Pour la quatrième édition des Rencontr’Afrique qui a eu lieu le 13 juin 2014, une quinzaine de personnes a été reçue par l’avocat international Stéphane Brabant.
Répondant ainsi à l’invitation de L’Afrique des Idées, il nous a accueillis dans son cabinet pour un échange riche d’enseignements dont nous résumerons la substance. La tâche n’est pas aisée, tant la richesse de ses propos témoigne d’une grande curiosité intellectuelle. « Stéphane » – comme il aime qu’on l’appelle – apparaît comme un homme enrichi par ses expériences ponctuées d'anecdotes qu’il a accepté de partager avec nous.
« Je n’avais jamais mis les pieds en Afrique. J’y suis arrivé, j’étais bien, on ne peut pas dire mieux »
Lillois d’origine, il y étudie le droit avant de s’envoler pour le Vanuatu pour son service national de coopération et d’y devenir procureur de la République, à la faveur d’un concours de circonstances (« le plus difficile à passer »). Il poursuit ensuite des études de 3ème cycle en droit international public en Australie. Ayant toujours voulu être avocat international – vocation rare à l’époque-, mais conscient de la pauvreté, à cette époque-là, de l’enseignement en faculté de droit en finance et en comptabilité, il passe deux années au service d’une banque pour compléter sa formation.
Il découvre l’Afrique en rejoignant le réseau international juridique et fiscal de PricewaterhouseCoopers. La prégnance de l’oralité et l’importance de la confiance dans les rapports lui rappellent son Nord natal. Là-bas, il découvre le droit pétrolier, champ d'activité en friche dans lequel peu de juristes – occidentaux en majorité – étaient spécialisés. Lui qui en ignorait tout, y est introduit par M. Samuel Dossou-Aworet, à la faveur d'un nouveau concours de circonstances qu’il passe avec hardiesse, et surtout grâce à l'ouverture d'esprit et la générosité de ce dernier. C’est le point de départ d’une longue amitié entre les deux hommes, et de l'engagement de l’avocat sur et envers le Continent.
Après 7 ans au Gabon, il rentre à Paris chez PwC puis s’engage chez Herbert Smith Freehills en 1998. Aujourd’hui, il a développé une expertise en matière pétrolière, minière et d’infrastructures. S’il n’est plus étrangement regardé par ses confrères qui, lorsqu’il s’aventurait en Afrique, l’imaginaient déjà condamné à des « fusions tamtam » et un statut d’éternel collaborateur, c’est parce que « le regard sur l’Afrique a changé. Ce n’est pas Stéphane qui a changé ».
Un engouement pour l’Afrique avant tout économique
L'engouement actuel pour l’Afrique est une « bonne chose » (« Enfin ! »). Selon Stéphane, il s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs, au premier rang desquels l'augmentation des investissements internationaux vers l'Afrique. Les banques et les fonds ainsi s'intéressent beaucoup plus à l'Afrique qu'auparavant. En outre, il faut noter l'influence positive de la Chine qui a révélé la nécessité de réinventer les relations politiques et commerciales avec les pays africains.
Autre facteur, mais non des moindres, « le regain d’intérêt des africains pour leur propre continent » et l’émergence de personnes de très haute qualité professionnelle, en raison, notamment, du retour de certains éléments de la diaspora formés dans les meilleures écoles du monde.
Enfin, le mouvement en faveur de plus de transparence financière et la pénalisation en Occident de certains comportements des entreprises, tels que la corruption active d'agents publics à l'étranger.
« Il faut être africain-réaliste »
Néanmoins, il ne se dit « ni africain-optimiste, ni africain-pessimiste », car même si de nombreux indicateurs deviennent verts, des problèmes de gouvernance demeurent dans certains pays dont la première cause reste la corruption. Il faut reconnaître la part de responsabilité tant des entreprises qui profitent de la corruption que celle de certains responsables africains. « Le droit est bon, aussi perfectible qu’ailleurs. Son respect strict est la condition nécessaire mais souvent pas suffisante pour réussir, il convient aussi, en Afrique, d'être juste ».
Il cible également les difficultés héritées de l'histoire, et plus particulièrement des suites du Traité de Berlin. « Il faut un modèle institutionnel africain », propre aux structures sociales africaines et qui ne soit pas l’imitation des modèles des anciennes métropoles. Il préconise de solliciter des juristes africains pour mieux réfléchir sur les institutions de demain et prend le risque de dire que, selon lui, le mieux pourrait être un système centralisé capable de juguler les velléités séparatistes de certaines communautés ethniques, associé à un pouvoir local « assez fort pour que les identités locales se sentent respectées ». Stéphane a par ailleurs souligné l'importance que les contrats signés avec les investisseurs soient équilibrés entre les intérêts des Etats, des populations et de la société. Il regrette parfois aussi une certaine insécurité juridique et fiscale qui n'est pas toujours justifiée (« certains adaptations peuvent être nécessaires mais les changements brutaux et imprévus sont toujours dangereux »).
Les voies possibles du développement de l’Afrique
Pour y remédier, il cible quelques priorités:
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L’éducation. L'industrialisation requiert une main d’œuvre qualifiée, qui par certains endroits fait défaut. Certains Etats souffrent parfois d'un manque d'experts nationaux dans les négociations et Stéphane rappelle sur ce sujet l'apport du programme de facilité africaine de soutien juridique (ALSF) mis en place sous l'égide de la Banque Africaine de Développement.
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La prise de conscience des communautés locales. Ces dernières s’imposent peu à peu comme un véritable contre-pouvoir sur lequel il faut compter avant tout projet. Dans ce processus, l’intégration des femmes, qu’il juge très conscientes de certains enjeux tels que l’éducation et la santé, est essentielle.
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Enfin, il évoque l'idée croissante que, au-delà du respect « indispensable » du droit, il faut agir dans un esprit de justice. Et sur ce point, « l’Afrique influence positivement le monde ». Il dénonce ainsi les contrats déséquilibrés, et se réjouit de l’émergence de principes qui, quoique non contraignants juridiquement, s’imposent aux entreprises. Ces principes proviennent de sources telles que les Nations Unies, l'Union Africaine, l'Organisation de coopération et de développement économiques, la Banque Mondiale, la Société Financière Internationale et d'autres institutions internationales ou organisations professionnelles. Ainsi, « les manquements viendront un peu à la fois de moins en moins des entreprises mais risquent encore de rester trop souvent le fait de certains Etats ; les entreprises n’auront plus d’autre choix que de se conformer à ces principes, et les populations ne manqueront pas de les y encourager, dans l'intérêt de tous ».
En bref, cette Rencontr'Afrique, menée sans langue de bois, aura été l'occasion de découvrir un homme humble, chaleureux et disponible. Surtout, elle nous aura permis de rencontrer un véritable amoureux de l’Afrique, et des Idées.
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