franc connait donc une stabilité monétaire remarquable. Il a pris l’exemple du Zimbabwe, pays hors de la zone franc, qui pour des besoins de financement des coûts de fonctionnement de l’Etat, s’est mis a imprimé des billets. Les prix se sont envolés, l’économie s’est totalement dérégulée. Une autre caractéristique de la zone franc est que les pays s’y trouvant doivent déposer la moitié de leurs réserves de change au Trésor français. Tous les pays, africains ou pas, ont généralement besoin de détenir un peu de réserves de change (un matelas de 3 mois) afin de pouvoir assurer les importations. Donc techniquement, ça ne changerait pas grande chose, si les réserves de change étaient stockées à Bamako ou à Cotonou. Par contre, cela pose un problème politique, un problème de souveraineté.
L’ancien diplomate donne son point de vue personnel en indiquant qu’il épouse l’idée de la sortie du FCFA par les pays qui l’utilisent. La raison principale pour laquelle il est partisan de la sortie du FCFA est l’aspect politique et symbolique. Il lui paraît essentiel de couper le cordon ombilical avec la France qui alimente tous les fantasmes de la francafrique. La solution peut être soit une européanisation complète du système où la BCE remplace la banque de France ou bien un système purement africain : des monnaies nationales ou bien une nouvelle monnaie commune, ce qui est plus compliqué à realiser. Il ajoute que le système cfa favorise les investissements et échanges avec la zone euro et non spécialement avec la France, sans handicap pour les autres grands partenaires (Chine et usa). Mais il est clair qu’une monnaie stable est nécessaire mais nullement suffisante.
Par ailleurs, M. Nicolas Normand souligne la faiblesse des échanges intra-zone franc. Il pense même que, si l’idée de la monnaie commune est utile, elle n’est en revanche pas nécessaire car les pays de la zone franc échangent très peu entre eux. Il indique aussi que d’autres problématiques, tout aussi importantes que celle de la monnaie FCFA, sont au cœur des défis à relever par les pays africains. Son livre « Le Grand Livre de l’Afrique » aborde les questions de politique, d’économie, de culture, de terrorisme. Il y dresse un panorama complet de la réalité africaine tout en proposant des approches de solutions qui pourraient remettre l’Afrique en phase avec son ambition d’émergence.
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