Bonjour, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, vous êtes un des animateurs de BlonBa, une structure malienne indépendante de production artistique et d’action culturelle. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette aventure culturelle que vous avez initiée avec Alioune Ifra N’Diaye à Bamako ?
BlonBa est né en 1998. Je venais de participer comme auteur et co–producteur à deux aventures artistiques : La Genèse, long métrage de Cheick Oumar Sissoko dont j’avais proposé l’idée et écrit le scénario (sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard ») ; l’Antigone du Mandéka théâtre, mise en scène par Sotigui Kouyaté, qui avait été joué dans d’importantes institutions francophones. Avec Alioune Ifra Ndiaye, nous voulions donner une perspective durable à ce qui s’était engagé là. Deux objectifs nous animaient : créer les conditions d’une économie culturelle autonome au Mali ; travailler d’abord en direction du public malien, en résonance avec les urgences du Mali, en nous inscrivant dans les lignées culturelles du pays.
Blonba assure à la fois la production d’œuvres artistiques dans le théâtre, le cinéma, des programmes culturels pour la télévision, ou encore, il y a peu, organisait des concerts dans la salle Blonba qui a fermé. Quelle est la démarche de Blonba dans son investissement sur un projet artistique ? Comment choisissez-vous un projet ?
Nous avons commencé avec le théâtre, en reprenant le fil de la rénovation des comédies satiriques du kotèba engagée dans les années 1980 par des artistes courageux et inventifs qui avaient joué un rôle important dans la mobilisation des consciences contre le régime militaire de Moussa Traoré. Très vite, Alioune, qui est réalisateur de télévision, a ajouté à cette activité la production audiovisuelle, avec le même souci de créer un environnement culturel autonome, centré sur les priorités et l’imaginaire du Mali. Et puis nous nous sommes engagés dans l’aventure un peu folle de la salle, un lieu de spectacle, de divertissement et aussi un studio de télévision qui a vite été considéré comme un modèle en Afrique de l’Ouest, tant pour sa proposition artistique que pour la qualité de ses équipements techniques. Dans chacun de ces trois secteurs, nous nous sommes efforcés de construire une économie viable, même quand les subventions font défaut. La production théâtrale s’est essentiellement financée par la vente de nos spectacles à l’exportation. Nous sommes parvenus à un équilibre précaire mais reproductible, ce qui nous a permis de proposer très régulièrement de nouvelles créations. Pour la télévision, nous nous sommes spécialisés dans des programmes liés à la construction de la conscience civique, qui trouvent des commanditaires nationaux et internationaux. La salle a vécu vaille que vaille de la billetterie, de l’organisation d’évènements et comme studio d’enregistrement d’émissions télévisées. Sans nous enrichir, cette orientation nous a permis de vivre et de faire vivre une trentaine de personnes. Elle nous a donné une grande liberté dans nos choix artistiques, notamment en matière théâtrale.
Quel est l’impact, l’influence de la marque BlonBa sur la jeunesse bamakoise ? Y-a-t-il une adhésion à ce concept culturel original et unique dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne ?
BlonBa est l’œuvre de la jeunesse. Alioune avait vingt sept ans quand nous l’avons créé. A part moi, qui suis plus souvent en France qu’à Bamako, toute l’équipe permanente est plus jeune que lui. Cette entreprise culturelle est très représentative de la montée de générations décomplexées, inventives, tranquillement ouvertes sur le monde, qui donnent tant de tonicité aux sociétés africaines en dépit d’une gouvernance souvent chaotique. La jeunesse bamakoise a rapidement fait de BlonBa un symbole de son dynamisme. A titre personnel, Alioune Ifra Ndiaye jouit d’un grand respect et d’une influence certaine sur les jeunes, qui le considèrent souvent comme un exemple à suivre. L’indépendance sans animosité que nous avons acquise par rapport à la coopération française, souvent considérée comme le guichet unique du financement culturel, souvent courtisée, souvent critiquée à cause de ça, est une des causes de cette popularité. Elle concrétise un « Yes we can » qui taraude la jeune génération. La fermeture de notre salle, après les éènements de mars 2012, a créé un choc. Mais quand nous avons repris notre activité publique, en début octobre, avec la présentation du spectacle d’Alioune Ifra Ndiaye « Tanyinibougou » au Palais de la Culture, 3000 personnes se sont déplacées, témoignant ainsi de l’adhésion du public à notre aventure et à notre propos. Beaucoup des personnes qui disposaient d’invitations ont même tenu à payer leur place pour manifester leur soutien.
Depuis le mois d’avril, la grande salle de spectacle du Blonba de Bamako est fermée pour des raisons techniques et foncières. Est-ce la fin de cette structure ? Quelles sont les alternatives pour reconstruire une telle salle ?
L’économie de la salle était le volet le plus précaire de notre activité. L’hostilité d’une partie de l’administration, la nécessité de rembourser les prêts bancaires, la location du terrain, qui ne nous appartenait pas, la modicité des rentrées de billetterie nous contraignaient à jongler de mois en mois, malgré la renommée d’un lieu qui était devenu au fil des ans un des centres de la vie culturelle bamakoise. Mais cette fragile stabilité n’a pas résisté à la panne d’activité consécutive à la crise malienne et, il faut bien le dire, à la voracité de la propriétaire, mise en appétit par les perspectives que lui ouvrait cette période de non-droit. En fermant la salle, Alioune a immédiatement annoncé que nous tenterions de la reconstruire ailleurs. Nous y travaillons. La crise a créé un électrochoc dans la population et on constate une certaine mobilisation de l’Etat en faveur d’un redressement devenu si urgent. Si la conjonction entre la volonté publique, l’énergie de notre équipe et le soutien des partenaires du Mali s’opère, la nouvelle salle sera rapidement ouverte. Mais au delà du lieu, la créativité de BlonBa est en plein essor. Le « hardware » est momentanément hors d’usage, mais les logiciels fonctionnent toujours. Le spectacle de kotèba Tanyinibougou créé le 6 octobre dernier a été un énorme succès populaire et va être à nouveau représenté à Bamako, dans les régions et à l’étranger. Il marque déjà un jalon dans l’histoire théâtrale du Mali, si liée aux soubresauts de sa vie politique. Et une soixantaine de représentations des spectacles de BlonBa sont programmées cette saison par des institutions culturelles françaises.
En feuilletant le blog de BlonBa, on note que le prix d'entrée des spectacles musicaux tourne autour de 5000 FCFA. Quel type de public se déplace pour voir ces spectacles ? Plutôt étrangers ? Maliens ? Jeunes ?
La salle proposait des spectacles et des divertissements de nature très diverses, financés essentiellement par la billetterie. La tarification visait bien sûr à l’équilibre financier, sans lequel nous perdions notre indépendance. Quand l’accès à un spectacle était à 5000 F CFA, cela limitait évidemment l’assistance aux classes moyennes. Mais nous proposions également des manifestations pour des prix nettement moindres, notamment le Nyènadyè club, qui mêlait soirée dansante et propositions artistiques et qui était fréquenté par beaucoup de jeunes des milieux populaires. Il est aussi arrivé que le Premier ministre de l’époque, M. Modibo Sidibé, un spectateur assidu de nos spectacles, finance des séries de représentations pour le public scolaire et universitaire. Des milliers de jeunes ont ainsi pu voir des pièces comme « Bougouniéré invite à dîner » ou « Vérité de soldat ». L’ouverture de notre activité sur la télévision est elle aussi un moyen de la rendre largement accessible. La question que vous posez reste malgré tout une des principales préoccupations pour une salle indépendante comme l’était le BlonBa. Dans l’état actuel des choses, seul un soutien public permettrait d’engager, comme nous le souhaiterions, une politique tarifaire plus démocratique.
Propos recueillis par Lareus Gangoueus, deuxième partie d'intreview à suivre sur Terangaweb
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