Il faut dire l’Afrique

lion_afriquePeut-on être gai sans être haïssable devant l’enchaînement des actualités africaines de ces derniers jours ? Peut-il y avoir un seul motif de joie devant la mort allègre qui sème et récolte avec abondance au Congo, terre de malheur presqu’oubliée ? Faut-il se résigner devant le viol qui y prospère comme l’un des seuls langages entre hommes et femmes ? Peut-on se bander les yeux, au motif de frontières éloignées, devant les charniers centrafricains et ne s’émouvoir que par à-coup ? Peut-on se réfugier dans le silence, devant la famine qui vide les êtres au Soudan, en Somalie et très certainement ailleurs ? Faut-il que l’on confie tout à la bonne grâce de la prière pour échapper à la malheureuse élection du virus Ebola, du choléra au nord Cameroun et des tarifs habituels de la malaria et du Sida ? Devons-nous renoncer à notre humanité, en excluant les homosexuels de notre communauté, en les soumettant à la haine, comme on semble prêt à l’accepter en Ouganda, au Sénégal et sûrement ailleurs ? Peut-on – plus grave – s’habituer aux sévices quotidiens de la pauvreté, celle qui n’a pas de dommages particulièrement apparents, comme trois quarts du continent en sont familiers ? Dois-je continuer l’énumération en mentionnant des embarcations clandestines qui échouent en mer sans que les médias ne les relayent, morts omis ; morts inexistants? Et les enfants soldats ? Et les albinos ? Et les excisées ? Et les fanatiques ? Et bien d’autres. Bien d’autres pépinières à malheur fleurissant sous les flots de litres de sangs versés ?

Voilà les sujets urgents du continent. Les plus saillants. Il faut infatigablement en parler. Ne pas s’en indigner à la façon d’un émoi passager. Ne pas seulement les dénoncer. Mais surtout l’avoir à la conscience, constamment, comme un marqueur, une dissuasion mémorielle.

J’ai essayé pendant très longtemps de m’aguerrir à la lâcheté pour me dérober au devoir d’émotion, plus encore au devoir de compassion, mais surtout, au devoir d’agir devant les tragédies africaines. On ne peut se dérober même avec tout le détachement du monde, c’est la leçon que j’en ai tirée. Et c’est heureux. Quand on ne peut être indifférent, on se doit de prendre parti. Ca doit être le parti de la lucidité.

En conséquence, il faut assumer de front. Il faut inlassablement écrire l’Afrique. L’écrire veut dire la restituer telle qu’elle est. La raconter. La dire et non la déclamer. L’écrire et non la romancer. Ni la projeter. Ni la maquiller de nos espoirs et de nos rêves.  Il faut la photographier. Cristalliser des clichés secs et froids sur sa vérité. Les placarder à la mémoire. Garder cette distance qui n’est pas défaut d’amour, mais amour de la vérité. Il faut qu’ils soient le miroir quotidien, ce rappel constant de l’horreur à nos portes, l’alerte quotidienne du devoir de rectifier le tir. C’est une étape préalable à toutes les autres reconstructrices, celles par exemple motrices d’un changement. Et, c’est justement parce qu’on s’est habitué au drame, que nos indignations margent à la périphérie, que notre refus de plonger la main dans le pus de la plaie s’est développé, qu’on s’est familiarisé avec les chaos qui pullulent, qu’on a dévalué la mort, et qu’on se retrouve à renier les fruits de nos propres inconséquences.

Le passage actuel dans le calendrier africain n’est pas tellement exceptionnel. Les hoquets et les répétitions de l’histoire sont cruels. L’euphorie des indépendances a été douchée par les années 80 ET 90. Presque quinze ans après 2000, après des promesses économiques mirobolantes, le creux se rouvre parce qu’en réalité il ne s’est jamais réellement fermé. C’est cette curiosité entre des performances économiques à entr’apercevoir, l’avenir démographique du continent qui le place d’emblée en territoire de convoitise, les prédictions des financiers sur le potentiel présent et en même temps la réalité de massacres réguliers qui m’interpelle. L’Afrique n’a jamais été autant vantée, qu’au milieu de ses cadavres. Les classes moyennes naissent-elles du fumier des morts, alors ? J’ai toujours été plus sensible au drame des enfants des rues au Sénégal qu’à l’embourgeoisement d’une très minoritaire élite financière dakaroise. Les mirages de la croissance africaine sont des fantasmes qui obstruent la réelle vue qu’offre le continent.

Je ne crois donc pas à la thérapie de l’économie. Tout au plus, elle n’est que la subalterne de la thérapie culturelle. Il faut dire l’Afrique. Repointer les diagnostics sans les enjoliver. Disqualifier l’espoir comme un acquit et le laisser aux rêves. Faire taire les diagrammes mensongers. Se rendre compte des tendances idéologiques lourdes qui y président aux fléaux. N’éprouver aucun complexe à voir son bout de nombril ensanglanté, car, même si les siècles de colonisation et leurs bébés racistes ont bâillonné la parole sur le sujet, les problèmes africains sont d’abord et surtout culturels et sociétaux. L’économie n’en est que le produit. C’est à cette lessive familiale que j’invite. Elle est le préalable que l’on a toujours jeté sous le tapis. Ecrire l’Afrique, c’est souhaiter que toutes ces forces en idées, intellectuelles, politiques, s’orientent vers les mobiles intérieurs de nos problèmes, sans le laisser griser ni par le devoir d’optimisme, ni par les frémissements économiques définitivement nuls devant le présent spectacle.

Il faut dire l’Afrique avec une continue gravité. On ne le fait pas assez à l’intérieur. 

Les préoccupations des Béninois : l’agriculture (ACTE 2)

 
expozinsouQuelles sont les principales préoccupations des béninois ? C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la fondation Zinsou, présente au Bénin et dédiée à l’art africain, a commandé un sondage réalisé auprès des populations béninoises. Les dix grands thèmes qui ressortent du sondage sont dans le désordre: l’accès à l’éducation, la régularisation de la circulation, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’aide aux cultivateurs, l’accès à l’eau potable, le renforcement de la sécurité, la réparation des routes, l’accès à l’électricité, l’aide aux éleveurs et l’accès aux soins.
 
La Fondation Zinsou a rencontré Kifouli Dossou, artiste sculpteur béninois, et lui a demandé de trouver un moyen de représenter ces grandes questions pour en porter le message. L’artiste a choisi, pour ce faire, de sculpter des masques Guèlèdè, représentant chacun ces dix préoccupations majeures. Ces masques ont fait l’objet d’une exposition gratuite dans les locaux de la fondation Zinsou basée à Cotonou.
 
Nous abordons tour à tour ces 10 thèmes dans une série d’articles illustrée par les photographies des masques sculptés par l’artiste – qui ont été gracieusement mises à notre disposition par ladite fondation. Le premier article de cette série portait sur la revalorisation des salaires des fonctionnaires. Cet article a pour sujet l’agriculture béninoise.
 
02.Les cultivateurs
 
Les cultivateurs" / Gléssilê
Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Wabi Dossou 2010 – 2011
 
2.  Moderniser l’agriculture
 
L’importance de l’agriculture pour le développement est un sujet qui fait aujourd’hui l’unanimité. Ses bienfaits vont bien au-delà de la sécurité alimentaire. Elle a des effets d’entraînements transversaux sur l’économie, du secteur primaire, aux services et à la commercialisation en passant par la transformation et l’industrie.

Au Bénin, le coton est avec le port autonome de Cotonou, l’un des deux poumons de l’économie. Il assure 40% des entrées de devises et contribue en moyenne à 13% du PIB. La filière coton représente également 60% du tissu industriel et nourrit plus d’un tiers de la population. Elle constitue le cœur de l’agriculture béninoise.  
 
 
Image : Evolution de la production de coton de 1999 à 2010
 

Cependant, les chiffres récents de la production de coton au Bénin ne sont pas encourageants. Malgré l’augmentation des cours des matières premières dont le coton, la croissance béninoise n’est pas tirée vers le haut car la production faiblit. Les dernières campagnes ont donné des résultats allant de 130 000 tonnes à 270 000 tonnes, bien en dessous des 350 000 à 400 000 tonnes annuelles que le Bénin produisait autrefois. Concernant la campagne en cours (2012-2013), environ 226 millions de tonnes ont été reçues dans les usines d’égrenage, au début du mois de mars, ce qui laisse présager, d’ici la fin de la saison, une quantité de production totale plus importante mais encore une fois inférieure à 300 000 tonnes. Cette faible production représente un manque à gagner énorme quand on considère les revenus potentiels pour les agriculteurs, les transporteurs, les industriels, les intermédiaires et autres acteurs de la filière. La filière est plus mal organisée que jadis, les cultivateurs peu rémunérés et la productivité est en berne alors même qu’il y a une marge énorme de modernisation de l’agriculture. L’affaire Talon, qui oppose l’ex-magnat du coton béninois au Président de la République n’a pas dû arranger les choses. 

Le gouvernement qui tablait sur des chiffres de production d’au moins 350 000 tonnes invoque les disparités de rendement d’une exploitation à l’autre, indiquant que le rendement à l’hectare a varié de 2 tonnes de coton à 600 kg pour un rendement moyen de 1 à 1,2 tonnes. Des différences énormes ! Dans un tel contexte, il est tout de même surprenant qu’une meilleure allocation des moyens de productions et des intrants n’ait pas été réalisée pour privilégier les cibles les plus productives.

 
Le Bénin a lancé un Programme ambitieux de Relance du Secteur Agricole dans le but de devenir en 2015 une puissance agricole dans la sous-région. Ce programme de plus de 300 milliards de FCFA, financé en grande partie par le Koweït, a pour but d’améliorer la productivité agricole dans différentes communes du Bénin. Il est censé s’appuyer  sur des techniques de production plus modernes alliant mécanisation, maîtrise de l'eau, intensification agricole et exploitation des terres en toute saison, de même que sur les écoles agricoles et les jeunes agriculteurs modernes et diplômés.
 
Ce programme vient certainement à point nommé pour sortir l’agriculture béninoise de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Encore faut-il qu’il soit exécuté avec rigueur et professionnalisme. Prendre en compte les revendications des agriculteurs qui sont légitimes et leur donner les bonnes incitations est crucial dans ce processus. Il ne s’agit pas seulement de remplacer la houe par le tracteur et de mieux former et rémunérer les agriculteurs – ce qui serait déjà une avancée importante – mais de réorganiser l’ensemble de la filière (utilisation des intrants, production, transformation, exportation).
 
Cette réorganisation a commencé depuis la campagne 2010-2011 qui a vu la mise en place de plusieurs initiatives parmi lesquelles la création de coopératives villageoises, la sensibilisation des producteurs à la base et la dynamisation des comités de crédits intrants. Il a été également procédé au paiement intégral des producteurs au titre de la précédente campagne. Il est important de continuer à faire un travail en profondeur et d’utiliser au mieux (à travers la formation, la maintenance et une meilleure allocation) les moyens qui ont été mobilisés à commencer par le matériel agricole constitué de tracteurs, de motoculteurs, de débroussailleuses et autres charrues, récemment acquis pour plus de 7 milliards de FCFA.
 
Tite Yokossi