Instituées comme étant un outil de sécurité et de stabilité pour une Afrique nouvellement décolonisée, un demi-siècle après, des bases militaires françaises continuent d’exister dans nombreux pays africains (les Comores, le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, Djibouti…), ce qui peut paraitre incompréhensible, d’autant plus que ces pays ne sont pas les plus stables d’Afrique.
Lors de sa visite en Afrique du Sud le 28 février 2008, Nicolas Sarkozy annonçait devant les parlementaires sud-africains, que la France étudierait les modalités de son retrait militaire d’Afrique. Six ans plus tard (2014), il n’en est rien. Et le nouveau livre blanc du ministère français de la défense, sur la défense et la sécurité nationale, conçu à la demande du Président François Hollande en 2013, ne l’évoque pas non plus. Dans le même livre, il apparaît toutefois clairement que : "les nombreux partenariats stratégiques de la France, ainsi que les partenariats de défense conclus avec plusieurs pays, confortent sa position d’influence au niveau mondial", ce qui expliquerait le consensus affiché en la matière, sous toutes les présidences de la cinquième République, quelle que soit la mouvance au pouvoir. Ce constat pousse également à se demander si la France se retirera un jour des pays africains où ses forces sont stationnées.
Sous le gouvernement de Lionel Jospin, le processus de désengagement de l’armée française d’Afrique était amorcé à la fin des années 1990, sous la formule « Ni ingérence, ni indifférence », puis élargi sous Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique). A cette époque déjà, " la France ne souhaitait plus intervenir en Afrique subsaharienne qu’en appui d’efforts africains et dans un cadre multinational ". Par ailleurs, elle devait participer au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, c’est-à-dire, œuvrer à la conception de bataillons africains équipés et entrainés par la France.
Aujourd’hui (sous la présidence Hollande), ce processus est simplement suspendu, au nom des nouvelles menaces, notamment « terroristes ». Au point de se demander si la recrudescence de l’insécurité, et le décuplement de groupes armés dans la bande sahélo-saharienne d’Afrique, n’était en réalité pas stratégiquement opportune pour la France. Car cette conjoncture lui confère une légitimé irrécusable d’être militairement présente au Sahel, d’autant plus que dans le cas malien, l’assistance française fut implorée par l’Etat et l’ensemble de la population malienne. Les troubles sécuritaires dans certaines contrées africaines paraitraient ainsi propices à la stratégie militaire française à l’égard de l’Afrique.
Par ailleurs, la France a une importante part de responsabilité dans la promotion de l’islamisme dans le Sahel, et ce n’est sans doute pas en ignorant les conséquences. Le 22 Février 2003, 32 touristes européens sont pris en otage par le Groupe Salafiste pour le Prédication et le Combat (GSPC) dans le sud Algérien. Après de longues négociations pilotées par l’Etat malien, 17 d’entre eux seront relâchés en Algérie, 14 au Mali, contre le versement d’une rançon, et le dernier mourra en captivité. A partir de ce précédent, l'ensemble des otages européens enlevés en Algérie, en Mauritanie, et au Niger sont immédiatement transférés au Mali dans le but d’entamer des négociations.
Le 18 Février 2010, en échange de l’otage français Pierre Camatte qui était détenu par AQMI, le Mali aurait, sous la pression française, accordé la liberté à quatre terroristes – Mohamed Ben Ali, 31 ans et Tayed Nail, 29 ans (Algériens), Houti Karito, 26 ans (Burkinabé) et Beib Ould Nafa, 25 ans (Mauritanien) – qui avaient été appréhendés neuf mois plus tôt à Tessalit. Cette libération s’est faite au mépris de l’Algérie et de la Mauritanie qui réclamaient l’extradition de leurs ressortissants parmi les terroristes libérés. En guise de protestation, l’Algérie et la Mauritanie ont rappelé leurs ambassadeurs à Bamako. Selon Nicolas Sarkozy, Président français au moment des faits, le Président malien Amadou Toumani Touré a pris la « bonne décision ». Quelques mois après leur libération, ces mêmes personnes auraient été impliquées à nouveau, dans un enlèvement de touristes occidentaux.
Le 29 octobre 2013, quatre otages français qui avaient été enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit au Niger sont libérés. Si le gouvernement français nie le versement d’une rançon, plusieurs sources font état du versement d’une vingtaine de millions d’euros aux ravisseurs.
La situation paraît d’autant plus confuse qu’Ahmada Ag BIBI[1] serait celui qui, par ses rapports parentaux avec le chef d’Ansar Ed Dine, a permis la libération des quatre otages. Selon Soumeylou Boubeye Maiga, Ministre malien de la défense, « Ce qui est important c’est la libération des otages qu’il y ait eu versement de rançon ou pas ». Selon lui, « cela ne change rien au fond du problème qui reste la lutte contre les groupes terroristes ».
Si le ministre malien de la défense semble banaliser la question, ce sont là des actes, qui, pendant plusieurs années, ont encouragé et rétribué les forfaits de groupes terroristes dont le but est clairement de déstabiliser la région sahélo-saharienne.
Le versement traditionnel de rançon par la France aux groupes terroristes ne fait que renforcer ces derniers, et accroît l’insécurité des ressortissants français dans certaines parties du monde, car ils sont bankables, c’est-à-dire des valeurs sûres pour les preneurs d’otages. L’idée qui est soutenue n’est pas d’abandonner les otages français aux mains de leurs geôliers, mais la question qui se pose est : si la France n’avait pas participé à inscrire les enlèvements au rang des activités mafieuses les plus rentables dans le Sahel, ses ressortissants ne seraient-ils pas moins en danger ?
Nous sommes là face à une situation où la France déploie d’importants moyens financiers pour libérer ces otages, et finit par déployer d’importants moyens militaires pour combattre des groupes qu’elle a elle-même armés. Lors de l’assaut des groupes djihadistes sur Konna, le 9 janvier 2013, (assaut qui a suscité l’intervention militaire française), située à 70 kilomètres de Mopti, limite que l’armée malienne souhaitait rendre infranchissable, le dispositif militaire et logistique déployé par ces groupes était impressionnant. Il leur a fallu mobiliser des centaines d’hommes lourdement armés, des centaines de véhicule 4X4 tout terrain spécialement équipés pour les combats, des milliers de litres de carburant. D’où la nécessité de se poser la question suivante : d’où puisent-ils tous ces moyens ?
Boubacar Haidara
[1] Ancien député malien, leader du Haut conseil unifié de l’Azawad (HCUA), et candidat du parti présidentiel (RPR) aux législatives de 2013 dans la localité d’Abeibara.
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