L’enthousiasme suscité par le voyage de Barack Obama au Ghana et par l’allocution prononcée à l’Assemblée Nationale ghanéenne n’ont pas manqué de m’interpeller. Ils sont nombreux à penser le « discours de Dakar » mauvais et insultant qui trouvent celui « d’Accra » brillant et constructif. Avec le recul, je considère, pour ma part, ces deux discours comme complémentairement inutiles, à la seule différence que le premier mêlait l’inutilité à la médiocrité et à l’ennui, tandis que le second la dissimule sous une éloquence claire et didactique, c’est-à-dire malhonnête.
Dakar
Le scribe du Président Français, n’avait pu résister à la tentation de glisser, à intervalles réguliers, de petits signaux, adressés à l’électorat UMP, censés rappeler les « positions de la droite » sur l’Afrique, c’est-à-dire, le salmigondis concocté par les nostalgiques des armées coloniales et les héritiers de Foccart. Pour ce faire, il a alterné références littéraires explicites (Rimbaud, Senghor, Césaire, Camara Laye et Birago Diop entre autres) et sous-bassement philosophique suranné et colonialiste.
Et encore, le terme « discours » est ici usurpé. Aucune construction, aucune structure cohérente, mais une logique bien claire : exprimer l’ouverture de la France sans tomber dans la « repentance ».
Pour chaque paragraphe intéressant, trois autres renvoient à la mythologie et aux traditions africaines, alors même que les jeunes Africains les ont oubliées, les méprisent ou essaient de s’en éloigner. Après chaque « pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l’homme africain et l’homme européen », suivaient une dizaine de « le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ».
On excusera, je l’espère, les nombreuses citations si l’on veut bien prendre en compte le fait que dans ce cas, la forme est aussi importante que le fond, et que les critiques adressées à notre compréhension du « Discours de Dakar » renvoyaient toutes au fait que nous l’aurions mal ou incomplètement lu.
J’ai fait le compte : l’homme noir (six fois) l’homme africain (huit fois) et deux fois en complément de l’homme européen, Drame de l’Afrique (une fois), problème de l’Afrique (sept fois), défi de l’Afrique (quatre fois). Je n’ai toujours pas compris les sens donnés à « homme noir » et à « homme africain ». Et je reste ouvert à toute explication autre que celle qui voudrait que ces périphrases ne cachent qu’une répugnance à employer le terme « négro-africains » – à considérer d’ailleurs que cette utilisation fut indispensable.
Aucune donnée chiffrée, aucune indication temporelle.
Il y aurait beaucoup à redire sur la forme même de ce discours. Contentons-nous de ces quelques évidences :
D’abord la flatterie : « m’adresser à l’élite de la jeunesse africaine ». Si l’Université de Dakar comptait parmi ses étudiants "l’élite de la jeunesse Africaine", cela se saurait et il n’y aurait pas tant de lauréats de Concours Général Sénégalais en train d’errer dans les universités françaises aujourd’hui. Ou encore « Je suis venu vous dire que l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires »… En symbiose avec la nature ? Le mythe du bon sauvage actualisé.
Puis les insidieuses banalités : « m’adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, n’ont pas la même langue, qui n’ont pas la même religion, qui n’ont pas les mêmes coutumes, qui n’ont pas la même culture, qui n’ont pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains ». Si ces « handicaps » surmontés par les Africains méritent d’être célébrés, alors la suite logique est que les Européens qui construisent l’Union Européenne et se considèrent comme Européens, ont donc tous la même langue, la même religion, la même histoire, les mêmes coutumes, la même culture… Aussi : « car l’homme africain est aussi logique et raisonnable que l’homme européen». Il fallait vraiment le rappeler?
L’entrée en « mystère » : ce terme revient quatre fois dans le discours. Un exemple : « là réside le premier mystère de l’Afrique (…) frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l’exil lui même ne peut effacer » (le clin d’œil aux « Afro-Français » est ici évident). Comme s’il était impossible de parler de l’Afrique sans se sentir obligé de retourner aux légendes africaines. Et même là, il est évident qu’Henri Guaino n’est pas Birago Diop, car il n’y a rien de commun entre « ceux qui sont morts ne sont jamais partis/ Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire/ Et dans l’ombre qui s’épaissit» et « des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des ancêtres »
Les palinodies. Dire dans un premier temps « le problème de l ‘Afrique, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé » puis oser ensuite « la faiblesse de l’Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage »… De deux choses l’une, ou l’Afrique a connu des civilisations brillantes ou elle n’a jamais connu d’Âge d’Or. On pardonnera l’absence au « grand métissage », l’Egypte pharaonique, nous le savons tous, était blanche, l’Empire du Mali n’est jamais entré en contact avec la civilisation musulmane, le débat sur l’expédition de Bakary II en Amérique est clos, les travaux de Cheikh Anta Diop et Niangoran Boua sur la filiation des peuples Wolof ou Akan avec l’Egypte antique n’ont aucun intérêt.
Les lapalissades : « un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre »; définition du Littré « Singulier : (…) qui ne ressemble point aux autres »…
L’estocade brutale : « Jeunes d ‘Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? » Passons sur les bizarreries syntaxiques, au fond, le Président Français doute de la volonté des jeunes Africains d’avoir un avenir meilleur… On retourne à l’infantilisation : les références aux contes, aux légendes et aux mystères africains font partie d’un tout logique et lexical à la fois : « le royaume de l’enfance ».
Et comme toujours, dans ces cas-là, on recourt à Senghor – il serait inutile d’insister encore sur la pauvreté de sa pensée, reconnaissons en tout cas au poète le mérite d’avoir fourni à la France toute une flopée de citations utiles au moment de ridiculiser l’Afrique, sa philosophie, sa sensualité, ses langues et sa culture – «Chez nous les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit »… (Dieu, l’amour, la mort, la peur, le désir n’existent évidemment pas dans les langues Africaines – Senghor n'aurait-il pas confondu Malinké et Créole martiniquais ?)
Refus de la « repentance », exaltation des aspects positifs de la colonisation, exhortation à la construction d’un avenir meilleur qui ne peut se construire sans l’Afrique, d’autant plus que l’avenir est la seule option pour un continent qui n’a pas de passé, incitation d’autant plus utile que l’homme africain, de lui-même, ne sait pas se projeter vers l’avenir. Lui tendre la main, tenir la sienne et l’aider à traverser la route… Tel est le fond du discours de Dakar.
Ce discours a une certaine utilité, malgré tout. Comme je le pensais à l’époque, il montre toute l’arrogance qu’une partie de l’intelligentsia française a envers l’Afrique. Il a fait apparaître aux yeux du public, la vérité que les réunions Afrique-France et la bonhomie de Chirac avaient si longtemps occulté. Ce discours était médiocre parce que vengeur et déconstruit. Qu’il aurait été différent si tout son fond avait été basé sur cette idée hélas vite engloutie sous les fanfaronnades : « Jeunes d'Afrique, ne cédez pas à la tentation de la pureté parce qu’elle est une maladie, une maladie de l’intelligence (…) ne vous amputez pas d’une part de vous-même. (..) La pureté est un fantasme qui conduit au fanatisme »
Le discours d’Accra peut-être parce que postérieur ou simplement porté par un orateur moins vindicatif ou plus intelligent, échappe à cet écueil pour aussitôt donner dans un autre : « la leçon de progrès ».