Chevalier de la légion d’honneur française 2010, lauréat du prix Renaudot en 2006 et de diverses autres récompenses régionales et académiques, régulier des mondanités du café Flore et des dorures germanopratines, Alain Mabanckou vit une romance avec la France. Il en vit d’ailleurs deux qu’il vit entre deux eaux : celle où il baigne dans le renom d’un professeur de littérature africaine à Los Angeles, et celle où l’écrivain nage avec volupté dans son statut de vedette, vendeur de livres et ami avec les personnalités de l’hexagone. L’on pourrait s’en féliciter comme la consécration d’un destin brillant, les ingrédients d’un honneur dû, le cours banal des choses, c’est d’ailleurs mon cas. Je vis le succès de Mabanckou, sans passion, sans outrage non plus. Je ne le trouve pas moins méritant qu’Atiq Rahimi, encore moins Tierno Monénembo ou Leonora Miano. J’ai renoncé à la critique littéraire comme occupation depuis que j’ai découvert qu’il y avait plusieurs échelles de lecture, que les sentences sur le style ont beaucoup de chances de basculer dans l’injustice subjective à partir du moment où on déplace le curseur du lectorat. Il faut, quelque sacrosainte qu’on élève la littérature, admettre qu’il y en plusieurs, à mesure de chaque cible. Mais ce n’est pas tellement le terrain où Mabanckou voit sa gloire ruinée par des critiques assassines. Dans le tribunal des intellectuels africains, un poil identitaires, il souffre du syndrome Senghor, le mal ultime : écrire pour les blancs.
Pour ne rien arranger à son affaire, il semble bien le vivre. Coupe à la main, on le voit fréquenter les salons, produire une œuvre démythifiante du ghetto africain, une œuvre qui décontenance les attentes doctrinaires. Pour ainsi dire, il alimente la réputation qu’on lui tricote : celle d’un acculturé qui produit presque sous commande voire sous injonction. Ce reproche est faux. Je n’ai pas épuisé son œuvre mais de Verre Cassé à Le sanglot de l’homme noir, il y a eu de multiples Alain Mabanckou : le jeune conteur qui s’imprègne de son histoire et restitue finalement les couleurs vives de l’école congolaise, le romancier international qui convoque dans son œuvre ses deux terres et en fait un mixte. Le rigolard aux histoires loufoques mais où point toujours une force de narration et une lecture sociale du monde. Mémoire d’un Porc-épic, Demain j’aurai 20 ans, Black Bazar, portaient l’empreinte d’un dandy sans urgence, détaché, nombriliste, conteur sans prises de position catégoriques. Cet Alain Mabanckou ne clivait pas ou très peu. L’écrivain prolongeait une tradition du conte modernisé et laissait place à une force imaginative qui s’inspirait et du réalisme magique du type sud-américain, et du merveilleux africain. De mauvais esprits ont l’heur de voir dans cette inclination drolatique un amuseur de galerie, un bouffon nègre à la cour. Cette critique s’essouffle de sa propre bêtise.
L’aura de Mabanckou s’est gâtée quand il osé regarder le continent et chanter son amour du français. Il traîne depuis, l’opprobre d’écrire pour ses maîtres blancs. Vieille rengaine dont Senghor fut le plus célèbre martyr. Cette critique est tellement lancinante qu’elle finit par grandement m’agacer. Il y dans chaque carrière d’écrivain africain, le moment du livre confession. Ce livre, c’est le sanglot de l’homme noir. C’est ce livre qui a attiré la foudre des critiques hostiles. L’auteur raconte sa passion pour une langue qui a conditionné son destin, le devoir de ne pas se renfermer dans une histoire au risque d’en être prisonnier, le refus du communautarisme, le tout avec une lucide appréciation du devenir du continent. En l’espèce, je n’ai trouvé à ce livre aucunes défaillances graves. Il est le plus sincère et le plus dur. Personnellement, j’ai toujours milité pour que les écrivains africains opèrent cette révolution d’écrire l’Afrique. Mabanckou l’a fait, à sa façon, de manière tout à fait perfectible. Il faut en tenir compte, tout simplement, comme une part du débat. Je regrette qu’il n’y ait que ce livre dans sa production sur les sujets durs africains.
La disqualification de ceux qui décrivent l’Afrique par ceux qui s’arrogent le droit d’en être les défenseurs zélés, procède toujours par le même anathème de « suppôts de ». La littérature est peut-être l’un des seuls champs de sincérité absolue. Ployer sous le joug du devoir identitaire en Afrique est le pire des renoncements. Sans être un fanatique de l’œuvre de Mabanckou, je lui reconnais sa place de grand et le lave de cette tâche impure.
Il faut éviter des destins à la Calixte Beyala. On n’écrit jamais pour un continent. C’est une ambition malsaine.
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Merci pour cet article interessant Elgas. Je n'ai jusqu'ici pas lu Mabanckou mais je reconnais bien ce syndrome, que vous decrivez, chez certains auteurs contemporains (selon moi, Tierno Monenembo semble en etre legerement atteint avec ses derniers romans). Je me souviens lors d'une conference a Montreal, Boubacar Boris Diop affirmait que la litterature ouest-africaine d'expression francaise est dans une grande mesure, une litterature pour les Blancs et les "Noirs-Blancs" (comme disait Hampate Ba), et pas une pour les peuples d'Afrique de l'Ouest. Je pense que c'est du au contexte d'emergence de cette litterature, qui etait a ses origines, un moyen d'affirmation culturelle et qui peut-etre n'arrive pas a se detacher de ce contexte originel. BBD n'est certainement pas aussi radical que la Calixthe mais le sentiment est similaire.
Merci encore pour cet article.